Covid-19 : comment la pandémie a bouleversé nos modes de vie

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Les 18 et 19 novembre, les scientifiques du programme de recherche « Du monde d’avant au monde d’après » ont présenté les résultats de leur enquête multidimensionnelle sur les ajustements et réorganisations liés à la pandémie de Covid-19.

S’occuper de son jardin, regarder des séries, écouter de la musique ou visiter un musée en ligne, faire du vélo, mais aussi s’informer, travailler, suivre ses cours… Autant de dimensions de la vie personnelle et sociale qui ont été affectées, voire bouleversées, par la crise du Covid-19. Considérer toutes ces dimensions sur le long terme et dans une approche globale était l’objectif du programme « Du monde avant au monde d’après » (MAMA) dont le colloque final de restitution vient d’avoir lieu.

Né d’échanges entre CNRS Sciences humaines & sociales et différents laboratoires, ce programme MAMA a été mis en place en 2021 grâce à un financement du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) dédié au développement des recherches en sciences humaines et sociales – comme l’a été la plateforme SHS Santé au même moment.

Une enquête multidimensionnelle

Le programme « Du monde d’avant au monde d’après » implique sept unités de recherche et se structure autour de huit projets :

  • Cohabiter dans l’espace d’après / cohabiter dans le monde d’après
  • Des effets du COVID et des confinements sur les pratiques culturelles et numériques des ménages ?
  • Étude des répercussions du Covid sur les inégalités scolaires du primaire au secondaire
  • Le masque de protection faciale : histoire d’un dispositif socio-technique entre épidémie, science et société
  • Maitron Santé, sports et cultures populaires
  • Mobilités et Territoires au prisme de la pandémie Covid-19
  • Urgence, fiabilité des connaissances et information
  • Vivre au contact des risques industriels et nucléaires

« Il y avait une volonté de s'appuyer sur la dynamique scientifique du Campus Condorcet qui présente un poids critique d'unités de sciences humaines et sociales autour des questions de santé. », détaille Emmanuel Henry, coordinateur scientifique du programme et directeur adjoint scientifique de CNRS Sciences humaines & sociales. Une manière aussi de « créer du collectif et de dynamiser les recherches » sur ce campus ouvert, justement, à la veille de la crise du Covid-19.

Huit projets (voir encadré) ont ainsi été lancés en parallèle, impliquant une cinquantaine de chercheurs et chercheuses issus de 7 unités dont le CNRS est une tutelle. Soit « une pluridisciplinarité large, avec une grande diversité d'approches, de thèmes et de disciplines » – de la géographie de la santé à la psychologie en passant par l’histoire, la philosophie et la sociologie.

Grégoire Borst et son équipe au laboratoire LaPsyDÉ1  ont par exemple exploré la manière dont le cerveau des adolescents, en phase de développement des capacités critiques, perçoit et juge la véracité des informations – une population fortement exposée (et souvent de manière passive) mais peu étudiée jusque-là. « La pandémie de Covid-19 a été marquée par une prise de conscience accrue que les fausses informations pouvaient avoir des conséquences sanitaires graves pour les personnes qui étaient dupées. », rappelle l’enseignant-chercheur.

Une période à part

L’équipe a montré une amélioration progressive du sens critique à mesure que les capacités de raisonnement logique se développent à l’adolescence. En partenariat avec le ministère de l'Éducation nationale, une vaste enquête a été menée sur 24 000 élèves français : elle permettra de relier les capacités de discernement aux facteurs socio-économiques, géographiques et académiques (comme les notes). Des études interventionnelles et participatives2 , menées respectivement sur plus de 3000 et près de 1000 adolescents, ont également établi que sensibiliser les élèves aux biais cognitifs renforçait leur sens critique (au risque d’un scepticisme excessif) mais qu’il fallait préférer les informer sur les techniques de manipulation pour réduire leur adhésion aux théories conspirationnistes – représentatives de la période Covid-19.

  • 1Laboratoire de psychologie du développement et de l
  • 2Via la plateforme lea.fr qui permet de co-construire les expériences et outils pédagogiques avec la communauté éducative et de trouver des classes volontaires pour mener les expériences.

Autre élément emblématique de la période : le vélo et les kilomètres de pistes cyclables mis en service lors du pic de la crise sanitaire. Les études font état d’un double effet d’accélération et d’amplification de l’investissement local dans les politiques cyclables – à court terme pour répondre à la crise mais parfois aussi dans une logique d’opportunité. Le vélo devient alors un moyen de transport crédible en Île-de-France, grâce à des aménagements durables, des réseaux associatifs structurés et des budgets en augmentation pour favoriser l’usage du vélo.

D’autres enquêtes sur la mobilité invitent aussi à relativiser l’exode urbain massif qui aurait eu lieu lors du premier confinement depuis les plus grandes villes et en particulier l’Île-de-France. En épluchant des données inédites sur les utilisateurs de Facebook en France, elles montrent que les recompositions territoriales sont similaires et moindres que lors de vacances, avec un accroissement des populations sur les littoraux mais sans migration particulière vers des départements plus ruraux. L’absence de touristes étrangers et la baisse des mobilités des petite et grande couronnes vers les centres urbains expliquent la majorité de la diminution de la population dans ces centres. « D’une manière générale, les dynamiques des mobilités observées en France avant, au début et durant la pandémie ne laissent pas augurer un changement radical des sociétés urbaines. », précisent les scientifiques dans un rapport sur le sujet.

Au laboratoire Ladyss1 , la question a été prise sous divers angles de vue, notamment la relation au logement, à la consommation, à l’environnement, à la nature et au vivant. Les scientifiques ont montré que les jardins ont été perçus comme des refuges privilégiés permettant de se reconnecter à la nature – les répondants montrant en majorité une attention plus grande à l’observation des oiseaux et des plantes –, de préserver sa santé mentale et physique, tout en mettant en lumière les inégalités de logement et l'importance de la solidarité entre voisins.

  • 1Laboratoire dynamiques sociales et recomposition des espaces (CNRS/Université Panthéon-Sorbonne/Université Paris Cité/Université Paris Nanterre/Université Vincennes-Saint-Denis).
Le projet « Maitron Santé, sports et cultures populaires » a donné lieu à une exposition sur le Campus Condorcet et au sein de l’Humathèque. © CNRS

En ville, la période Covid marque des changements majeurs dans les relations entre citadins et nature : l’accès à la biodiversité devient un critère de bien-être et les pratiques des habitants des quartiers aisés et populaires se rapprochent. « Nous sommes aussi devenus plus mobiles pour aller dans les espaces verts. », précise Anne-Peggy Hellequin, enseignante-chercheuse qui a coordonné la vingtaine de propositions de recherche du laboratoire. Parallèlement, les contraintes liées au confinement ont sensibilisé à l’impact de la surconsommation, à l’encombrement des logements, et ont favorisé une redécouverte des commerces de proximité avec leurs forces et leurs limites.

Au total, « plusieurs dizaines de milliers de personnes ont participé aux enquêtes, en étant sollicitées directement ou via les données de plateformes comme Facebook ou Deezer », résume Emmanuel Henry. Un travail immense qui a aussi permis la formation par la recherche de nombreux étudiants de licence et master.

De nouveaux formats

Si le programme MAMA prend fin, la plateforme SHS santé poursuit ses activités. Son site internet en diffusera toutes les publications. Cette plateforme continue également à porter différents projets pour structurer des recherches dans le domaine des sciences humaines et sociales de la santé à l'échelle du Campus Condorcet et au-delà. Grâce au programme MAMA, elle s’est ouverte à d’autres types de communication pour différents publics. 

Le projet « Cohabiter dans l’espace d’après / cohabiter dans le monde d’après » du Ladyss s’est ainsi donné pour objectif de s’adresser aussi bien au grand public qu’aux collectivités territoriales. Un guide dessiné a notamment été conçu à destination des élus souhaitant mettre en place un système vélo adapté à leurs territoires.

Le projet « Cohabiter dans l’espace d’après / cohabiter dans le monde d’après » a notamment produit un guide dessiné a notamment été conçu à destination des élus.© Projet MAMA-Ladyss

Le Centre d’histoire sociale des mondes contemporains1  a aussi proposé une exposition inédite sur le Campus Condorcet, basée sur le projet « Maitron Santé, sports et cultures populaires » du programme. Sous le trait de l’illustrateur Fred Sochard, elle met en lumière des personnalités ayant joué un rôle déterminant pour ouvrir le sport aux milieux populaires en France.

« Tout cela n’a été possible que grâce aux personnels de soutien dédiés, qui sont indispensables à l’animation de la recherche pour développer l’interface entre la science et la société. », tient à souligner Anne-Peggy Hellequin. Parmi ces personnels, Mary Capon a participé à la coordination de l’ensemble des projets de vulgarisation du consortium, dont le carnet Hypothèses2  de la plateforme SHS Santé. Ce carnet, conçu pour être facile à alimenter, « vise à refléter la vie d’un programme de recherche au plus près du terrain », assure l’ingénieure de recherche.

Pour toucher le grand public, ce sont des vidéos explicatives et des podcasts qui ont été développés, en collaboration avec le réseau métier RUSHS3   : « cette coopération est un pilier du programme : les scientifiques apportent les résultats de recherche et le réseau fournit une expertise indispensable à des supports multimédias attractifs et efficaces », précise Mary Capon. 

Le dialogue s’est aussi établi avec les acteurs locaux de la Seine-Saint-Denis, autour du Campus Condorcet – d’ailleurs présents au colloque de restitution – et avec le MESR, régulièrement informé des avancées du programme. « Un des enjeux de ce programme était d’attirer l'attention des décideurs publics sur l'impact d’événements comme une crise sanitaire ou environnementale au-delà de ses seules conséquences sanitaires. Ainsi les résultats de ce programme sont susceptibles d’intéresser tous les ministères et pas seulement celui de la santé ou de la recherche. », assure Emmanuel Henry qui espère prolonger la discussion au-delà du programme MAMA.

  • 1CNRS/Université Panthéon-Sorbonne.
  • 2Aujourd’hui coordonné par Sarah Wicker, ingénieure d’étude recrutée pour le suivi de la plateforme SHS Santé.
  • 3Réseau des métiers de l’image et du son, rattaché à CNRS Sciences humaines & sociales