PEPR IRiMa : « Il y a un besoin crucial d’innover en termes de politiques de gestion des risques et des crises »

Institutionnel

Le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) exploratoire IRiMa – piloté par le CNRS, le BRGM et l’Université Grenoble Alpes – a pour ambition de formaliser une science du risque dans le contexte des changements globaux, anthropiques et climatiques. Doté d’un budget de 51,4 millions d’euros sur 8 ans, il doit aider à l’élaboration de nouvelles stratégies de gestion des risques et des catastrophes et de leurs impacts à différentes échelles de notre territoire. Explications avec Soraya Boudia, co-pilote du projet pour le CNRS.

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Le PEPR IRiMa (Gestion intégrée des risques pour des sociétés plus résilientes à l’ère des changements globaux), que vous coordonnez avec Gilles Grandjean (pour le BRGM) et Didier Georges (pour l’Université Grenoble Alpes), vise à renouveler les stratégies de gestion des risques. En quoi est-ce une priorité nationale ?
Soraya Boudia :1 Ces dernières années, nous observons une multiplication sans précédent des risques, des catastrophes et des crises liées à l’intrication de problèmes environnementaux et des activités humaines, aggravés par le dérèglement climatique. La crise du Covid-19 ou encore la sécheresse, les incendies et les inondations de cet été 2022 en sont de parfaits exemples. D’autant que ces risques peuvent, à leur tour, entraîner d’autres catastrophes, notamment technologiques et industrielles, à l’image de Fukushima, avec des impacts sanitaires et environnementaux majeurs. Entre 2010 et 2020, les incidents technologiques liés à des phénomènes naturels ont ainsi doublé d’après le Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels (Barpi)2 .

De plus, ces catastrophes ont un important coût humain et financier. La France est d’ailleurs le dixième pays le plus affecté au monde par les catastrophes naturelles avec un coût global dépassant les 40 milliards de dollars entre 1998 et 2017. Enfin, les crises récentes ont mis en exergue les limites de certains cadrages et des outils de gestion actuels. Il y a donc un besoin crucial d’innover en termes de politiques de gestion des risques et des crises en considérant à la fois les aspects naturels, technologiques, environnementaux et sociétaux qui leur sont associés.

Comment le PEPR prévoit-il de répondre à ces enjeux ?
S. B : Il incombe aux institutions de recherche de produire et de réunir des connaissances nécessaires à la compréhension et à l’action face aux risques et aux crises. Un important corpus de savoirs, des infrastructures de données et des analyses sociales et politiques produites dans différentes disciplines – géosciences, sciences du climat, sciences humaines et sociales, ingénierie et sciences de l’information – existent déjà. Mais ces savoirs et les recherches menées travaillent encore trop souvent en silos et sans interactions directes avec la société. Nous souhaitons construire une science du risque qui fasse dialoguer et croiser ces différentes connaissances. Mais aussi développer des dispositifs de co-production des savoirs avec les différents acteurs concernés en menant une réflexion systématique sur les modalités de mobilisation des données scientifiques dans les politiques publiques.

Le PEPR construira, pour cela, une approche interdisciplinaire inédite en France qui s’appuiera sur des recherches sur un ensemble de risques, la production d’analyse comparée des politiques nationales et internationales de gestion des catastrophes et des crises, l’élaboration de scénarios de gestion de crises nourris de retours d’expérience ou encore l’étude de la résilience et des modes d’adaptation des territoires. L’objectif n’est pas uniquement d’améliorer la prédiction d’événements extrêmes naturels (séismes, éruptions volcaniques, etc.), mais aussi d’analyser la façon dont nous gérons en amont des territoires et des populations vulnérables, les informations que nous prenons en compte pour sécuriser des infrastructures critiques et la manière dont nous répondons aux catastrophes aggravées par le changement climatique. Le PEPR cherche donc à faire émerger de nouvelles synergies entre les différentes communautés de scientifiques, des experts de la gestion des catastrophes et des crises, et des porteurs d’enjeux grâce au financement et l’organisation de recherches, de colloques, de dispositifs de coproduction et d’échanges avec différents acteurs et une réflexion scientifique critique sur la portée de ce que nous produisons.

Les catastrophes naturelles et les risques sont souvent multi-échelles et dépendants des spécificités des zones géographiques qu’ils touchent. Le PEPR prendra-t-il en compte ces aspects ?
S. B : Oui tout à fait, les risques en France métropolitaine ne sont pas identiques d’une région à l’autre. D’une part, les effets du changement climatique diffèrent que l’on soit en montagne ou en zone côtière. D’autre part, les Outre-mer sont confrontées à des problèmes d’éruptions volcaniques et d’ouragans, qui ne touchent pas la métropole. En ce sens, le PEPR est organisé autour de cinq pôles : risques côtiers et de montagne, risques outre-mer et zone intertropicale, risques NaTech (accidents technologiques engendrés par un événement naturel), plateformes numériques transversales et risques et sociétés.

Bâtir une stratégie nationale de gestion des risques et des crises requiert forcément une attention à la spécificité des risques selon les territoires. Ainsi qu’une attention aux configurations sociales et politiques déterminantes dans la mise en place de stratégies effectives de réponse et de gestion des risques et des catastrophes. Certains projets réalisés au sein du PEPR pourront travailler avec des municipalités, des départements, des régions, etc. De même, l’association des parties prenantes et des publics concernés, notamment des populations vulnérables sur les territoires les plus impactés, est un aspect crucial pour définir des stratégies innovantes.

Qu’en est-il de l’effet domino – lorsqu’un risque en engendre un autre et ainsi de suite ?
S. B : C’est justement une faiblesse des solutions actuelles à laquelle souhaite répondre le PEPR. Les effets en cascade accentués par le dérèglement climatique sont aujourd’hui un thème majeur. Il y a un brouillage des frontières entre risques dit naturels et risques liés aux activités anthropiques. Et le croisement des deux débouche parfois sur des polycrises. Que se passe-t-il si un incendie de végétation se rapproche d’une zone Seveso synonyme de risque industriel majeur ? Comment gérer les inondations de grande ampleur dans les territoires abritant des infrastructures critiques ou les remontées de polluants ? Nos travaux permettront de mieux identifier et caractériser ce type de catastrophes en cascade et leurs effets. Ils contribueront à l’élaboration de politiques et de solutions qui tiennent compte d’un ensemble complexe de paramètres, d’incertitudes inhérentes aux risques, des capacités d’adaptation et d’innovation des territoires et de la structuration nationale des réponses apportées.

Sous quelle forme les travaux du PEPR seront transférés aux publics concernés ?
S. B : Ce PEPR contribuera, nous l’espérons, à ne pas raisonner en termes de transfert des productions scientifiques, car c’est là une démarche peu opérante dans la gestion des risques et des catastrophes. Mais plutôt en termes de construction avec les acteurs concernés et de retour critique sur les savoirs produits et les politiques mises en œuvre. Le paradigme de la co-construction est défendu par la communauté internationale de gestion des risques et des catastrophes sur la base d’un important corpus de travaux et d’un retour d’expériences sur des dizaines d’années. Sans revenir en détails sur les paradigmes de gestion de risques et catastrophes, on peut dire qu’il y a eu des déplacements importants, non sans débats vifs, d’une approche centrée sur les aléas vers de nouvelles approches centrées sur la vulnérabilité et la résilience des territoires. Mais il y encore beaucoup de travail pour préciser ces approches et surtout construire des politiques et des outils effectifs. L’objectif est donc de formaliser et de généraliser des démarches à mettre en œuvre qui peuvent être mises à disposition des acteurs des territoires via des outils informatiques, des plateformes en ligne mais aussi dans le cadre d’expérimentations conjointes.

Changement climatique, crise sanitaire… Nous faisons également face à des risques qui dépassent nos frontières. Quid de cette dimension internationale et de ses enjeux au sein du PEPR ?
S. B : Les communautés des risques et catastrophes sont internationales. Notre stratégie nationale est d’ailleurs directement alimentée par des concepts, des façons de penser, des normes et des outils qui font l’objet de discussions et d’échanges dans des cadres internationaux. Cette dimension internationale influence donc de façon déterminante la formulation des problématiques et la structuration des politiques nationales et locales actuelles, même si à l’évidence il ne s’agit pas d’un simple transfert. C’est pourquoi, il est important pour la France d’être stratégiquement impliquée sur ce sujet au sein des communautés scientifiques et des actions internationales – un volet d’action du PEPR – car elle l’est insuffisamment actuellement. Jusqu’à présent, les paradigmes internationaux dominants ont été dans une large mesure forgés par le National Research Council (NRC) et l’Académie des sciences américaine, et ce sont ces paradigmes actuels qui ont montré leurs limites. Avec ce PEPR, nous espérons renforcer la position des scientifiques et experts français dans la communauté internationale, apporter un regard nouveau et contribuer à transformer les modes des gestions des risques et des catastrophes à différentes échelles.

  • 1Soraya Boudia est historienne et sociologue des sciences, des techniques et de l’environnement de l’Université Paris Cité et membre du Cermes3 - Centre de recherche, médecine, science, santé, santé mentale, société (CNRS/Inserm/Université Paris Cité/EHESS).
  • 2Organisme français rattaché au ministère de la Transition écologique / Direction générale de la prévention des risques.