Formation d'acides alkylsulfoniques dans les glaces interstellaires analogues
La découverte d'acides alkylsulfoniques tels que l'acide méthylsulfonique dans la météorite de Murchison1 a laissé entrevoir la possibilité d'une source de soufre pour les premiers stades de la vie provenant d'un environnement extraterrestre. Ces molécules sont essentielles à la vie sur Terre où elles apparaissent dans différentes biomolécules telles que les coenzymes. Ces travaux ont récemment été confirmés par la mission Hayabusa2, qui a atterri sur l'astéroïde Ryugu et prélevé des échantillons à sa surface. L'analyse de ces échantillons a révélé que Ryugu2 contient les mêmes acides alkylsulfoniques que ceux découverts dans la météorite de Murchison. Si ces matériaux se trouvent dans ces objets du système solaire, comment sont-ils arrivés là ?
Nous savons que Ryugu et Murchison contiennent des matériaux provenant des premiers stades de notre système solaire, ce qui les relie à leur formation à partir de grains interstellaires dans des nuages moléculaires froids. Afin d'expliquer comment les acides alkylsulfoniques se sont formés et ont été incorporés dans Ryugu, ce qui élargirait les possibilités d'utilisation de ces molécules soufrées dans les premiers stades de la vie, des chercheurs de l'université d'Hawaï et de l'Institut de chimie de Nice à l’Université Côte d’Azur ont adopté un processus de formation de ces molécules dans des conditions analogues à celles des nuages moléculaires froids.
En exposant des réactifs connus de la glace interstellaire - le dioxyde de soufre (SO₂), le méthane (CH₄) et l'eau (H₂O) - à une irradiation de haute énergie comme approximation des rayons cosmiques galactiques, les chercheurs de l'université d'Hawaï ont recréé les processus chimiques dans des environnements semblables à des nuages moléculaires froids. Jana Bocková, chercheuse postdoctorale dans le laboratoire de Cornelia Meinert à l'Institut de Chimie de Nice, a mis au point une méthode de détection analytique sensible pour identifier pour la première fois des acides alkylsulfoniques individuels dans ces analogues de glaces interstellaires, expliquant ainsi leur présence dans Ryugu. Cela suggère que des météorites comme Murchison auraient pu livrer des acides alkylsulfoniques à la Terre primitive, fournissant une source cruciale de soufre et donnant potentiellement le coup d'envoi des premiers stades de la vie. Bien que nous soyons encore loin de comprendre les processus chimiques exacts qui ont conduit à la vie sur Terre, à mesure que nous élargissons et explorons le paysage chimique, nous comblons les lacunes de nos connaissances qui pourraient un jour conduire à la première formation expérimentale de la vie.
Cornelia Meinert, directrice de recherche CNRS à l'Institut de Chimie de Nice - ICN (CNRS-UniCA)
Références :
[1] Cooper, G. W., Onwo, W. M. & Cronin, J. R. Alkyl phosphonic acids and sulfonic acids in the Murchison meteorite. Geochim. Cosmochim. Acta 56, 4109-4115, (1992).
[2] Yoshimura, T. et al. Chemical evolution of primordial salts and organic sulfur molecules in the asteroid 162173 Ryugu. Nat. Commun. 14, 5284, (2023).
M. McAnally#, J. Bocková #, A. Herath, A. M. Turner, C. Meinert C* & R. Kaiser I*. Abiotic formation of alkylsulfonic acids in interstellar analog ices and implications for their detection on Ryugu. Nature Communications 15, 4409 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024-48684-5