Concilier numérique et environnement : un défi majeur à relever

Institutionnel

Événements, concours, médaille… Cette année, l'Institut des sciences de l'information et de leurs interactions du CNRS valorise les sciences informatiques écoresponsables.

« Il existe une tension inhérente à notre discipline : face aux enjeux environnementaux, le numérique fait partie à la fois de la solution et du problème. », explique Adeline Nazarenko, directrice de l'Institut des sciences de l'information et de leurs interactions (INS2I) du CNRS : « Nombreux sont les scientifiques préoccupés par cette situation et certains se sont emparés de cette question depuis longtemps déjà. » La thématique a donc été choisie pour être mise en avant en 2023 par l’institut, qui met l’accent chaque année depuis 2015 sur un sujet majeur en prise avec les grands enjeux de société.

En effet, des capacités de calcul plus importantes sont indispensables par exemple pour préciser les modèles du climat et le développement du numérique peut contribuer de multiples manières à la décarbonation de nos sociétés : visioconférences, optimisations dans les secteurs énergétiques ou du bâtiment, etc. Mais le numérique pèse aussi sur l'empreinte environnementale des activités des citoyens et des scientifiques, du fait notamment de la consommation énergétique et  des ressources naturelles mobilisées par les ordinateurs ou les centres de données et de calcul. Par effet rebond, le numérique crée aussi régulièrement de nouveaux usages énergivores : « Il y a quelques années, il était impensable de regarder une vidéo dans le métro mais l’augmentation de la connectivité et de l’espace mémoire de nos téléphones portables y a mené très rapidement et crée maintenant une demande pour la 6G, qui elle-même poussera à de nouveaux usages. », témoigne la directrice.

Une indispensable recherche fondamentale

Si, tous les jours, les agents travaillent à réduire l’impact environnemental de leurs laboratoires, l’année thématique veut mettre en avant les recherches menées pour comprendre et limiter l’impact du numérique sur l’environnement. L’objectif de l’année est ainsi de « montrer que le CNRS est mobilisé sur cet enjeu, qui relève largement de la recherche fondamentale », selon Adeline Nazarenko qui rappelle que les acteurs de la filière numérique ont présenté en juillet aux pouvoirs publics une proposition de feuille de route sur la décarbonation du numérique. Celle-ci pourra être intégrée dans la prochaine Stratégie nationale bas carbone en 2024 avec l’ambition d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et de réduire l’empreinte carbone de la consommation des Français.

Un cristal collectif pour EcoInfo

Fondé dès 2006 et groupement de service depuis 2012, EcoInfo est précurseur dans la promotion des pratiques numériques responsables. « EcoInfo a une approche globale des impacts du numérique : son objectif est de proposer des bonnes pratiques et des pistes d'action en prenant en compte tout le cycle de vie des technologies numériques, de la conception et des matières premières à la fin de vie des équipements et aux déchets électroniques, sans oublier les impacts sur la biodiversité et la société. », résume sa directrice Anne-Cécile Orgerie, qui a reçu la médaille de bronze du CNRS en 2020.

Le groupement mène des actions sur le terrain (enquêtes, audits de laboratoires, mesures pour évaluer les impacts réels des pratiques numériques comme les visioconférences, etc.) et des recherches approfondies : ses études bibliographiques et états de l'art permettent de fournir des données solides, des indicateurs quantitatifs et qualitatifs, ainsi que des méthodologies d'estimation. Il a mis en place des outils, diffusé des guides de bonnes pratiques et des formations. Il a par exemple largement participé à la conception du Guide de bonnes pratiques numérique responsable pour les organisations diffusé par le gouvernement. Avec toujours une ambition : favoriser un numérique respectueux de l'environnement et de la société.

Son expertise est régulièrement reconnue. « En cette année thématique, nous avons souhaité saluer et valoriser le travail des ingénieures, ingénieurs, techniciennes et techniciens impliqués dans EcoInfo, en leur décernant le cristal collectif du CNRS. », indique Adeline Nazarenko.

Le sujet n’est pas nouveau en recherche. Il « précède même l’injonction sociétale qu’il y a aujourd’hui à se saisir des questions environnementales », assure Olivier Serre, directeur adjoint scientifique à l’INS2I. Dès 2006, le groupement de service EcoInfo a été lancé pour réfléchir aux questions de mesure de cet impact : l’institut a tenu à ce que les ingénieurs et techniciens qui y sont impliqués reçoivent cette année la distinction du cristal collectif du CNRS (voir encadré). Concernant l’impact de la recherche elle-même, l’INS2I mène depuis plusieurs années une politique de mutualisation des ressources de calcul. Bien que coûteux en alimentation électrique, les supercalculateurs comme Jean Zay, inauguré dès 2019, sont conçus pour limiter leur impact : machine robuste et optimisée, bon dimensionnement ajustée aux besoins d’utilisation, récupération de la chaleur fatale pour chauffer des bâtiments, etc. Conformément aux annonces du président de la République Emmanuel Macron,  la puissance de calcul de ce super calculateur sera augmentée pour répondre aux besoins croissants des scientifiques – sous la contrainte d’une alimentation énergétique stable. « Intégrer la sobriété au cœur des problématiques scientifiques de conception de ces outils numériques est une vraie volonté depuis plusieurs années. », confirme Olivier Serre. En décembre 2022, le comité d’éthique du CNRS a aussi rappelé que « le monde de la recherche a la responsabilité de limiter les impacts environnementaux de ses activités ». « Notre façon de faire de la recherche est revisitée à l'aune des enjeux environnementaux. », traduit Adeline Nazarenko.

Supercalculateur Jean Zay
Le supercalculateur Jean Zay est conçu pour limiter ses impacts environnementaux. © Cyril FRESILLON / IDRIS / CNRS Images

Une thématique pluridisciplinaire

« Toutes les communautés des sciences informatiques sont concernées par cette problématique transversale de l’écoresponsabilité. », précise Olivier Serre. Les questions sont nombreuses, de l'automatique jusqu'à la robotique et l’intelligence artificielle, en passant par l'informatique fondamentale, les sciences du logiciel, les réseaux, la science des données, etc. : quel est l’impact environnemental de l’IA ? comment construire des capteurs voire des centres de données autonomes en énergie sans dégrader le service ? comment allier numérique et durabilité ? quelles méthodes pour concevoir un logiciel le moins gourmand possible en données ou un robot en bois qui garde ses performances ? a-t-on besoin de minage pour faire des crypto-monnaies ? Sans oublier l’effet rebond et les questions d’usages – serions-nous capables de rationner notre usage du numérique ? – qui impliquent aussi des économistes ou des sociologues.

La pluridisciplinarité croissante se manifeste également lors d’événements sur le sujet. Ainsi, la onzième édition des GreenDays – conférence nationale à Lyon rassemblant des spécialistes à la fois du numérique et des questions environnementales – a été pour la première fois organisée par plusieurs groupements1  de recherche du CNRS, plutôt qu’un.

Salle type amphi pleine avec un homme présentant des slides au fond
Les GreenDays 2023 ont eu lieu à Lyon les 27 et 28 mars dans le but d'« amplifier les impacts des travaux et réduire les impacts énergétiques et environnementaux du numérique ». © Laurent Lefèvre

Toutes les communautés se saisissent donc de ces questions, dans le monde entier. La soutenabilité est ainsi au cœur de la conférence internationale ICT4S2 , dont la neuvième édition a eu lieu pour la première fois en France en juin, à l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires3 . « Cela prouve que les recherches menées en France sur le sujet sont reconnues. », commente Olivier Serre.

De l’importance de recruter

Afficher cette thématique comme priorité de l’institut passe aussi par l’ouverture de postes coloriés aux concours de chercheurs du CNRS. Un véritable outil de politique scientifique à court et moyen termes, en suscitant des candidatures mais aussi des thèses orientées vers ces thèmes. « C’est un signal fort pour alerter le comité national de la recherche scientifique – qui participe au recrutement et au suivi de la carrière des chercheurs et chercheuses – sur l'importance de recruter sur ces sujets-là et pour inciter les candidats à développer cette composante de leur activité. », détaille Adeline Nazarenko qui assure être « confiante dans le fait que cela va encourager et renforcer des vocations ». Le CNRS est également capable d’accompagner les mobilités thématiques de scientifiques qui voudraient s’orienter vers des recherches davantage en lien avec l’urgence climatique.

« Cette année thématique nous permet aussi de mettre en avant des projets très innovants et qui peuvent apporter des solutions à plus ou moins long terme. », ajoute Olivier Serre. Par exemple, le Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) exploratoire MoleculArXiv s’intéresse au stockage sur ADN et polymères artificiels – une technologie « complètement différente qui pourrait offrir une alternative viable aux disques durs ». Différentes recherches fondamentales « précurseuses », en développement dans les laboratoires, seront présentées lors d’un événement organisé fin novembre au Siège du CNRS à Paris.

  • 1Les GreenDays 2023 ont été organisés par les groupements de recherche (GDR) GPL, MADICS, RSD, RO, et SOC2, et le GDS EcoInfo.
  • 2International Conference on Information and Communication Technology for Sustainability.
  • 3CNRS/Université de Rennes.