Le génome du lièvre ibérique garde la mémoire d’un « fantôme » du passé

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Une étude internationale menée au CIBIO/InBio (Portugal) et à l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (Université de Montpellier / CNRS / EPHE / IRD), parue dans la prestigieuse revue Genome Biology, montre que le lièvre ibérique possède de nombreux fragments de génome du lièvre variable, une espèce arctique pourtant non présente dans la péninsule ibérique. Certains de ces fragments ont même envahi les populations ibériques. L’étude explique comment et pourquoi de tels envahissements ont pu se produire, illustrant les conséquences positives et négatives possibles de l’hybridation interspécifique.

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Le lièvre ibérique (Lepus granatensis). Crédit : Pedro Moreira
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Le lièvre variable (Lepus timidus) dans son pelage hivernal, le rendant moins visible par les prédateurs sur la neige. Crédit : Claudio Spadin

Une histoire d’invasion et remplacement d’espèces

Il y a 20 000 ans, le lièvre variable (Lepus timidus) était présent dans le nord de la péninsule, au climat alors arctique. Le lièvre ibérique (Lepus granatensis) était cantonné au sud de la péninsule, au climat plus clément. Le réchauffement climatique postglaciaire lui a permis de coloniser le nord, où il a progressivement remplacé le lièvre variable tout en s’hybridant au passage, et jusqu’à l’extinction de ce dernier. Les auteurs ont simulé les échanges génétiques qui se produiraient sous le seul effet d’un tel remplacement invasif avec hybridation. Les écarts des données par rapport à ces prédictions leur ont permis de révéler les facteurs favorisant ou au contraire empêchant de telles introgressions génétiques.


Des femelles casanières et des mâles colonisateurs

Ce sont principalement les mâles qui ont opéré cette colonisation : en effet le génome mitochondrial (transmis uniquement par les femelles) est resté de type variable dans le nord. Par contre pour le génome nucléaire (à transmission biparentale), les croisements successifs avec des mâles ibériques ont conduit au remplacement quasi-complet du génome variable par l’ibérique. La forte présence du génome mitochondrial arctique dans le nord serait donc le résultat d’un processus accidentel, un simple témoin de la présence passée d’une espèce arctique.

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La fréquence de génomes mitochondriaux d’origine arctique chez le lièvre ibérique. Sur cette carte de la péninsule ibérique, la zone gris clair représente l’aire de distribution actuelle du lièvre ibérique (Lepus granatensis). Chaque camembert donne la fréquence, dans une population de cette espèce, d’individus porteurs de la mitochondrie du lièvre variable, L. timidus (secteur noir du camembert). On ne les trouve que dans la moitié nord de la péninsule, avec une fréquence croissante en s’approchant des Pyrénées. Le lièvre variable était présent dans le nord de la péninsule à la fin de la dernière glaciation, et le lièvre ibérique l’a progressivement remplacé depuis son refuge méridional, à la faveur du réchauffement climatique. Nous voyons ici les « fantômes » de l’hybridation qui a accompagné cette invasion.
D’après doi: 10.1038/srep40788 (2017).Crédit : Pierre Boursot

Les méfaits de l’hybridation

Le mélange des génomes nucléaires a été fortement empêché par la sélection naturelle contre les combinaisons hybrides maladaptées, si bien que malgré ces hybridations répétées, le génome nucléaire du lièvre ibérique ne contient que quelques pourcents du génome variable. Les effets de l’hybridation répétée auraient donc été principalement négatifs.


Les bienfaits de l’hybridation

Toutefois dans un petit nombre de régions génomiques, c’est le génome variable qui prévaut largement, ce qui montre qu’il est favorable. Ces régions contiennent de nombreux gènes impliqués dans l’immunité innée. L’introgression génétique aurait ainsi aidé le lièvre ibérique à lutter contre les maladies parasitaires durant son périple nordique. Ces régions génomiques fortement introgressées contiennent également des gènes impliqués dans la fertilité mâle. Les auteurs émettent l’hypothèse que ceci compenserait les effets délétères des mitochondries variables sur la fertilité des mâles ibériques.


Le bilan

L’étude suggère ainsi trois causes et conséquences possibles des échanges génétiques entre espèces : l’accident démographique (avec effets secondaires potentiellement négatifs), la compensation des effets négatifs de ces accidents, et l’adaptation à l’environnement (effets positifs). 
Les espèces n’évoluent pas indépendamment les unes des autres mais échangent fréquemment et parfois massivement du matériel génétique, pour le meilleur et pour le pire.

 

Cette étude résulte d’une thèse en co-tutelle entre les universités de Porto et de Montpellier, soutenue par Fernando Seixas, et co-encadrée par José Melo-Ferreira (CIBIO) et Pierre Boursot (ISEM), dans le cadre du Laboratoire International Associé « Biodiversity and Evolution » du CNRS-INEE.

 

Références :

Seixas FA, Boursot P, Melo-Ferreira J. The genomic impact of historical hybridization with massive mitochondrial DNA introgressionGenome Biology. 2018;19(1):91. doi: 10.1186/s13059-018-1471-8.

Contact chercheur

Pierre Boursot
Institut des Sciences de l'Evolution de Montpellier (ISEM) (CNRS / Université de Montpellier / IRD / EPHE)
04 67 14 46 86 | pierre.boursot@umontpellier.fr