S’il fallait démontrer que l’enthousiasme est un puissant moteur de la vie, il faudrait prendre Anne Ealet comme sujet d’étude. Et pour cause elle en déborde. Et c’est assurément cet enthousiasme qui l’a guidée jusqu’à la tête de l’institut de physique des deux infinis de Lyon, qu’elle inaugurait en grande pompe le 9 octobre dernier. Son parcours commence lorsqu’en première au lycée elle se demande ce qu’elle va faire de ses bonnes notes en mathématiques et en physique. Sur les conseils de sa professeure, la jeune marseillaise passe une tête aux « Jeudis du CNRS » écouter Jean-Jacques Aubert parler de la découverte du J/psi, cette particule formée d’un quark et d’un antiquark charmés. Sitôt sortie elle n’a plus qu’une idée en tête, devenir chercheuse en physique des particules. « J’ai épluché l’ensemble des La Recherche sur le sujet et toute la littérature possible pendant un an » se remémore amusée la chercheuse. Et quand bien même le pragmatisme de ses parents la déroute vers des études d’ingénieure, aussitôt diplômée la jeune Anne revient voir Jean Jacques Aubert au Centre de physique des particules de Marseille (CPPM).
La suite défile à la vitesse de la lumière. Un DEA, une thèse sur l’expérience Aleph, puis la titularisation au Cnrs. À 25 ans Anne Ealet se retrouve fellow au Cern. Elle est affectée à l’expérience CPLear, expérience d’étude de la violation de CP sur le système kaon avec l’anneau Lear du Cern. Mais le choc culturel est brutal pour la jeune femme qui doit tout apprendre de l’électronique des détecteurs et gérer en même temps une maternité. « La première année a été très dure, heureusement qu'il y avait une vraie fraternité et une grande entraide entre jeunes et aussi entre femmes » ajoute-t-elle. Et puis il y a les premières collisions qui arrivent, les éclats de joie dans la salle de contrôle. Les doutes s’effacent et l’enthousiasme reprend ses droits.
Une discussion vient tout bousculer
En 1996, aguerrie, Anne Ealet quitte CPLear pour rejoindre l’équipe Aleph du CPPM. L’ambiance est bonne et elle enchaine les analyses: La recherche du boson de Higgs, puis les sections efficaces des bosons W. Surtout, on lui confie pour la première fois des responsabilités de coordination. La première d’une longue série. Sa mission ? Développer des codes et réconcilier les prédictions théoriques avec les mesures expérimentales du boson W. Ses recherches vont bon train quand en 2000 une discussion avec Michel Spiro vient tout bousculer. Le physicien lui parle de la découverte de l’accélération de l’expansion de l’Univers et de l’énergie du vide quantique comme explication de cette « énergie » noire. Anne Ealet découvre fascinée comment la physique des particules s’ouvre soudain à l’infiniment grand. À cette époque, alors qu’elle doit comme nombre de scientifiques qui travaillent sur Aleph réfléchir à migrer sur l’expérience Atlas pour poursuivre la quête du boson de Higgs, les pensées de la chercheuse se mettent à vagabonder vers d’autres horizons. Elle rêve de changement et notamment de réconcilier Higgs, énergie du vide, mécanique quantique et expansion de l’Univers. Le petit mot de Michel Spiro sur la cosmologie a fait son chemin.
Anne Ealet lors de l'inauguration de l'IP2I le 9 octobre 2019, entourée des représentants officiels du CNRS, de l'Université Lyon 1 et de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
La physicienne et son enthousiasme se lancent alors à plein régime à l’assaut de l’infiniment grand. Elle épluche aussi sec la cosmologie, et avec 4 collègues du CPPM entre dans le concret en rejoignant le projet spatial américain Snap d’étude de l’expansion de l’univers. Pas de parents cette fois sur son chemin, mais la cosmologie émerge à peine à l’IN2P3 et le laboratoire n’est pas prêt à s’y engager. Qu’à cela ne tienne, en 2003 la chercheuse rejoint le Laboratoire d’astrophysique de Marseille (LAM). « Je suis partie développer un spectrographe spatial sans même savoir de quoi il s’agissait » se remémore la physicienne. « Là encore il a fallu tout apprendre, le monde des spectrographes, l’ingénierie, la cosmologie, le spatial. » Mais rien ne semble résister à l’insatiable scientifique et son choix va payer. À l’IN2P3, la cosmologie fait vite son nid, et dès 2004, Stavros Katsanevas, alors directeur adjoint scientifique astroparticules et cosmologie rappelle la chercheuse au CPPM pour créer un groupe de cosmologie.
L'effervescence à son comble en cosmologie
C’est une période où l’effervescence est à son comble en cosmologie. « La question de l’énergie noire, mais aussi quantités de nouvelles données et de nouvelles sondes autour du CMB, des supernovae, du lensing ou encore des oscillations acoustiques baryoniques (BAO). Tout le monde voulait tout faire pour comprendre cette accélération de l’expansion » se souvient la chercheuse. Pour sa part, elle développe un groupe sur l’observation des supernovae et le BAO, et construit un prototype de spectrographe Infrarouge pour le projet Snap qu’elle poursuit.
Tout va pour le mieux lorsqu’en 2008 la Nasa décide d’enterrer le projet SNAP. Le revers est de taille, mais Anne Ealet ne se décourage pas. Bien au contraire. Elle rejoint aussitôt LSST et, avec l’expérience acquise dans la préparation de SNAP, embarque dans le projet européen de mission spatial Euclid. Elle propose même avec un certain aplomb, en convient-elle aujourd’hui, de prendre en charge au CPPM la réalisation des 16 détecteurs du spectrophotomètre infrarouge produit aux États-Unis. Jackpot ! Non seulement Euclid est sélectionné par l’Esa mais son projet au CPPM est retenu, et elle est propulsée « Instrument Scientist » du spectrophotomètre. « Aujourd’hui l’instrument est en test final et marche bien. « Les ingénieurs du CPPM et de l’IP2I ont travaillé ensemble sur ces détecteurs avec la Nasa et construit le plan focal infrarouge. Ils ont été géniaux et l’équipe qui s’est créée au CPPM et à l’IP2I a fait un travail formidable dans un milieu spatial pas facile. C’est grâce à eux si l’on va embarquer aujourd’hui le plus grand plan focal infrarouge du monde sur un satellite » s’enthousiasme la chercheuse.
Creuset de la physique des 2 infinis
10 ans passent, et à peine Euclid est-il sur les rails du lancement, qu’Anne Ealet se lance dans une nouvelle aventure. Depuis septembre 2018, elle est directrice de l’IP2I, avec pour mission de fusionner l’institut de physique nucléaire de Lyon (IPNL) avec le Laboratoire des matériaux avancés (LMA). Anne Ealet qui est passée de la physique des particules à la cosmologie rêve de faire du laboratoire un véritable creuset de la physique des 2 infinis. « L’IPNL est l’un des rares laboratoire de l’institut qui héberge presque toutes les disciplines de l’IN2P3 : un grand groupe de théoriciens, de la physique nucléaire, de la physique hadronique, de la physique des particules pure, de la cosmologie, et depuis cette année, le LMA, en plateforme nationale, avec une ouverture sur les ondes gravitationnelles » énumère la directrice. « Il y a aussi beaucoup de chercheurs et ingénieurs brillants et je souhaite connecter leurs expertises pour faire émerger des idées novatrices et stimulantes entre les infinis. Les ondes gravitationnelles avec l’explosion de découvertes de trous noirs et d’étoiles à neutrons est une occasion unique de faire ces connections. » Pour favoriser cette mue, la directrice entend mettre en place une vision commune avec des méthodes douces basées sur l’utilisation de règles de management claires et bienveillantes. Mais aussi elle mise sur la responsabilisation de chacun dans la vie du laboratoire, et l’envie de recréer une identité et un collectif. Une simple phrase lui suffit pour résumer à la fois le projet et le personnage « À l’IP2I je veux faire grandir les deux infinis avec tout le monde en même temps ».