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Quelques interventions du
débat général de l'aprés-midi
Raja Chatila introduit le
débat de l'aprés-midi en rappelant les régles
établies pour gérer les demandes d'intervention. Il a
été demandé aux intervenants de remplir, au
préalable, une fiche de demande de prise de parole. Les
demandes ayant été nombreuses, les organisateurs ont
exclu les demandes d'intervention des représentants
d'organisations syndicales estimant que ces derniers
avaient eu le temps de s'exprimer lors des forums du
matin.
Monsieur Chatila passe
ensuite la parole au premier intervenant, Pierre Potier,
qu'il remercie pour son accueil.
Pierre Potier
Ce n’est pas comme
hôte que je souhaite m’exprimer ici, mais en tant
que représentant de l’Académie des sciences.
J’ai passé également prés de vingt ans au Comité
national, mais cela appartient au passé.
Les lecteurs d’un certain quotidien du soir
connaissent ma position sur toutes ces affaires.
J’ai eu á y réfléchir lorsque j’étais
membre élu du Comité national. Je l’ai résumée
hier dans l’article que j’évoque ici. J’y
ai également réfléchi lorsque je travaillais á la
direction générale de la recherche et de la
technologie. Je ne suis pas resté á cet endroit
suffisamment longtemps pour y réaliser ce que
j’avais envie d’y faire, mais en observant les
débats actuels, je m’aperçois que la situation est
rigoureusement identique á celle que j’ai eu á
connaître en 1994. Seules les méthodes ont quelque peu
évolué...
Parlons donc des méthodes. En tant que chimiste,
m’exprimant de surcroît á la Maison de la chimie,
je peux vous dire qu’il existe une réaction
(chimique) que nous devrons provoquer : il s’agit de
" faire bouger le systéme ".
J’ai comparé le CNRS á un porte-avions ancré dans
le canal Saint-Martin. Le sens de cette métaphore est
qu’il existe bien des avions qui atterrissent et
décollent de ce porte-avions ; simplement, il
apparaît d’évidence qu’il serait pertinent de
remplacer ledit bâtiment flottant par un aéroport en
dur.
Cela signifie qu’il y a quelque chose á faire. Le
chimiste que je suis a le choix entre plusieurs méthodes
pour mener á bien la réaction envisagée. On peut
envisager une configuration dans laquelle la vitesse de
réaction sera exponentielle et donc éventuellement
explosive – je crains que ce soit ce qui se
passe á l’heure actuelle. Une autre méthode,
beaucoup plus appropriée á mon sens, viserait á mener
la réaction tout aussi intégralement, mais avec un
dégagement d’énergie un peu moins rapide. Je pense
vraiment que nous devons le faire. Nous devons
" bouger ". On peut comprendre que
notre ministre ait comme méthode, ainsi qu’on
procéde dans sa discipline d’origine, de provoquer
des explosions afin d’analyser les réactions de son
objet d’étude. Néanmoins, je lui conseillerais de
moduler le caractére quelque peu expéditif de cette
méthode.
Nous formons une communauté trés attentive, je le sais,
á l’amélioration de la " marche des
affaires ". Nous devons œuvrer dans ce
sens.
Un débat parlementaire : c’est le titre que
j’ai donné á l’article auquel je faisais
allusion plus haut. Je vois dans cette salle des gens qui
ont été, ou sont bien placés pour faire entendre
l’idée que la recherche est un sujet qui concerne
toute la nation. Le ministre veut faire évoluer les
choses en ce domaine. Cette volonté représente une
chance dont il nous faut profiter. Allons-y :
faisons " bouger les choses " ;
mais pas dans n’importe quelle direction...
Claude
Cohen-Tannoudji
J’interviens comme
Pierre Potier en tant qu’ancien membre élu du
Comité national et en tant qu’ancien président
élu d’une des sections du Comité national. Je veux
m’exprimer briévement en insistant sur trois
éléments : les points forts du CNRS ; les
liens avec l’université ; les suggestions
d’amélioration.
Je suis profondément convaincu que le CNRS joue un rôle
essentiel dans l’organisation de la recherche en
France, grâce á la continuité dans l’effort de
recherche et la possibilité de concentration dont il
fait bénéficier ses membres. Le CNRS permet également
de constituer des écoles de pensée qui travaillent sur
le long terme. Je suis personnellement convaincu que,
sans le CNRS, qui a joué un rôle essentiel á la fois
en termes de ressources financiéres et de moyens
humains, le laboratoire Kastler á l’ENS, dont je
fais partie, n’aurait pas pu prétendre aux deux
prix Nobel qui ont de fait couronné ses travaux.
Je pense que l’évaluation de la recherche par le
Comité national est faite trés sérieusement, beaucoup
plus sérieusement qu’ailleurs, que ce soit á
l’université ou dans les autres organismes de
recherche. Nous avons besoin de continuer á bénéficier
de cette évaluation.
Le Comité national permet également d’élaborer et
de porter á la connaissance de l’ensemble des
chercheurs une vision globale de la recherche.
En ce qui concerne les liens avec l’université, il
va presque sans dire qu’en tant
qu’universitaire, je suis moi-même profondément
attaché á l’enseignement ; je ne conçois pas
de recherche sans enseignement, et réciproquement. Ce
préalable étant fait, j’affirme avec force cette
idée que j’ai d’ailleurs cherché á
promouvoir avec d’autres au Conseil national de la
science : vouloir centrer toute la recherche autour
des universités, ainsi que cela se pratique aux
Etats-Unis, est illusoire. Le systéme universitaire
français ne saurait en effet être comparé á son
homologue américain : la sélection des étudiants
et l’autonomie n’existent pas
véritablement ; les services d’enseignement
français sont devenus trop lourds. Quand j’étais
professeur d’université, il y a une vingtaine
d’années, j’avais trois heures de cours par
semaine. Mes collégues américains en ont souvent moins
que cela ; actuellement, ce service
d’enseignement s’éléve plutôt á 4,5 voire 5
heures par semaine, c’est-á-dire qu’il a été
augmenté par un facteur 1,5 -ce qui est extrêmement
pénalisant-, tout particuliérement pour les capacités
de recherche des jeunes maîtres de conférences.
Il est urgent d’améliorer la souplesse du systéme.
Lors du débat que nous avons eu la semaine derniére á
l’Académie des sciences, Alain Aspect a soulevé un
probléme que je considére comme fondamental, celui de
la modulation des services d’enseignement. Au sein
d’un groupe d’enseignants chercheurs, il serait
souhaitable de pouvoir alléger le service
d’enseignement de ceux qui souhaitent se consacrer
particuliérement á la recherche, et alourdir celui des
enseignants chercheurs qui ont renoncé á la recherche.
Or ceci est actuellement impossible. Lorsque l’on
tente de différencier les services d’enseignement
au sein d’un laboratoire, les enseignants chercheurs
qui s’estiment lésés ont la possibilité
d’obtenir gain de cause auprés du Conseil
d’Etat, au titre du principe de non-discrimination
des fonctionnaires d’Etat. A cet égard, je
considére que la fonctionnarisation du CNRS, qu’on
nous avait présentée il y a quelques années comme un
effort d’adaptation et d’assouplissement, est,
sur ce point précis, une trés mauvaise chose.
Je veux terminer mon intervention en évoquant quelques
problémes concrets sur lesquels il me semble souhaitable
et possible d’apporter des améliorations.
Le ministére souhaite favoriser les petites structures,
les petites équipes : j’y suis
particuliérement favorable. Il est trés important de
permettre aux chercheurs doués, imaginatifs, créatifs,
de s’exprimer le plus directement possible.
Approximativement sur le modéle de l’ancien
systéme ATP (Action Thématique Programmée), la
possibilité d’attribuer des crédits CNRS á des
projets sélectionnés, parmi ceux qui seraient proposés
par de telles petites équipes, me paraît constituer une
piste particuliérement intéressante á étudier.
Cette idée n’est pas sans présenter une
difficulté qu’on n’a pas manqué de me
mentionner : un jeune chercheur en post-doctorat qui
démarrerait ainsi un tel groupe de recherche ne serait
pas titulaire de l’habilitation á diriger des
recherches et ne serait pas autorisé en principe á
mener á bien son projet. Mais, lá encore, il
s’agit d’un probléme d’organisation qui
devrait pouvoir être résolu sans grande difficulté.
En ce qui concerne les postes d’accueil, je pense
qu’il est trés important de développer leur
proportion au sein du CNRS, afin de pouvoir faire
bénéficier des universitaires en phase
" productive " d’un détachement
qui leur permette de mener leurs travaux de recherche
dans des conditions plus optimales.
Nous souffrons tous de l’alourdissement des
procédures. Nous devons améliorer la souplesse de
fonctionnement de notre organisme. J’envie beaucoup
mes collégues américains qui peuvent passer une
commande de matériel par téléphone en indiquant un
numéro de carte de crédit et être livrés le
lendemain... Nous n’en sommes pas encore tout á
fait lá en France... Il s’agit d’une
évolution qui serait trés positive...
Enfin, nous avons beaucoup parlé des laboratoires
propres et de leur éventuelle suppression. J’ai
d’ailleurs beaucoup apprécié le discours du
médaillé d’or Pierre Potier. Je pense qu’il
existe d’excellents laboratoires propres et que
ceux-lá doivent subsister. Je suis membre du conseil
scientifique d’un institut Max Planck, qui est
l’équivalent allemand d’un laboratoire propre.
Quand un professeur part á la retraite et quitte un
institut Max Planck, le conseil scientifique se demande
si l’on va maintenir ou pas le laboratoire
correspondant. Nous ferions bien de nous inspirer de
cette maniére de procéder, et ne pas hésiter á faire
évoluer radicalement ceux de nos laboratoires propres
qui auraient perdu de leur capacité de création.
Le rôle du
Comité national
Patrick MONTFORT
Je suis chargé de
recherche au CNRS. Je voulais simplement resituer le
débat riche et important que nous avons aujourd'hui, et
que nous devrons poursuivre, en rappelant que le monde de
la recherche française ne se limite pas au CNRS. Nous
devrons nous attacher á impliquer encore plus, qu'ils ne
le sont actuellement, les autres organismes. Dans le
réseau que tous ensemble nous formons, il y a des EPST,
mais aussi des EPIC - qui peuvent avoir une activité
commerciale - ainsi que les universités. Je pense que ce
sont ces derniéres qui constituent le maillon faible de
notre réflexion. Elles sont représentées ici
aujourd'hui. Ce serait d'ailleurs l'occasion de
souligner, á l'intention du ministére, que le Comité
national ne représente décidément pas que le CNRS ;
mais cela a déjá été fait plusieurs fois.
Profitons-en pour approfondir et élargir le débat, sans
nous laisser enfermer dans un cadre juridique étroit par
notre autorité de tutelle.
Jean-Pierre Dedieu
Je n’avais pas
consulté Patrick Monfort et, pourtant, mon intervention
va dans le même sens que la sienne. Nos débats ont
été trés riches, mais je voudrais que nous gardions
présent á l’esprit le fait qu’ils ont une
finalité précise. Nous avons un message, peut-être
urgent, á faire passer au ministére. Pour autant que je
sache, les projets de décret ont été retardés, mais
ils n’ont pas disparu. Par ailleurs, nous allons
devoir faire des propositions, choisies parmi la
quantité importante de pistes qui ont été évoquées
aujourd’hui. Ces propositions devront être
hiérarchisées et mises en cohérence.
Je me demande s’il ne faudrait pas en outre que nous
réfléchissions maintenant aux moyens d’action que
nous allons devoir mettre en œuvre pour faire passer
rapidement ledit message á notre autorité de tutelle.
Jacques Dupont-Roc
Le Comité national
n’est pas seulement un organe
d’évaluation ; il est aussi un organe
essentiel de concertation, qui est utilisé par la
direction du CNRS comme interface de dialogue avec la
communauté scientifique. Ce qui fait la force de la
direction du CNRS, c’est précisément sa capacité
d’échange avec le Comité national. Le ministére
s’est récemment encore dit ouvert á un tel
dialogue. Or c’est ce même ministére qui tarde á
rétablir un mécanisme essentiel d’échange entre
le Comité national et lui-même : la présence de
représentants du ministére au sein des commissions
scientifiques. Il y a urgence á rétablir cet interface
d’échange.
Yves Meyer
Je m’exprime ici en
tant que membre du conseil national de la science. Nous
nous sommes réunis le 22 octobre dernier et, pendant les
dix heures que nous avons passées en sa compagnie,
Claude Allégre nous a fait part de ses projets et de ses
inquiétudes. J’ai été séduit par la pertinence
des questions posées par le ministre. J’ai aimé
l’aspect polémique et provocateur de ses remarques.
Lors de cette premiére réunion, le ministre a posé les
questions suivantes :
- la science produite
par le CNRS a-t-elle une influence réelle sur le
développement économique, social et culturel du
pays ?
- la science produite
par le CNRS a-t-elle le niveau international
souhaité ?
Les réponses
" langue de bois " ont toujours
été :
" Oui, par définition, nous sommes les
meilleurs et le pays a besoin de ce que nous
faisons ! Plus on donnera d’argent au CNRS,
plus la science de haut niveau sera produite, plus
l’industrie française sera innovante et plus elle
créera d’emplois ".
Le ministre donne des réponses différentes. Se fondant
sur le nombre d’articles publiés, de citations, de
brevets, et sur d’autres critéres, il juge que le
niveau de la science française reste bon dans la plupart
des domaines et excellent dans certains, mais que celui
de l’innovation technologique faiblit de façon
inquiétante.
Résoudre ce probléme de l’innovation technologique
n’a rien d’évident. En y réfléchissant, il
m’est venu á l’idée que le ministre utilise
en quelque sorte la méthode du " recuit
simulé ". Je rappelle que cette technique
expérimentale consiste á faire monter la température
d’un organisme pour le pousser á trouver par
lui-même une nouvelle configuration d’équilibre.
Cependant, il faut noter qu’un principe primordial
afférent á cette technique consiste á interdire á
l’expérimentateur toute intervention autre que
celle, initiale, concernant l’élévation de la
température de l’organisme étudié.
En l’occurrence, et pour quitter la métaphore, dans
le domaine qui nous occupe, il serait absolument tragique
que le ministre cherche á faire passer en force son
projet de décret. Certes, c’est grâce á la
qualité de " l’agit-prop "
ministérielle que nous vivons une journée
d’échanges aussi riche que celle
d’aujourd’hui. Mais c’est maintenant á
nous, Comité national, de mener les réformes
nécessaires, lá où elles sont nécessaires.
L'évaluation de
la recherche
Alain Blanchard
Mon intervention est dans
l'esprit de plusieurs contributions précédentes. Je
voulais souligner le fait qu’á mon sens, le rôle
du Comité national est reconnu bien au-delá du CNRS, et
tout particuliérement du côté des universités. Je
pense, par exemple, qu’aucune université
raisonnable ne lancerait un projet scientifique sans
avoir vérifié la pertinence de celui-ci auprés du
Comité national. Je propose donc concrétement au
ministére de s’appuyer beaucoup plus fortement sur
le Comité national en matiére d’évaluation, en
évitant au maximum un systéme de double évaluation.
Mohamed Jouini
Je tiens á exprimer mon
attachement á l’existence d’une instance
unique d’évaluation de la recherche pour les
chercheurs et les enseignants chercheurs. Cette unicité
de l’évaluation de la recherche, de ses critéres
– qualitatifs et non quantitatifs –
doit par ailleurs favoriser la mobilité réelle des
personnels entre ces deux corps et dans les deux sens.
Cependant, il va de soi que cette évaluation ne saurait
être commune aux deux corps qu’en matiére de
recherche, car les enseignants chercheurs doivent bien
évidemment être également évalués sur le volet
pédagogique de leur activité.
Les relations
CNRS-universités, les unités propres
Alain Costes
Je tenais á apporter mon
témoignage d’ancien membre du CNRS, passé á
l’enseignement supérieur et aujourd’hui
président d’université. Mon propos se veut trés
clair : je veux m’inscrire en faux contre tous
ceux qui actuellement usent d’allégations
concernant une éventuelle divergence de vues entre le
monde universitaire et le CNRS.
Par ailleurs, ainsi que l’ont déjá fait le Comité
national, le CNRS, la conférence des présidents
d’université, nous devons rechercher des synergies
toujours plus fortes entre nos deux organismes car nous
tous – chercheurs, enseignants chercheurs, ITA,
ATOS et doctorants – constituons la grande
famille de la recherche publique française. Nous ne
devons pas l’oublier.
Nous sommes de surcroît complémentaires. Quitte á
verser dans la caricature, je dirai que l’enseignant
chercheur est celui qui apporte au laboratoire le
" matériel " de base, á savoir
l’étudiant. Le chercheur est celui qui apporte sa
capacité de recherche á temps plein. L’avenir de
notre recherche publique passe incontestablement par les
unités mixtes CNRS-université.
Je suis persuadé, pour le vivre depuis plusieurs
années, que CNRS et universités sont faits pour
fonctionner de concert ; travaillons ensemble, et ne
nous laissons pas gagner par la crédulité á propos des
discours généraux qui ne concernent pas la réalité du
terrain.
Brigitte
Navelet-Noualhier
Je veux citer le cas de
certaines unités propres qui ont été transformées en
ERS (équipes en restructuration) ou en équipes
" postulantes ", au prétexte que
l’on attendait le temps de leur
" UMRisation ". Je me demande dans
quelle mesure le CNRS ne va pas lá un peu vite en
besogne puisque que le ministére nous a explicitement
indiqué que les budgets d’accueil par les
universités des unités propres n’étaient
absolument pas prêts. Le CNRS a-t-il la possibilité de
surseoir á la décision de transformer des UPR (Unités
Propres de recherche) en autres structures, en attendant
que le Ministére ait pris les dispositions nécessaires.
Raja CHATILA
Je pense qu’il
n’y a sans doute pas lieu de répondre
immédiatement á cette question.
Yves-Charles Zarka
Je présuppose que
l’évaluation réalisée par le Comité national est
de bonne qualité. Si je fais cette supposition, c'est
bien entendu parce que je le pense, mais aussi et surtout
pour mettre entre parenthéses le probléme de
l'évaluation. Si l'on accepte cette prémisse, on doit
dire qu'une fois qu'une unité a été évaluée, il faut
en tirer les conséquences touchant son statut,
c'est-á-dire qu'il faut la mettre en restructuration si
elle a besoin d'une réorganisation pour renouveler son
projet scientifique, ou la pérenniser si elle donne
satisfaction sur le plan scientifique. Dans l'application
du résultat de l'évaluation au statut de l'unité, il
ne faut pas tenir du type de structure. Qu'il s'agisse
d'une UMR (Unité Mixte de Recherche), d'une UPRESA
(Unité propre de l'enseignement supérieur), d'une URA
(Unité de recherche associée) ou d'une UPR (Unité
propre de recherche du CNRS), il n'y a aucune raison
scientifique de privilégier une structure plutôt qu'une
autre. Il n'y a, par exemple, aucune bonne raison
scientifique de décréter a priori que les UPR doivent
disparaître, ce qui est sous-entendre que par principe
les UPR ne sont pas bonnes. Ce qui est absolument faux.
S'il ne faut pas privilégier un type de structure sur un
autre, c'est parce que les structures ne sont pas des
fins en soi mais des instruments dont la diversité
correspond le plus souvent á la diversité des maniéres
dont les unités s'inscrivent dans l'espace
institutionnel.
Or il n'y a , je le répéte, aucune bonne raison
scientifique ou institutionnelle qui ferait que les UPR
comporteraient a priori une insuffisance. Par exemple,
est-il légitime de reprocher aux UPR de ne pas avoir de
liens avec l'université ou d'en avoir trop peu ? Si cela
était vrai ce serait manifestement une insuffisance.
Mais cela est faux. Il faut une singuliére ignorance du
fonctionnement des UPR pour croire que dans l'expression
"Unité propre" (du CNRS) le terme
"propre" signifie sans liens avec
l'université. C'est le contraire qui est vrai. En effet,
alors qu'une UMR est enracinée dans son université de
rattachement et se trouve donc en relation quasi
exclusive avec elle, les UPR fédérent souvent un
courant de recherche dans un grand nombre d'université
(en France et á l'étranger). C'est ainsi que les choses
se passent dans les faits. On aboutit donc á un paradoxe
extraordinaire : en demandant á certaines UPR de devenir
des UMR, on n'accroît pas leurs relations avec
l'Université mais on les restreint. Par ailleurs, si on
supprimait les UPR, que resterait-il du CNRS ? Que
resterait-il d'autre du CNRS qu'une instance purement
administrative ? Comment le CNRS pourrait-il s'adresser
d'égal á égal á l'Université ? On aboutirait á
cette Caisse nationale de la recherche dont personne ne
veut (ou feint de ne pas vouloir). Si l'on supprime les
UPR, on réduit le CNRS á une structure administrative
(cela est d'autant plus vrai que le Comité national
comme instance d'évaluation est lui aussi remis en
question). Ce qui revient á dire qu'on réduit le CNRS
au siége 3 rue Michel-Ange. C'est pour cela que l'idée
d'un rôle pré-universitaire du CNRS me paraît
extrêmement dangereuse pour le CNRS et pour la recherche
française dans son ensemble. Il faut que chacun
comprenne que l'on ne résoudra pas les graves problémes
de l'université en vidant le CNRS de sa substance
scientifique.
Pour conclure, je tiens á dire que nous ne saurions
mettre un terme á nos échanges á la fin de la
présente journée. Il faut que la réflexion soit
poursuivie dans le cadre d'assises de la recherche.
Celles-ci devraient pouvoir être organisées dans
quelques semaines ou dans quelques mois.
André Ducasse
Je suis professeur á
l’université Bordeaux I. Je veux témoigner á
propos de l’impact régional du CNRS.
L’existence d’une référence nationale telle
que celle du CNRS lors du lancement d’un projet de
recherche est primordiale, notamment vis-á-vis des
partenaires financiers régionaux.
Il faut donc á tout prix préserver le CNRS, même
s’il est également vrai que celui-ci a besoin
d’évoluer en termes de souplesse de fonctionnement
et d’ouverture vers le monde économique, d’où
proviennent du reste de nombreux appels.
Charles Zelwer
Je suis élu en section
21, et adhérent á la CFDT. Je n’interviens pas á
ce titre, même si je tiens á le mentionner, puisque les
syndicats ne peuvent pas s’exprimer en tant que
tels.
Nous avons réclamé cette réunion du Comité national
au mois d’octobre, au moment où le
" rouleau compresseur " était en
route, puisque le 4 novembre était prévue une réunion
de la commission technique paritaire du CNRS pour
entériner les premiers projets de décret. L’un des
fruits de l’appel á notre réunion
d’aujourd’hui a été d’interrompre ce
processus.
Mais ce temps de la réflexion que nous connaissons en ce
moment n’est pas une fin en soi. Il doit faire place
á l’organisation d’un grand débat national
sur la recherche, qui doit impliquer également le monde
économique, le monde politique et
l’université.
L’un des défauts de la " méthode
Allégre ", qui a d’ailleurs été
évoqué, consiste á susciter des réflexes de défense
corporatistes, ce qui est bien légitime :
lorsqu’on est attaqué, on est obligé de se
défendre. C’est d’ailleurs ce qui s’est
produit ce matin, et cela correspond á l’impression
que j’ai eue en entendant les rapporteurs des
différents forums.
Si nous voulons organiser un débat national, nous devons
pouvoir établir un bilan des défis, notamment en termes
d’insuffisances, que notre organisation de la
recherche a á relever, et cela en nous situant au-delá
des provocations du ministre. Cela reste á faire. Je le
regrette.
Le monde de la recherche évolue. Certains de ses
secteurs demandent aujourd’hui une organisation
quasi industrielle. Je pense par exemple aux recherches
sur le génome ou sur les thérapies géniques.
Lorsqu’une organisation spécifique s’avére
nécessaire, celle-ci se fait hors du cadre du CNRS.
En matiére de valorisation, nos instances
d’évaluation – le Comité
national – sont-elles en mesure
d’apprécier la production des chercheurs qui ont
des activités trés diversifiées ? Actuellement,
je pense que non. Nous ne savons en réalité
aujourd’hui évaluer qu’un seul type de
recherche, celle qui est valorisée par publication. Nous
devons débattre de la maniére d’étendre les
capacités d’évaluation de nos instances.
C’est ce débat qu’il nous faut lancer.
Sur les acteurs de la recherche : trouve-t-on normal
que des chercheurs développant le même type
d’activité dans des EPST différents ne puissent
facilement changer d’organisme et soient pénalisés
lorsqu’ils exercent leur activité en dehors de
l’organisme qui les emploie ? Il n’y a pas
de solution á ces difficultés tant que des concours
sont nécessaires pour permettre la mobilité. De même
pour les échanges entre chercheurs et enseignants
chercheurs des universités.
Enfin sur les structures et les moyens, le probléme de
l’organisation de la direction du CNRS n’a pas
été abordé alors que celle-ci a été la premiére
cible des projets de décret. Quel doit être le rôle du
Président ? celui du directeur général ?
Comment et par qui doivent-ils être nommés ? De
même pour les directeurs de départements scientifiques.
Quelle doit être leur marge d’initiative et avec
quels moyens ? Que penser du rôle du Comité de
direction du CNRS, instance clé des plus opaques.
Actuellement il gére le budget de l’organisme á
partir de compromis dictés par les rapports de force
entre disciplines différentes, alors qu’un regard
extérieur est indispensable pour faire une politique.
Il est nécessaire de faire appel á un niveau
hiérarchique supérieur, en l’occurrence le Conseil
d’administration. Celui-ci doit pouvoir fonctionner
de maniére transparente et avoir de vraies
responsabilités. De même, les directeurs de
départements doivent avoir de vraies délégations leur
permettant de prendre de réelles initiatives, et de
lancer eux aussi des programmes, sans temps de retard.
Si l’on veut répondre á Allégre, ce sont ces
questions qu’il nous faut trancher. Nous avons plus
que jamais besoin de ce grand débat national sur la
recherche.
Raja CHATILA
Nous sommes bien
d’accord sur la conclusion...
Michel Combarnous
J’interviens en tant
que président de la commission
" Recherche " de la Conférence des
Présidents d’Université (CPU), pour quelques jours
encore en tout cas, puisque nous avons des traditions de
rotation dans cette instance.
Malgré ce que vient de dire l’intervenant
précédent, je crois que l’on peut diriger un
département CNRS, tout aussi bien qu’une
université, d’ailleurs. Il est vrai, et je ne crois
pas échapper á cette régle, que l’on a toujours
de la tendresse pour ses activités passées ou
présentes ... Le mécanicien que je suis, qui, ce matin,
faisait tourner des toupies dans un amphithéâtre un peu
moins peuplé que celui-ci, sait aussi qu’une
voiture, toute dirigeable qu’elle soit, peut aussi
faire des embardées. Ces embardées peuvent avoir deux
origines : la mauvaise qualité du conducteur -et, pour
ma part, je ne me permettrai de parler ni du président
du conseil d’administration du CNRS ni de son
directeur général- , et d’autre part, la mauvaise
qualité du route book. Qui est le responsable du route
book en l’affaire qui nous réunit
aujourd’hui ? Mais, comme dirait KIPLING, "ceci
est peut être une autre histoire" .
Qui est-ce qui a alerté la Conférence des présidents
d’université au point que celle-ci ait émis, le 19
novembre dernier, un texte á propos des relations entre
le CNRS et l’université ? On a souvent dit que le CNRS s’était par le passé
porté au secours des universités en créant des
équipes associées. Nous n’allons pas faire parler
les absents, mais j’ai eu l’occasion, il y a
longtemps déjá, de m’entretenir de ce sujet avec
Pierre JACQUINOT : durant l’aprés-guerre, lorsque
les universités ont commencé á monter en puissance,
les laboratoires propres ont commencé á "être en
manque" des meilleurs étudiants. Et c’est
ainsi que sont nées les premiéres unités associées,
sous l’effet d’une symbiose nécessaire,
qu’il ne faut pas oublier (symbiose dont
universités et CNRS ont tous deux été précédemment
bénéficiaires). Dans le contexte actuel, il nous a
semblé, en Conférence des Présidents
d’Université, nécessaire de souhaiter que
certains, dans un réflexe de défense, n’en
viennent pas á recourir á des visions inexactes de la
maniére dont les universités, celles trés fortement
liées aux grands organismes en particulier, pilotent
leur politique scientifique, même si elles ont encore,
avec l’aide du CNRS d’ailleurs, bien des
progrés á accomplir.
Du fait de mon absence de ce matin, j’ai procédé,
á mon arrivée ici, par sondage et interrogé une
trentaine de personnes que je pense bien connaître -
dont je crois connaître la "fonction
caractéristique propre" (en termes de capteurs) -
pour leur demander leur impression. Le résultat est
assez étrange, mais il donne une bonne idée du danger
auquel nous nous trouvons confrontés : 20 á 25% des
gens, des personnes "raisonnables et
distinguées", considérent qu’il s’est
dit des choses plutôt policées et en tout cas trés
intéressantes. Les autres "crient au loup",
considérent qu’on leur a dit des choses
abominables, présentées sous forme provocante á
l’excés, qu’ils auraient cependant pu
entendre, voire apprécier, si on les leur avait dites
sur un mode plus conciliant. Il y a lá un enjeu majeur
de nos débats dans le fait de réussir á faire les
parts respectives de l’angélisme et de la
provocation au sein des différents discours qui nous
sont tenus, voire que nous tenons.
Je dois dire, pour en venir au fond, que mon impression
personnelle concernant les propos des différents
rapporteurs qui, certes, ont fait un travail assez
colossal est trés influencée par leur large recours á
la langue de bois que nous pratiquons souvent beaucoup.
Or, il nous faut, en permanence, proposer et mettre en
œuvre des mesures rigoureuses et précises. Pour ne
choisir qu’un seul exemple, quand j’entends en
proposition 9 du groupe Evaluation qu’il faudrait
veiller á savoir si les commissions se sont
"servies", je ne peux m’empêcher de me
souvenir que dés janvier 1981, au sein de ce qui est
devenu par la suite la section 8, nous avons publié ce
taux "d’auto-service". En six mois, la
situation a été régulée. Pourquoi n’avons-nous
pas généralisé, maintenu et fait connaître, en
interne et en externe, réguliérement, cette pratique
utilisée il y a déjá prés de vingt ans? Au-delá de
l’idée d’un grand débat, il nous faut donc,
je crois, nous attacher á prendre des mesures précises,
trés concrétes et faciles á expliquer. En ce qui
concerne l’idée d’un débat, d’ailleurs,
je reprendrai la suggestion de Pierre POTIER : c’est
le Parlement qui est l’espace le plus approprié á
cet égard.
Au-delá des mesures techniques concrétes indispensables
á mettre, bien sûr, plus rapidement en œuvre dans
nos établissements respectifs, il y a aussi des grands
thémes sur lesquels nous ne serons pas tous d'accord.
L’un d’entre eux, par exemple, est
l’articulation entre la recherche de base, la
valorisation et l’innovation ou, exprimé d’une
autre maniére, le rôle de la recherche dans la
société en terme d’action. Nous n'allons pas
refaire le colloque de 1982, au cours duquel Philippe
LAZARD s'était montré, sur les sujets du faire,
savoir-faire et faire savoir, un orateur brillant, mais
beaucoup reste á concevoir et inventer sur ce théme.
Un second théme, la position de la recherche active et
de ses résultats constamment renouvelés, dans
l’enseignement. Certes, il est précieux
d’ouvrir á l’Université l’esprit de
chacun de nos étudiants aux résultats de la recherche,
souvent placés dans une perspective historique. Mais en
tant qu’enseignant, je me permets de rappeler que ce
n’est pas, bien sûr, la seule chose á faire.
Certes, on peut, en mécanique, dés le premier cycle,
émerveiller les beaux esprits sortis du baccalauréat et
tenter d’en faire des savants, mais il y a une
progressivité á respecter dans ce domaine.
Troisiéme théme enfin : le rôle des "visiting
committee", des conseils scientifiques, etc. Nous
connaissons tous les comportements différents de groupes
humains de tailles différentes. Il ne s’agit pas
lá d’un référentiel 3, 5, 8, mais plutôt 4, 12,
25 !
Des groupes de 25, par exemple, les sections du Comité
national, fonctionnent sur le régime dit
d’assemblée. C’est une taille adaptée pour
prendre ou acter des propositions représentatives
d’une collectivité. L’effectif de 12, 12 ou
13, celui du psychodrame est bien adapté aux débats,
aux affrontements d’idée, á la prospective. Les
groupes de plus petite taille, parfois cités dans
certains projets, présentent enfin, quant á eux, le
danger de prises de position non représentatives. Ce
long développement, pour insister de nouveau sur la
nécessité d’une trés grande précision dans la
définition des groupes humains auxquels nous faisons
appel.
Autre exemple enfin, toujours sur les conseils
scientifiques : un conseil scientifique n'élabore jamais
en tant que tel une politique scientifique. En
revanche, et cela est primordial, il joue un rôle
essentiel en matiére de définition, de respect et de
garantie d'une méthodologie.
C'est sur ces points qu'il nous faudrait débattre...
J'en arrête l'énumération pour aujourd'hui.
Les environnements turbulents, et ce colloque semble
attester que la période actuelle reléve peut être de
cette situation, présentent l'intérêt de permettre la
mesure de la cohésion d'un groupe. Mais il ne faudrait
pas que la recherche de la cohésion nous conduise á la
frilosité. Et c'est pour cela, d’ailleurs, que les
provocateurs, lorsqu’ils vont trop loin, peuvent
parfois être considérés comme des conservateurs.
Les acteurs de la
recherche - le métier de chercheur
Michel Ché
Le théme de notre
journée est "la recherche demain". Aussi, je
voudrais apporter un témoignage et attirer l'attention
de nos tutelles sur la difficulté a résoudre le
probléme important de la transmission des
responsabilités notamment aux plus jeunes qui incarnent
la recherche de demain.
Arrivé au terme de mon mandat de directeur d'URA, j'ai
tente par trois fois de trouver un successeur. Notre
laboratoire étant URA et donc implanté á
l'université, il semblait judicieux que le futur
directeur soit professeur. Les trois candidats successifs
pressentis ne l'étant pas, j'ai tenté d'obtenir un
poste. Cela implique un processus multiétapes compliqué
(discussion avec le CNRS, obtention de l'habilitation á
diriger des recherches, inscription sur les listes de
qualification aux fonctions de professeur, ouverture d'un
poste de professeur, approbation par le conseil
d'administration de l'université pour l'ouverture du
poste et in fine accord sur le candidat choisi).
La probabilité pour que le meilleur candidat retenu soit
sollicité par ailleurs est d'autant plus grande que le
processus invoqué ci-dessus s'étale sur plusieurs mois,
une, voire deux années. Ainsi des trois candidats qui
m'avaient donné leur accord, le plus jeune, allemand,
est maintenant full professeur et directeur du
département de chimie d'une université aux Pays-Bas. Le
second, français et également trés jeune, s'est vu
confier la direction d'un département trés important
dans l'industrie. Quant au troisiéme, français et le
plus senior, il est maintenant full professeur dans une
université en Angleterre. J'ai donc finalement renoncé
á la solution professeur et ai trouvé mon successeur au
sein du CNRS. Il est hélas du même âge que moi.
En dépit de la volonté affichée par nos tutelles de
donner plus de responsabilités aux jeunes, force est de
constater qu'il est difficile en pratique d'atteindre ce
but. Pourquoi ne peut-on réussir á recruter rapidement,
alors que les universités anglaises ou hollandaises et
l'industrie y parviennent ? Il appartient á nos
instances de tutelle de considérablement simplifier les
procédures afin que notre échelle de temps pour prendre
une décision corresponde á celle de nos voisins et ne
constitue plus un handicap pour recruter ou promouvoir
des jeunes de talent.
Jean-Noël Rouzaud
Je suis membre du conseil
d’administration, élu CFDT. Mon intervention porte
sur le théme des emplois scientifiques.
Pour qu’un organisme comme le CNRS ait les moyens de
mener une véritable politique scientifique, il faut lui
maintenir la possibilité de créer et de gérer des
unités propres. Mais il faut aussi le doter en moyens
financiers et humains propres, que ce soit en termes de
chercheurs ou d’ITA. Nous sommes favorables au
maintien du statut propre des chercheurs et ITA des EPST,
mais nous souhaitons aussi favoriser une plus grande
mobilité des personnels entre les EPST, et entre le CNRS
et les universités. Nous préférons cette solution á
celle d’une mutualisation, notamment celle des ITA,
qui nuirait á la pérennité de l’efficacité des
équipes de recherche.
En ce qui concerne le rajeunissement des personnels
permanents de nos organismes, force est de constater que
cette population vieillit, car les recrutements sont de
plus en plus rares, quoi qu’on en dise, notamment
pour les ITA, et de plus en plus tardifs, notamment pour
les chercheurs. Pourquoi donc ne pas favoriser le
recrutement de jeunes chercheurs et ITA, ce qui
rajeunirait les effectifs et, de surcroît, par
l’intermédiaire d’une politique originale de
cessation progressive d’activité, favoriserait la
continuité de nos activités ?
Dans ce contexte, qu’attend notre ministre pour
rendre au CNRS les 1 000 postes d’ITA qui ont
été confisqués par le gouvernement précédent ?
Peut-être ignore-t-il le rôle essentiel joué par les
ITA dans les équipes de recherche et les laboratoires...
Une recherche dynamique fonctionne sur la base
d’objectifs ambitieux et novateurs, mais pas sans
l’appui d’un personnel motivé et reconnu.
Aussi sommes-nous attachés á l’existence de
véritables instances consultatives aux niveaux des
départements scientifiques, des laboratoires et des
délégations régionales. Nous revendiquons une
évaluation des laboratoires, des équipes et des
individus. Cette évaluation doit être réguliére,
collective, transparente et constructive. Une expertise
ponctuelle, individuelle, externe, même si nous ne
l’écartons pas a priori, ne peut être
qu’un élément parmi d’autres du dispositif
d’évaluation. Nous faisons donc le choix résolu
d’un systéme où les élus sont majoritaires, car
ce sont bien souvent les meilleurs représentants de la
communauté scientifique.
L’innovation et le transfert technologique sont
aussi au centre de nos réflexions. Réfléchir á propos
de l’impact de la recherche sur l’économie et
notamment sur l’emploi est légitime. Cependant, un
bon moyen de concilier transfert technologique et emploi
consiste á pousser les entreprises á embaucher les
milliers de jeunes formés chaque année dans nos
laboratoires á et par la recherche
– qu’il s’agisse de stagiaires
d’IUT, de jeunes maîtres ou de jeunes docteurs. Des
moyens incitatifs existent, par exemple le crédit impôt
recherche.
Vous le voyez, on peut être syndicaliste et
s’affranchir de tout corporatisme ; se battre
pour un service public de recherche rénové, qui soit
véritablement au service d’une société plus juste
et plus libre de ses choix.
Henri Audier
Avant d’évoquer le
probléme des statuts, je voudrais dire deux mots á mon
" ami de trente ans " Pierre Potier.
Pierre, je voudrais t’approuver quand tu dis que la
provocation n’est pas la meilleure méthode pour
faire avancer les choses. Je pense d’ailleurs que
tout le monde se demande ici quel était le but des
diverses provocations que nous a lancées Vincent
Courtillot ce matin.
Mais tu as été toi-même directeur de la recherche á
l’époque où une certaine réforme Bigot faisait
disparaître la moitié des équipes du CNRS ; où
des chercheurs étaient envoyés á l’université
comme " bouche-trous " parce
qu’on ne leur créait pas de postes ; où
l’on procédait á un pilotage politique á
l’image de celui que l'on craint aujourd'hui
etc…
J’en reviens au probléme du statut du chercheur. Je
pense qu’il est nécessaire d’aller vers un
systéme où il y aura beaucoup plus d’échanges
entre organismes, ainsi qu’entre les organismes et
l’université. Il faut assouplir le systéme
existant. Vous avez applaudi á l’évocation de la
re-contractualisation des chercheurs . Sur la base
du point de vue précédent, on peut commencer tout de
suite mais on commence par les professeurs de classe
exceptionnelle.
Plus sérieusement, pour lever les obstacles, il faut que
cette mobilité soit organisée statutairement.
L'obstacle majeur á la mobilité des chercheurs vers
l'université est les conditions et le temps de travail
des universitaires faisant vraiment de la recherche. Il
faut diminuer de moitié environ le temps
d’enseignement des enseignants qui se consacrent á
la recherche á haut niveau.
Dés aujourd’hui, il faut aussi se fixer
l’objectif de développer les postes d’accueil
d’enseignants chercheurs dans nos laboratoires et le
passage volontaire mais incité par une promotion des
chercheurs vers le supérieur.
Jusqu’á présent, l’idée d’un corps
unique a été proposé par tous les gouvernements pour
diminuer le potentiel de recherche et ne pas créer de
postes d'enseignants chercheurs d'où le rejet constant
de ces projets. L’une des conditions essentielles á
la réussite de ces échanges est que, á un temps T
donné, la proportion de chercheurs á temps plein des
unités de recherche reste constant quel que soit leur
statut antérieur de ces chercheurs.
Bernard Jacq
Plusieurs orateurs ont
souligné qu’il était essentiel de pouvoir
continuer le débat trés riche qui s’est instauré
aujourd’hui et qui est la prolongation de ce qui a
été initié il y a un mois un peu partout en régions.
J’aimerais donc que nous puissions débattre des
méthodes qui seront les plus appropriées pour
poursuivre ces échanges dans le futur, afin d'avoir un
véritable débat, non seulement sur la réforme du CNRS,
mais aussi sur celle plus urgente de l'université, en
liaison avec le CNRS.
Je voulais en outre intervenir á propos de la demande
sociale et de sa prise en compte par la recherche :
qui évalue cette demande sociale? Qui en sont les
acteurs ? Quelles en sont les structures ?
Aujourd'hui, seuls les médias véhiculent une certaine
demande sociale. Je voudrais lier recherche et
démocratie en évoquant l’idée qu’il nous
fallait aussi nous tourner vers les élus de la nation
qui sont légitimement lá pour relayer cette demande. Je
reprendrai donc la suggestion qui a été faite notamment
par monsieur Potier et par monsieur le président de la
CPU, concernant le fait de nous adresser aux
représentants de nos concitoyens au niveau national mais
aussi régional, local et même européen.
Un Comité national fort, représentant la communauté
scientifique nationale, doit être un organe de dialogue
institutionnel avec les représentants de la nation en ce
qui concerne l’importance accordée á la recherche
par le pays. Il y a, en l’espéce, de la place, me
semble-t-il, pour un renforcement du rôle du Comité
national.
Alain Aspect
Je voulais évoquer á
nouveau le théme de la souplesse de la carriére des
chercheurs/chercheuses : le probléme du
" corps unique ", ou
" carriére unique " – je
ne suis d’ailleurs pas sûr qu’il s’agisse
lá d’expressions trés pertinentes.
Lorsque l’on vit dans une unité mixte de recherche,
on côtoie á la fois des chercheurs plein temps et des
jeunes maîtres de conférences qui essaient de continuer
á faire de la recherche á haut niveau tout en étant
accablés par des services beaucoup trop lourds. On
éprouve alors un sentiment d’injustice, notamment
dû á cette impression que les statuts respectifs de ces
personnes semblent figés á vie.
Si on veut lutter contre cet état de fait, on se heurte
au probléme de l’uniformité des services des
enseignants chercheurs. Il me semble aberrant que les
services d’enseignement soient les mêmes pour un
jeune maître de conférences trés impliqué dans un
groupe de recherche expérimentale qui travaille jour et
nuit, et pour un enseignant chercheur qui a mis
l’accent - pour des raisons trés valables- sur
l’enseignement ; pour un enseignant qui assure
des travaux dirigés répétitifs dans une discipline
assez simple en premier cycle, et pour un autre
enseignant qui a mis au point et qui encadre des travaux
pratiques de haute technologie au niveau maîtrise, par
exemple en optoélectronique ou en biochimie. Comment
peut-on considérer comme raisonnable le fait que
l’on ait une régle uniforme pour des profils si
différents ?
Je rêve d’une unité mixte avec des enseignants
chercheurs heureux, trés impliqués dans le laboratoire,
et assurant un enseignement allégé ; avec des
chercheurs CNRS dispensant quelques heures
d’enseignement d’autant plus volontiers que
celles-ci gageraient l'allégement de leurs collégues
enseignants chercheurs. Il y aurait aussi
– évitons la langue de bois – des
enseignants á plein temps effectuant des services plus
lourds. Je connais des situations de ce genre qui
fonctionnent. Dans le contexte actuel, elles sont
clandestines.
Notre ministre, amateur de chasse au gros gibier, a lá
un beau mammouth á débusquer : l'uniformité des
services. Je ne sais pas s’il s’agit d’une
loi ou d’un décret á modifier – je ne
suis pas juriste. Toujours est-il qu’il s’agit
lá d’une réforme essentielle si l’on veut
favoriser la mobilité entre les deux statuts.

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