La recherche au défi de la frugalité

Institutionnel

La Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires du CNRS dévoile les lauréats de son nouvel appel à projet Sobriété-Frugalité, lancé avec l’Institut de recherche pour le développement.

« Faire mieux avec moins, maximiser l’efficacité et rechercher l’optimum : cette réflexion a toujours été au cœur de la recherche », certifie Martina Knoop, directrice de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires du CNRS (MITI). Pour accompagner les chercheurs et chercheuses dans leur démarche, cette Mission a lancé à l’automne 2022, conjointement avec l’Institut de recherche pour le développement (IRD), un nouvel appel à projet sur le thème de la sobriété – l’utilisation de ressources avec modération – et de la frugalité, soit l’utilisation d’un minimum de ressources.

Si l’approche opérationnelle de la sobriété – comment la recherche peut fonctionner en limitant sa propre empreinte environnementale – est abordée par le plan de transition du CNRS, l’appel de la MITI concerne des projets de recherche sur la thématique. Capteurs de demain, développement de codes conduisant à une diminution de la consommation, utilisation de la lumière de lampes pour alimenter des dispositifs de faible puissance, intelligence artificielle frugale, applications moins énergivores, étude des marchés publics de produits frugaux, questions de droits, de politiques publiques, et de philosophie sur la relation humains-nature… Cet appel concerne tout type de projets (instrumentation, méthodologies, algorithmes, protocoles, modélisations, etc.), cherchant à optimiser toutes sortes de ressources, énergétiques bien sûr mais aussi numériques (partage de données), de fabrication (matières premières), spatiales, voire financières et humaines. Il doit donc amener les scientifiques à se poser des questions sur l’autonomie des dispositifs, leur robustesse, les perturbations qu’ils peuvent causer à l’environnement, etc. Et ce, sur le cycle de vie complet, de la conception au démantèlement et recyclage de l’expérience en fin de vie, en passant par la fabrication et la consommation et maintenance pendant la phase d’exploitation. « Toutes les catégories de sujets de recherche et toutes les disciplines sont affectées par ces questions. », affirme Martina Knoop, rappelant que « le CNRS permet justement de croiser tous ces regards, c’est une de nos valeurs ajoutées ».

Lors de la première édition de l’appel en 2021, neuf projets avaient été retenus, avec un budget allant jusqu’à 30 000 euros par an sur deux ans. « La MITI vise toujours un taux de réussite de 30 % minimum. », assure Martina Knoop. L’évaluation de chaque projet fait appel à au moins deux spécialistes des domaines que le sujet aborde, issus du CNRS et de l’IRD.

Les ressources au cœur des enjeux

Comme le précédent, le nouvel appel à projets est en effet organisé en partenariat avec l’IRD, acteur majeur travaillant en partenariat avec les pays méditerranéens et intertropicaux. « Nous associer au CNRS pour cet appel était tout naturel puisque l’IRD promeut la science de la durabilité qui passe par la sobriété et la frugalité », atteste Jean-Christophe Avarre, directeur adjoint du département « Écologie, biodiversité et fonctionnement des écosystèmes continentaux » de l’organisme.

« Au Nord, nous avons oublié qu’il est possible de faire de la recherche d’excellent niveau scientifique de façon plus simple, plus abordable, plus sobre. », regrette-t-il. « Dans les territoires du Sud, l’accès aux ressources que le Nord considère comme évident est souvent restreint et difficile, et nos partenaires travaillent au quotidien avec ces contraintes, les prenant en compte dès la conception des projets. Il faut rendre cette façon de procéder légitime au Nord également. » L’appel à projet vise ainsi à « provoquer un déclic et faire réaliser que travailler différemment est possible et même souhaitable ».

Boussole céleste
L'appel à projet Sobriété-Frugalité a mené l'équipe de Stéphane Viollet à développer une boussole céleste à moindre impact environnemental. ©Stéphane Viollet

Ce déclic, Stéphane Viollet l’a eu en 2021 : « L’appel à projet Sobriété/Frugalité a été l’impulsion pour changer de matériaux et développer des capteurs à moindre impact sur la planète. », explique le directeur de recherche CNRS et responsable de l’équipe Systèmes bio-inspirés à l’Institut des sciences du mouvement1 . Avec des collègues de l’Institut des matériaux, de microélectronique et des nanosciences de Provence2 , il travaille sur un projet de boussole céleste qui doit permettre de trouver son cap grâce à la lumière UV polarisée du ciel, à l’image de la technique employée par les bien frugales fourmis du désert. Une technique optique, complémentaire des GPS et boussoles magnétiques qui sont sujets à des perturbations, en particulier en milieu urbain.

S’ouvrir à d’autres domaines

Depuis le financement par l'appel, cette boussole céleste est désormais développée à partir d’oxyde de zinc – un matériau naturellement sensible aux UV, disponible en grande quantité, peu coûteux et qui dispose d’une filière de recyclage déjà existante – et de cellulose biodégradable. « Je m’intéressais déjà au domaine de l’électronique sur substrat papier (« electronic paper »), à faible impact environnemental, mais je ne suis pas spécialiste des matériaux et nous manquions d’équipements », se souvient le chercheur qui s’est alors équipé pour la fabrication et la caractérisation de ces nouveaux photocapteurs.

Une démarche qui montre aussi qu’il « peut être intéressant d’aller vers d’autres domaines pour renouveler sa propre recherche », assure Stéphane Viollet. « Se placer dans un cadre contraint permet de remettre en cause nos habitudes et est moteur d’idées ingénieuses et innovantes », abonde Martina Knoop. Un critère clé pour l’appel à projet, confirme Jean-Christophe Avarre : proposer de « vrais projets d’innovation frugale » permettant de faire face aux changements globaux présents et à venir.

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L'observatoire citoyen de la santé urbaine de Beyrouth déploie des stations de mesure complètes chez l'habitant (à gauche, les différents capteurs présents dans la station ; à droite, une station installée). ©Cécile Cornou

Ces projets seront de préférence co-construits avec tous les acteurs concernés pour une « meilleure acceptabilité par les récipiendaires des résultats de la recherche ». Chercheuse IRD à l’Institut des sciences de la Terre3 , Cécile Cornou a ainsi été sélectionnée en 2021 avec son projet d’observatoire citoyen de la santé urbaine de Beyrouth, dans le cadre de l’Observatoire libano-français de l’environnement. L’explosion dans le port de la capitale du Liban en août 2020 a mis en évidence le manque d’instruments de mesure pour évaluer l’état des bâtiments touchés et l’impact des polluants relâchés et plus généralement des changements globaux sur la santé de la population, à court et moyen termes. Développant des solutions techniques bas coûts basés sur l’optimisation de solutions « open source », les scientifiques qui animent ce projet ont déployé des stations chez l’habitant et dans des institutions locales. Ces instruments connectés, peu onéreux, énergétiquement économes et robustes sont capables de mesurer divers paramètres environnementaux comme la présence de polluants et la température (pour surveiller les îlots de chaleur), ainsi que les vibrations sismiques.

Des projets co-construits

« Le financement – bien dimensionné pour un projet d’amorçage – a permis de finaliser un prototype et de mobiliser les acteurs », détaille Cécile Cornou. Le projet rassemble ainsi des laboratoires et organismes français et libanais4 , et se construit avec la société civile : toutes les données collectées par ces mesures participatives sont en accès libre et compilées pour fournir des indicateurs clés associés à la qualité de l’air, au risque climatique et à la stabilité des bâtiments. Deux ateliers participatifs ont été organisés, avec les habitants hébergeant une station, d’une part, et les municipalités, institutions et organisations non gouvernementales intéressées par les indicateurs, d’autre part. « Nous souhaitons que ces dernières s’engagent pour pérenniser l’observatoire et assurer son pilotage sur le long terme », précise Cécile Cornou. L’équipe de spécialistes en informatique, instrumentation, sismologie, sociologie, pollution atmosphérique et îlots de chaleur travaille actuellement à améliorer l’ergonomie du site web et de l’application mobile développés pour accéder à ces indicateurs co-construits.

Pour multiplier l’impact, la MITI et l’IRD comptent aussi sur l’effet d’entraînement de l’appel à projets, ouvert largement à tous les laboratoires dont le CNRS et/ou l’IRD sont tutelles. « Si descendre jusqu’à la question des matériaux utilisés, plutôt qu’utiliser des capteurs disponibles dans le commerce, reste rare, la frugalité commence à se développer dans les laboratoires de mon domaine », témoigne ainsi Stéphane Viollet.

  • 1CNRS/Aix-Marseille Université.
  • 2CNRS/Aix-Marseille Université.
  • 3CNRS/IRD/Université Grenoble Alpes/Université Savoie Mont Blanc.
  • 4ISTerre, CESBIO, PACTE, CEREGE, France ; USJ, CNRS-L, UN-Habitat, ASE.

La liste des lauréats de l’appel 2023-2024

Titre court Titre Affiliation des partenaires Porté par Laboratoire porteur

MBUSTANI

The Last Sip of the Mosquitoes in a Garden: Designing and Testing a Low-Tech Device.

IRD, INEE,

Centre for Tropical Medicine and Global Health & KEMRI Wellcome Trust Programme, MSF OCBA (Barcelone) & MSF Eastern Africa (Nairobi), Field Ready

Christophe
BOETE

Institut des Sciences de l'Evolution de Montpellier (ISEM)

POLLUTALERT

Faisabilité d’un biocapteur multi-fonctionnel générique frugal à base d’exopolymères algaux pour la surveillance sur site de pollutions de l’eau

INSIS, IRD, Université de Carthage

Corinne
DEJOUS

Laboratoire de l'intégration du matériau au système (IMS)

PAPA FRU

Une application mobile pour actionner des leviers de la transition écologique dans la production de pomme de terre dans les Andes colombiennes

IRD, INEE, INSHS

Stéphane
DUPAS

Évolution, Génomes, Comportement et Écologie (EGCE)

EASY_OHMPI

EASY_OHMPI : un résistivimètre open source Do It Yourself

IRD, INSHS, INEE, INRIA

Céline
DUWIG

Institut des Géosciences de l'Environnement

ELDORADO

Développement de capteurs Electrochimiques Low-tech à partir de Déchets ORganiques pour la surveillance de la pollution des eaux Amazoniennes de manière Durable et écOlogique.

INSIS, INSU, INEE

Naoufel
HADDOUR

Laboratoire Ampère

BrokenDevices

Depuis quand l‘écran de ton tel est cassé ?

INSHS, INS2I

Samuel
HURON

Institut interdisciplinaire de l'innovation

ThermoB

Surveillance non-invasive de la thermorégulation chez les abeilles sociales en zones tempérées et tropicales

IRD, INEE, INSB

François
REBAUDO

Évolution Génome Comportement Écologie

ALLARMA

Agriculture dans le bassin supérieur du Litani, au Liban : Aborder les Résiliences du Monde Agricole

INEE, INSU, Université Libanaise, Université Arabe de Beyrouth

Mehdi
SAQALLI

GEODE Géographie de l'Environnement

CIRCABIO

Conception Intégrant le Recyclage des CArtes électroniques par BIO-lixiviation

INSIS, INSU

 

Pascal
XAVIER

IMEP-LaHC