Sélection naturelle et histoire démographique : quelles conséquences pour la santé ?

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Les fluctuations démographiques ont-elles changé le nombre et la sévérité des mutations génétiques portées par les populations humaines ? Dans un article publié dans Nature Ecology and Evolution, une équipe de chercheurs du laboratoire de Génétique Evolutive Humaine (CNRS/Institut Pasteur) a montré comment les évènements démographiques associés aux modes de vie des chasseurs-cueilleurs et des agriculteurs d’Afrique Centrale ont influencé la façon dont opère la sélection naturelle.

Au fil de leur histoire, les populations humaines ont subi des changements considérables et extrêmement variés en termes de tailles et de mode de vies. Ces évènements, parfois très anciens, ont laissé des traces dans le génome des individus, conduisant à des différences dans le nombre et la sévérité des mutations qu’ils portent. Ainsi, l’accumulation de variants génétiques peut fluctuer d’une population à l’autre en fonction de son histoire démographique et affecter leur susceptibilité aux maladies. L’objectif de ce projet était donc de comprendre la façon dont des évènements particuliers, tels que des expansions ou contractions démographiques, mais aussi le métissage, ont altéré certains mécanismes évolutifs comme l’efficacité de la sélection naturelle.

Pour cela, les scientifiques se sont concentrés sur la comparaison de populations témoignant de l’une des transitions socio-culturelles les plus importantes de l’histoire de l’Homme : le passage d’un mode de vie chasseur-cueilleur nomade à un mode vie sédentaire basé sur l’agriculture. En comparant la diversité du génome de plus de 300 individus provenant de groupes de chasseurs-cueilleurs forestiers (Pygmées) et d’agriculteurs (Bantous), à l’Ouest et à l’Est de l’Afrique Centrale, cette étude visait à comprendre comment les changements démographiques associés à cette transition ont influencé l’efficacité de la sélection naturelle à éliminer les mutations potentiellement associées aux maladies.

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Populations échantillonnées pour l’étude et modèle démographique des populations reconstitué à partir de données génétiques.

En premier lieu, les chercheurs ont reconstruit par modélisation informatique l’évolution de la taille des populations au cours des 200 000 dernières années à partir de données de séquençage d’exome (i.e.fraction du génome permettant la synthèse de protéines). Contre toute attente, ils ont montré que les groupes de chasseurs-cueilleurs forestiers actuels sont issus de populations ancestrales prospères, dont la taille génétique était comparable à celle des ancêtres des agriculteurs. De plus, leurs travaux ont mis en évidence que des métissages existaient déjà entre les groupes il y a plus de 20 000 ans. Ce n’est que plus récemment, au cours des 2 ,000 dernières années, que ces deux populations ont vécu des histoires démographiques diamétralement opposées puisque la taille des populations de chasseurs-cueilleurs a diminué drastiquement (~ 80%) alors que le nombre de proto-agriculteurs a triplé.

Afin d’évaluer l’impact de ces changements démographiques extrêmes sur les mutations génétiques portées par les chasseurs-cueilleurs forestiers et les agriculteurs, les scientifiques ont mesuré l’efficacité avec laquelle la sélection avait agi pour éliminer les mutations susceptibles d’avoir un impact sur la santé dans chacun des deux groupes. En retraçant les dynamiques d’augmentation ou de diminution du nombre de mutations délétères au cours du temps, par simulation informatique, ils ont pu caractériser le lien étroit qui existait entre ces mutations et la contraction ou l’augmentation des tailles de populations.

Ces données de simulation permettent de prédire que l’efficacité des mécanismes évolutifs de sélection naturelle est similaire dans les deux groupes étudiés, malgré le fait que la sélection naturelle devrait être moins efficace dans les populations de taille réduite, comme celles des chasseurs-cueilleurs. C’est à la fois leur diversité génétique ancestrale très élevée et le mélange intense et continu avec les agriculteurs qui a permis aux chasseurs-cueilleurs de ne pas souffrir d’un excès de mutations délétères participant à la susceptibilité aux maladies. Ces prédictions ont été ensuite vérifiées empiriquement, grâce aux données de séquençage d’ADN. En quantifiant le nombre de mutations portées par chaque individu, ils n’ont détecté aucune différence dans le nombre et la sévérité des variants portés par les chasseurs-cueilleurs forestiers et les agriculteurs.

Ces résultats éclairent la façon dont l’histoire démographique des populations humaines impacte leur risque génétique aux maladies multifactorielles et soulignent l’importance du métissage comme élément majeur réduisant l’accumulation des variants délétères pour la santé humaine.

 

Référence :

The demographic history and mutational load of African hunter-gatherers and farmers.  Nature Ecology and Evolution, 12 Mars 2018. M. Lopez, A. Kousathanas, H. Quach, C. Harmant, P. Mouguiama-Daouda, J. M. Hombert, A. Froment, G. H. Perry, L. B. Barreiro, P. Verdu, E. Patin and L. Quintana-Murci. DOI : 10.1038/s41559-018-0496-4

Contact chercheur

Luis QUINTANA-MURCI
Génomique évolutive, modélisation et santé - GEMS (CNRS / Institut Pasteur)
quintana@pasteur.fr