Plan de transition du CNRS – la place des missions

Institutionnel

Les déplacements professionnels sont le deuxième poste d’émissions de gaz à effet de serre du CNRS. Mais comment diminuer ces émissions sans impact sur les activités de recherche ?

Les enjeux : Les déplacements professionnels effectués par les scientifiques et administratifs du CNRS, aussi appelés « missions », sont le deuxième poste d’émissions de gaz à effet de serre de l’roganisme, en représentant 13 %. Sans surprise, les voyages en avion dominent ces émissions : les 300 millions de kilomètres parcourus par les airs représentent 90 % des émissions, contre 0,5 % pour les 60 millions de km parcourus en train. Mais les objectifs de réduction doivent tenir compte aussi bien des types de missions et des activités de recherche que du développement des carrières des chercheurs et chercheuses, pour lesquels il peut être indispensable de se rendre sur le terrain ou de participer à des conférences ou colloques clés. La recherche est, par nature, une activité internationale. Selon une étude menée par le collectif Labos1point5 sur 6 700 agents issus de laboratoires CNRS, une corrélation existe entre le nombre de déplacements en avion pour raison professionnelle d’une part et le nombre de publications et la visibilité des travaux d’autre part.

162 000 missions ​​​​​​sur crédits CNRS en 2019
90 % des émissions de gaz à effet de serre produites par les missions sont liés aux déplacements en avion
300 millions km parcourus en avion pour des missions en 2019, soit cinq fois plus qu’en train

Les pistes de solution : Pour aller observer des terrains de recherche à l’international, l’optimisation et la modération sont essentielles. Pour les missions liées à des événements, l’enjeu est de questionner la pertinence du déplacement, en tant que participant ou intervenant, au regard de son bénéfice. Existe-t-il des alternatives ? L’expérience de la crise sanitaire a fait progresser l’usage des conférences en ligne mais également de la visioconférence dans le cadre des réunions préparatoires des jurys de concours. Pour les organisateurs, plusieurs pistes sont avancées : par exemple, localiser ces événements dans des sites accessibles en train et en transport en commun, ou privilégier les visioconférences ou les modalités hybrides – l’utilisation du numérique ayant aussi ses limites.

Il s’agit également de questionner son mode de transport. Prendre l’avion n’est déjà plus possible si un train permet d’effectuer le même trajet en moins de quatre heures. Certains laboratoires ont mis en place un critère plus sévère pour les trajets en avion voire un quota carbone pour l’ensemble de leurs personnels, plusieurs mettent aussi à disposition des calculateurs des émissions de gaz à effet de serre pour aider à la décision.

« Dans nos domaines, les missions ne sont pas optionnelles »

Véronique Mathet à son bureau

Véronique Mathet est Directrice adjointe administrative et référente « Développement durable » pour l’Institut écologie et environnement du CNRS (Inee). Elle représente aussi son Institut au sein du Comité « Développement durable » du CNRS.

En quoi les missions sont-elles un défi particulier pour l’Institut écologie et environnement du CNRS ?
Véronique Mathet :
L’Inee est l’un des trois instituts1  du CNRS dans lesquels les missions sont une véritable problématique, quand d’autres sont plus sensibles aux questions de stockage de données ou de l’usage de hautes technologies par exemple. Pour mener leurs recherches, indispensables pour avancer sur le front des connaissances dans les domaines de l’écologie et de l’environnement, nos chercheurs et chercheuses doivent nécessairement se rendre sur leurs terrains d’observation, souvent à l’international, et ce régulièrement. Leurs missions sont donc nombreuses, de longue durée et nécessitent de prendre l’avion. Cela peut donc sembler paradoxal, mais ces missions ne sont pas optionnelles. L’enjeu des conférences internationales concerne aussi l’Inee, au même titre que les autres instituts. C’est aussi un enjeu pour le parcours professionnel et l’évaluation de la carrière de ces scientifiques. Il est important de ne pas leur donner de message contradictoire et que la recherche scientifique ne pâtisse pas de l’impératif – légitime et bienvenu – de développement durable.

Que conseille votre institut sur cette question sensible des missions ?
V. M. :
En prenant part au Comité « Développement durable », notre motivation est de proposer des pistes de réflexion et de faire des propositions pour que les scientifiques puissent mieux arbitrer entre les nécessaires déplacements et la nécessaire prise en compte de l’impact environnemental. Il s’agit donc d’envisager les déplacements de manière plus raisonnée : faire des missions plus longues, grouper les objectifs, optimiser le temps passé sur place en cumulant les activités, que ce soit des observations de terrains, des rencontres, des conférences, etc. Nous allons proposer des grilles d’aide à la décision adaptées aux enjeux des scientifiques de nos domaines.

Il est aussi important d’être vigilant sur l’impact possible de ces efforts, par ailleurs louables, sur les carrières de nos chercheurs et chercheuses. C’est pourquoi j’ai rencontré plusieurs présidents de sections du Comité national de la recherche scientifique – instance qui les évalue –, afin de mieux comprendre comment la mobilité sur le terrain est prise en compte dans nos domaines scientifiques et comment ce critère pourrait être amené à évoluer, et d’ajuster nos recommandations. La coalition COARA, dont le CNRS a été l’un des premiers membres, appelle aussi à reconsidérer les modalités d’évaluation de la recherche.

Enfin, il y a un fort enjeu de sensibilisation : il ne suffit pas de recommander ou de prescrire, il faut que les personnes s’en saisissent. Pour cela, nous identifions, en lien avec les référents et le Comité « Développement durable », les initiatives des laboratoires qui pourraient essaimer, afin de les valoriser pour inspirer le plus grand nombre et partager les bonnes pratiques. Le CNRS a lancé dans le cadre d’un appel à projet en lien avec l’IRD la constitution d’un vivier d’animateurs pour les ateliers collaboratifs « Ma terre en 180 minutes »2 .

La direction de l’Inee est aussi impliquée. Comment prend-elle en compte cette question pour son propre travail ?
V. M. : Lorsque l’on est directeur ou directeur adjoint scientifique d’un institut du CNRS, il est important de se rendre dans les laboratoires pour créer du lien, croiser le regard des agents, mieux saisir les enjeux de chacun. Les prospectives de l’Inee rassemblent aussi l’ensemble des directeurs et directrices de laboratoires, certains venant parfois de loin, mais elles sont capitales pour définir les priorités de l’institut. Enfin, il y a parfois des injonctions de représentation du CNRS qui peuvent amener à se déplacer à l’international. Tout cela implique un certain coût carbone pour les activités de l’institut. Mais il faut savoir être exemplaire et nous appliquons les conseils que nous donnons : par exemple, lorsqu’une dizaine de membres de l’institut s’est rendue à la Réunion en décembre dernier, nous y sommes allés de manière beaucoup plus concertée, avec d’autres instituts et organismes de recherche, que ce qu’on aurait fait il y a quelques années. L’Inee a d’ailleurs été le premier institut à établir son bilan d’émissions de gaz à effet de serre en 2020 et le relancera bientôt, afin d’identifier des objectifs spécifiques.

  • 1Avec l’Institut national des sciences de l’Univers (Insu) et l’Institut des sciences humaines et sociales (INSHS).
  • 2« Ma terre en 180 minutes » est un atelier collaboratif permettant de simuler des trajectoires de réduction des émissions d’un laboratoire en cherchant collectivement des solutions. Cet atelier permet, par un débat collectif, d’envisager des alternatives à certains déplacements.