Un symposium franco-singapourien sur le quantique

Institutionnel

Du 5 au 7 novembre 2024, Singapour a accueilli le symposium quantique franco-singapourien, un événement réunissant scientifiques et industriels français et singapouriens pour explorer les avancées et perspectives de collaboration dans le domaine des sciences et technologies quantiques. 

Coorganisé par le laboratoire de recherche international1  (IRL) MajuLab2  (voir encadré), le National Quantum Office (NQO) - pilote de la recherche et l'innovation en technologies quantiques à Singapour, le fonds d'investissement Quantonation, et le Centre for Quantum Technologies – qui développe et promeut des technologies quantiques avancées pour accélérer l'innovation scientifique et industrielle, le premier Symposium quantique franco-singapourien (FSQS 2024) visait à renforcer les collaborations et à structurer une coopération stratégique entre la France et Singapour. 

De la révolution technologique aux enjeux de souveraineté
Les technologies quantiques sont sur le point de transformer des secteurs entiers, des télécommunications à la cybersécurité, en passant par le calcul haute performance. Elles permettent d’envisager des systèmes de communication et de cryptographie inviolables, de même que des avancées spectaculaires dans la résolution de problèmes calculatoires complexes. Toutefois, ces avancées posent des questions sur la souveraineté nationale et la sécurité. Pour les pays qui maîtriseront ces technologies, l’avantage stratégique sera énorme. À l’inverse, ceux qui ne se positionnent pas risquent de se trouver dépendants et en retard dans des secteurs vitaux comme la cybersécurité et l’industrie de pointe.

  • 1Ces outils structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
  • 2CNRS/Sorbonne Université/Université Côte d’Azur/National University of Singapore (NUS)/Nanyang Technological University (NTU).

MajuLab : 10 ans de collaboration quantique entre la France et Singapour

Créé en 2014, MajuLab est devenu un centre névralgique pour la recherche et les technologies quantiques, unissant la France et Singapour autour d’une vision commune. Ce laboratoire international du CNRS, implanté à la National University of Singapore (NUS) et à la Nanyang Technological University (NTU), a permis de bâtir un « canal quantique » reliant les deux nations. « La France et Singapour sont deux places fortes du quantique, et elles collaborent avec succès depuis de nombreuses années dans ce domaine, allant de l'informatique quantique au chaos quantique, en passant par la photonique quantique », souligne la directrice, évoquant une décennie de coopération fructueuse.

MajuLab incarne aussi la montée en puissance des technologies quantiques dans le monde. « Avec l’essor des technologies quantiques, il ne s’agit plus seulement de recherche fondamentale : l’ambition est d’utiliser les caractéristiques contre-intuitives de la physique quantique pour calculer plus vite, communiquer de manière plus sécurisée et mesurer avec plus de précision », déclare-t-elle. MajuLab est ainsi devenu un acteur stratégique en développant une approche « deep tech » qui combine recherche fondamentale et ingénierie. « MajuLab est un espace où la beauté et l’utilité de la science cohabitent, où les questions fondamentales et la technologie s'inspirent mutuellement, décrivant ainsi tout le cercle de l'innovation », conclut-elle.

En France, l'investissement massif de 1,8 milliard d’euros au travers de la stratégie nationale des technologies quantiques depuis 2021, impulsé par le président de la République Emmanuel Macron, a permis de structurer un écosystème dynamique, combinant recherche fondamentale et deeptech. « Des startups françaises développent des solutions innovantes, par exemple en hardware quantique, soutenues par des programmes comme Proqcima1  (lancé en mars 2024), qui relie cinq startups à des calculateurs de haute performance », détaille Alexia Auffèves, directrice de l'IRL MajuLab et co-organisatrice du symposium. Singapour, de son côté, a anticipé ce virage technologique très tôt et a notamment lancé dès 2010 la création du Centre for Quantum Technologies, dédié aux technologies quantiques. Grâce à cette stratégie ambitieuse et largement financée, le pays a réussi à attirer de nombreux talents internationaux et à créer un environnement favorable aux collaborations académiques et industrielles. « Aujourd'hui le Quantum Engineering Programme2  (QEP3) a pour objectif de permettre à Singapour de renforcer ses capacités dans les applications quantiques, en lien direct avec les industriels. Le dernier maillon qui n’avait pas été développé à Singapour », explique Alexia Auffèves.

  • 1L’objectif du programme PROQCIMA est de disposer en 2032 d’au moins deux prototypes d’ordinateurs quantiques universels avec 128 qubits logiques étendus à 2048 qubits logiques en 2035.
  • 2Le 3e plan du Programme quantique national de Singapour.
Le symposium quantique franco-singapourien s'est tenu du 5 au 7 novembre 2024 à Singapour. © Centre for Quantum Technologies.

Stratégie quantique, une alliance complémentaire
Et en termes de stratégie quantique, les deux pays possèdent des approches complémentaires. La France a réussi à développer en très peu de temps un écosystème de startups axé sur le développement matériel, qui lui-même a su capitaliser sur une recherche fondamentale riche et de longue date sur la thématique. Singapour dispose également de spin-offs issues du CQT. La ville-état est en mesure de mobiliser d'importants moyens financiers, offrant ainsi un soutien structuré aux entreprises et aux chercheurs et a déjà organisé un environnement favorable aux recherches sur le quantique. Les deux nations ont donc une opportunité unique de combiner leurs forces respectives pour accélérer le développement de l’innovation quantique.

Le symposium, avec ses sessions de discussion et ses ateliers, a également été l’occasion d’identifier le potentiel de synergie et de complémentarité entre les deux nations. L’objectif est de franchir un nouveau cap dans la collaboration franco-singapourienne et de l'enrichir d'une dimension industrielle autour des technologies quantiques.

Alexia Auffèves, directrice de MajuLab© Centre for Quantum Technologies

Le CNRS, moteur de coopération internationale
À noter également, le rôle pivot que joue le CNRS dans la structuration de la recherche française à Singapour, avec une présence renforcée par quatre International Research Laboratories1 , dédiés à des domaines tels que la nanotechnologie, la biologie, l'intelligence artificielle et le quantique. Cette structure soutient la stratégie de rayonnement du CNRS, en permettant la présence sur site de chercheurs pour développer des collaborations à long terme. « Le CNRS est très présent et structurant à Singapour, le modèle des IRL fait des envieux à l'international et la filiale CNRS@CREATE (voir encadré) contribue à consolider notre ancrage », indique Alexia Auffèves.

  • 1 MajuLab (CNRS/NUS/NTU/SU/UniCA) dédié à la physique quantique ; CINTRA (CNRS/Thalès/Nanyang Technological University) dédié aux nanontechnologies ; IPAL (Agency for Science, Technology and Research/CNRS/National University of Singapore) sur l’intelligence artificielle ; et BMC, Biomechanics of Cell-Cell Contacts, qui se concentre sur la mécanobiologie, en particulier sur les interactions mécaniques entre cellules (CNRS/Université nationale de Singapour).

Au-delà des réflexions stratégiques transcrites au travers de sessions institutionnelles et industrielles, le symposium FSQS24 a abordé des thématiques scientifiques de pointe telles que l'énergétique destechnologies quantiques, le calcul et la simulation quantiques et leurs divers supports (spins, atomes neutres, photons, etc.), la métrologie reposant sur des états quantiques de la lumière, ainsi que les algorithmes quantiques répondant à des cas d'usage industriels et ayant le potentiel de révolutionner des secteurs comme la finance ou l’intelligence artificielle.

De par sa position stratégique, Singapour offre également une porte d’entrée vers d’autres partenariats en Asie, notamment avec des acteurs bien établis comme l’Australie ou la Corée du Sud, ou en pleine ascension comme la Malaisie ou la Thaïlande.

Le symposium marque le début d’un cycle de trois ans de rencontres et d’échanges, avec l’ambition de consolider un axe franco-singapourien stratégique pour les technologies quantiques. « Nous sommes dans une période où la recherche fondamentale et les applications industrielles sont en pleine convergence. Les discussions de ce symposium contribueront à consolider nos collaborations scientifiques et à identifier des potentielles synergies pour des applications » conclut Alexia Auffèves.

© Centre for Quantum Technologies.

CNRS@CREATE fête ses 5 ans

Depuis son lancement en mai 2019, CNRS@CREATE, unique filiale internationale du CNRS, a grandi au sein du campus de recherche CREATE porté par la National Research Foundation de Singapour pour devenir un acteur majeur de la recherche et de l’innovation dans des domaines tels que l'intelligence artificielle, l'environnement et la santé. « Il y a cinq ans, j'étais le seul employé de la filiale et tout était à créer, aussi bien les projets scientifiques que la structure administrative », se souvient le directeur Dominique Baillargeat. Aujourd’hui, CNRS@CREATE emploie une cinquantaine de personnes et rassemble un écosystème dynamique comprenant 25 institutions françaises et 12 partenaires industriels.

En cinq ans, 11 projets ambitieux ont vu le jour, impliquant plus de 300 participants, dont 111 employés de CNRS@CREATE, 13 permanents expatriés et 30 doctorants. Cette progression marque une véritable « aventure humaine », selon le directeur de la filiale, qui ajoute : « Nous avons construit une filiale scientifique et opérationnelle qui contribue à renforcer avec les IRL, la visibilité du CNRS à Singapour et dans la région de l'Asie du Sud-Est ».

Membre à part entière du Campus CREATE, CNRS@CREATE s’inscrit dans une dynamique internationale unique, permettant la mise en œuvre de projets d’envergure tels que le programme Descartes sur l’IA hybride et ses applications, prévu sur cinq ans. « Nous jouons dans la même cour que les universités de renommée internationale », précise Dominique Baillargeat, soulignant la nature exceptionnelle de CNRS@CREATE en tant que seule filiale d’un organisme de recherche dans l’écosystème CREATE. À côté des projets de longue haleine, d’autres initiatives de trois ans offrent également des perspectives variées et ambitieuses.

Les chiffres illustrent le succès de cette filiale : plus de 200 publications et conférences, 7 brevets déposés et la création de la startup Duoverse. Avec 41 millions d’euros obtenus pour financer ces projets et des recherches de tout premier plan, CNRS@CREATE a consolidé sa présence et son attractivité au sein de CREATE et à Singapour. « Dans les années à venir, j’ai l’ambition que CNRS@CREATE s'inscrive selon les grandes orientations de CREATE autour de l'IA pour la Science, le quantique, la ville intelligente durable et la santé », conclut Dominique Baillargeat, optimiste quant à l’avenir.