Quand la science rencontre l’imaginaire

Institutionnel

Aux côtés des elfes, sorciers et autres soldats impériaux, un robot qui vise à remplacer les pesticides dans les cultures de demain : bienvenue au festival de l’imaginaire Yggdrasil, où des chercheurs du CNRS et de ses partenaires étaient présents les 4 et 5 février à Lyon.

« Je suis venue pour l’imaginaire mais je me suis laissée happée par la science et j’y passe tout mon temps ! », s’amuse Cécile, rencontrée au festival Yggdrasil. Dédiée à la pop culture, cette manifestation invitait chevaliers, fées et dragons à côtoyer héros de mangas japonais, robots s’échappant de vaisseaux spatiaux et impressionnants accessoires steampunk, le temps d’un week-end au parc d’exposition Eurexpo de Lyon.

Pour la deuxième année consécutive, le festival présentait aussi un lieu ancré dans le réel : l’exposition « Demain, mais en mieux ! » (voir encadré). Il y accueillait des organismes de recherche comme le CNRS, des écoles d’ingénieurs comme l’INSA, les agences spatiales française (CNES) et européenne (ESA), de la R&D avec Airbus ou La ruche industrielle, et des lieux de culture scientifique comme le planétarium de Vaulx-en-Velin. L’Agence nationale de la recherche (ANR) disposait également d’une « alvéole » dans cette « base lunaire scientifique » de 3000 m2 intégrée au festival. « La même logique s’applique du côté imaginaire et du côté scientifique », explique Franck Barataud, qui organisait cet espace : « L’objectif du festival est de mettre le public en contact direct avec les artistes et spécialistes qui créent ces différents mondes, de leur permettre de voir les coulisses et d'interagir autour de prototypes et objets concrets. »

Dans l’alvéole du CNRS, la consigne a été particulièrement respectée. Pas de stand ni d’affiche scientifique en vue, mais plusieurs activités étaient proposées autour d’une expérience atypique : un robot conçu pour détecter des pucerons sur des plantes et les rendre inopérants avec un laser, limitant ainsi voire remplaçant l’utilisation de pesticides. « C’est un projet assez futuriste qui rappelle la “Guerre des étoiles”, mais le prototype, financé par un projet ANR, fonctionne. Il s’agit d’une alternative plausible aux pesticides. », précise Arnaud Lelevé, chercheur en robotique au Laboratoire Ampère1 , présent sur le festival.

Deux adultes, dont l'une en style streampunk, dessinant agenouillées à une table basse. Des dessins sont affichés au mur derrière.
Un atelier invitait le public à imaginer l’aspect final du robot prototype présenté. © CNRS

Pour la première fois, le prototype – un robot sur roues de 1,4 mètre de haut et 114 kg – est donc sorti du laboratoire. Un challenge technique nécessitant de sécuriser le système pour que le public mais aussi le robot lui-même soient toujours en sécurité : « Il y a un monde entre les robots de fiction qui volent sans effort et la complexité réelle derrière le simple fait de faire rouler un robot dans un champ ou un espace de démonstration. Nous proposons ici un retour au réel. », illustre Thomas Grenier, spécialiste en intelligence artificielle au Centre de recherche en acquisition et traitement de l'image pour la santé (CREATIS2 ), qui s’est dit « impressionné par les cosplays ». Les visiteurs ont ainsi pu placer des gommettes faisant office de pucerons sur des plantes en pot et le robot les a repérées et visées avec… un pointeur-laser inoffensif.

  • 1CNRS/École Centrale de Lyon/INSA Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1.
  • 2CNRS/École Centrale de Lyon/CPE Lyon/INSA Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1.

Demain, mais en mieux ?

Si elle peut aussi apporter des solutions, la science est bien souvent synonyme de catastrophe dans la fiction. L’idée de l’exposition « Demain, mais en mieux ! » est dès lors de montrer qu’elle peut aussi améliorer le futur. « Il ne s’agit pas d’être béat, naïf ou scientiste, mais c’est intéressant de montrer, en parallèle de la science-fiction ou de l’anticipation qui pointent plus aisément les menaces potentielles, que des avancées se font aussi avec la prétention de faire mieux », décrypte Bruno Masenelli, content de « discussions intéressantes avec un public qui a su garder un regard optimiste mais critique ». « Développer de nouvelles technologies peut également émettre du carbone donc il est important de trouver le bon compromis pour ne se tourner vers la technologie que lorsque c’est adapté. », confirme François Feugier.

Un focus sur l’intelligence artificielle complétait la présentation, avec un programme capable de reconnaître non des pucerons mais les humains – même déguisés ! –, leurs sacs à dos ou téléphones portables, et aussi les pots de fleurs qui décoraient l’alvéole. La multidisciplinarité du projet était aussi mise en avant à travers un jeu proposant de relier des étapes de la conception du robot avec des noms de spécialités scientifiques. De quoi découvrir par exemple que, pour simplement détecter le puceron sur une image prise par le robot, sont nécessaires à la fois les apports du biologiste, de la roboticienne, des spécialistes en informatique mais aussi en optique et électronique. À côté, le public était invité à imaginer l’aspect final du robot dans sa version commercialisée à venir qui s’éloignera de l’apparence encore « bricolée » du prototype. Une activité qui a séduit aussi bien les Jedi ou Hobbits adultes que les enfants humains – telle Morine, venue avec sa mère et qui veut « absolument fabriquer des robots et des machines ».

« Ce n’est pas le public de la Fête de la science, venu spécifiquement pour voir de la science », confirme Bruno Masenelli, directeur de l’Institut des nanotechnologies de Lyon (INL3 ), intrigué par le « défi » d’intéresser un public qui ne les attend pas. « Le prototype adresse un défi majeur de la société – maintenir une productivité assez forte de la production agricole en se passant de pesticides – et se place clairement dans l’ambition de créer un meilleur avenir qui est au centre de l’exposition scientifique », précise le chercheur.

Une enfant devant un panneau liant disciplines scientifiques et rôle dans la conception d'un robot, avec sa mère et une médiatrice scientifique
Un jeu mettait en avant la multidisciplinarité du projet. © CNRS

Un constat partagé par François Feugier, président de Greenshield4 , la startup qui travaille sur une version du robot spécialisée en désherbage de précision et faisait partie du projet ANR pour le prototype du robot anti-pucerons : « Les personnes qui se rendent à un festival sur l’imaginaire et la science-fiction n’iront potentiellement pas sur un événement où on voit des robots agricoles. Or les progrès dans le domaine de l’agriculture les concernent aussi. Être présent à Yggdrasil permet donc aux scientifiques d’échanger avec des profils variés et de leur montrer que des avancées technologiques existent pour mieux nourrir la société. », indique-t-il.

« Passer des dragons et orcs aux drones et robots, c’est vrai que ça fait bizarre, mais bizarre en bien ! », glissent ainsi deux visiteurs steampunk croisés entre les stands des start-up Losonnante et Kurage (voir encadré). « C’est très intéressant de pouvoir parler avec des chercheurs CNRS pendant 30 minutes autour d’un thé alors qu’on voulait juste voir des combats de sabre laser. », appuie Caitlin, qui a étudié la microbiologie mais ne s'attendait pas à trouver de la science à Yggdrasil : « ça ramène les pieds sur terre et ça donne envie de se renseigner sur tous ces sujets ! ». La recherche, univers du possible qui prépare le futur, aurait donc toute sa place dans un festival où l’on rêve d’autres mondes.

  • 3CNRS/Inserm/INSA Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1.
  • 4La startup Greenshield propose des solutions de surveillance agronomique pour générer des stratégies optimales de lutte contre les bio-agresseurs (mildiou, adventices, limaces, etc.) grâce à des modèles mathématiques, pour réduire ou remplacer les pesticides. François Feugier a déposé un brevet sur la technologie à l’origine du projet ANR « Greenshield » 2017-2021.

Des alvéoles mais aussi des plateformes et des start-up

14 start-up étaient aussi présentes dans l’espace « Demain, mais en mieux ! » du festival Yggdrasil. La start-up Losonnante produit par exemple des bornes qui transmettent du son par conduction osseuse, dont plusieurs étaient disséminées dans le festival. « Notre dispositif fonctionne beaucoup sur le ressenti, l’émotion et l’imaginaire donc être présent ici est une bonne opportunité. », témoigne ainsi Olivier Lebas, cofondateur et CEO. De son côté, Kurage permet à des personnes avec un handicap moteur de retrouver de la mobilité. Surpris qu’on lui propose de présenter sa start-up dans un festival de l’imaginaire, Amine Métani, directeur scientifique de la start-up, pense « important de montrer que des scientifiques travaillent avec des entrepreneurs pour que les découvertes sortent des laboratoires ». Il décèle même une « vraie affinité de ce public pour les technologies », également constatée par Christophe Marquette, directeur de recherche CNRS à l’Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires7 . Organes artificiels, impression de peau pour les grands brûlés… Le chercheur présentait la plateforme de recherche 3d.FAB, qui travaille sur l’utilisation de la fabrication additive – l’impression 3D – pour la médecine régénérative : « Plus que par les applications en médecine, les personnes ici sont intéressées par les procédés. Nous essayons de leur montrer le futur de la médecine régénérative mais aussi ses limites techniques et éthiques. »

  • 7CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1.