Vers des réseaux du futur flexibles, fiables et sobres

Institutionnel

Le 10 juillet 2023, le programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) d’accélération "Réseaux du futur" – piloté par le CNRS, le CEA et l’IMT – est inauguré sur le campus de l’Institut Mines-Télécom de Palaiseau. Doté d’un budget de 65 millions d’euros sur 6 ans, il vise à soutenir le développement de la 5G et de la 6G tout en évaluant leurs impacts sur l’environnement. Présentation par Serge Verdeyme, co-directeur du programme pour le CNRS.

Le PEPR accélération "Réseaux du futur" – que vous codirigez avec Daniel Kofman (IMT) et Dimitri Kténas (CEA) – soutient le développement des réseaux de transfert de données de demain. Pourquoi est-il crucial pour la France de mener des recherches sur les prochaines générations de réseaux dès aujourd’hui ?
Serge Verdeyme1  : Afin de communiquer à travers le monde, les télécoms fonctionnent sur la base de standards. Cela est encadré par des réglementations internationales qui définissent des normes communes à tous les pays. Pour la 6G, ces standards seront déterminés pour partie dès 2028. Les équipementiers et opérateurs télécom qui vont fabriquer cette prochaine génération de réseaux sont donc entrés dans une course technologique. Pour renforcer la place de la France dans l’élaboration de la 6G au niveau mondial, il est donc crucial de mobiliser nos forces de recherche et de développer des travaux en lien étroit avec nos industriels. Car voir des standards français approuvés dès 2028 facilitera l’entrée de technologies nationales sur les marchés. Et force est de constater que la Chine et les États-Unis ont déjà déposé de nombreux brevets sur les technologies et architectures de la future 6G.

Les enjeux sont importants, car l’arrivée de la 6G est porteuse d’intérêts économiques et impacte directement la souveraineté des pays. En effet, ces réseaux sont des supports clé aux capacités d’innovation de l’ensemble des secteurs d’activité depuis la médecine à distance à l’industrie du futur. En ce sens, l’État a lancé la stratégie 5G et Réseaux du futur dans le cadre du plan France 2030 dans laquelle s’inscrit le PEPR "Réseaux du futur". L’objectif général est de créer l’offre et la demande des réseaux d’avenir en développant des solutions nationales et européennes.

En quoi ces nouveaux réseaux seront-ils différents des générations précédentes ?
S. V. : L’enjeu est de développer une nouvelle génération de réseaux de communication plus performants, plus sécurisés et sobres énergétiquement. Jusqu’à la 4G, les capacités du réseau étaient fixes pour la durée d’exploitation et les moyens alloués à un usage étaient parfois sous-dimensionnés, mais le plus souvent surdimensionnés. Avec la multiplication des usages industriels, nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller de l’énergie et des moyens qui ne sont pas utiles. Par exemple : téléphoner et guider une voiture ne requièrent pas les mêmes ressources. Les moyens nécessaires pour ce dernier cas dépendent également de la densité de véhicules à guider en un lieu donné. Ils doivent être ajustés selon le besoin. La 5G et la 6G vont donc s’adapter et spécifier le réseau à chaque usage en termes de débit, de temps de latence ou encore de fiabilité. Nous allons vers des réseaux qui consacrent l’énergie minimale au bon fonctionnement d’un usage et sont capables de s’adapter en temps réel à chaque besoin.

Dans les attendus des futures générations, figurent des augmentations de performances (capacité, latence, densité d'objets communicants, etc.). Les projets du PEPR intègrent des recherches visant à répondre à ces évolutions, mais pas seulement. Ils vont viser ces performances tout en tenant compte de leur impact environnemental et de la sécurité. L'organisation des usages, l'architecture des réseaux, les composants matériels du réseau doivent être pensés en ce sens. Et l’ensemble de ces aspects – capacité, fiabilité, flexibilité, sécurité, sobriété – nécessite un changement profond de la nature des réseaux tels qu’ils existent aujourd’hui et donc le développement de nouvelles recherches.

Comment le PEPR se structure-t-il pour répondre à ces ambitions ?
S. V : Une partie des projets du PEPR s’appuiera sur des recherches dans le domaine de l’informatique. Elle adressera l’organisation des réseaux et leur capacité à se transformer en fonction des usages. L’objectif est également de travailler à l’interface des filières (transport, énergie, etc.) afin de définir les usages futurs qui seront de plus en plus multisectoriels.

Une autre partie sera focalisée sur les composants matériels et le traitement des ondes transmises avec de nouveaux champs de recherche dans les domaines des communications térahertz, des nouvelles générations de fibres optiques ou des surfaces intelligentes reconfigurables (RIS) par exemple. Quatre projets transversaux traiteront de l’ensemble de la chaîne de communication en se focalisant notamment sur des enjeux de sécurité et de sobriété. Les enjeux sociétaux sous-jacents dans plusieurs de ces projets seront aussi traités spécifiquement sous forme d’appels à projets.

Enfin, une plateforme expérimentale, ouverte à l’ensemble de la communauté académique, sera structurée. Elle permettra, d’une part, aux chercheurs et chercheuses de bénéficier des mêmes outils indépendamment des moyens de leur laboratoire, et d’autre part, d’effectuer des tests de bout en bout des nouveaux réseaux. C’est un vecteur important pour la structuration de la communauté.

Quels secteurs stratégiques bénéficieront des réseaux du futur ?
S. V : La 5G et la 6G se destinent essentiellement à des usages professionnels. Des innovations de rupture sont projetées dans plusieurs domaines. La santé, par exemple, pour la mise au point de services d’opérations à distance en temps réel, ou pour adopter des outils de réalité augmentée d’aide à la chirurgie. En ce sens, la 6G transportera et traitera en proximité d’importants volumes de données, ce qui rendra possible ces applications.

Par ailleurs, la multiplication des véhicules autonomes ne pourra pas être assumée par les technologies d’aujourd’hui. Ces modes de transport ont besoin de communications ultra-fiables et rapides adressées par la 6G. L’industrie 4.0 voit son nombre d’objets connectés se démultiplier et leurs usages appellent à une convergence entre moyens de communication, de calcul et de stockage déporté (cloud) qui sera également un enjeu de la 6G. Pour dernière illustration, les nouveaux médias visent à utiliser les réalités virtuelle et augmentée, ce qui génère des besoins croissants en flux de données. Parmi les usages, on peut aussi mentionner la formation immersive qui permet d’apprendre et de manipuler des objets parfois complexes sans risque.

Quelles seront les principales retombées de ce PEPR sur la société ?
S. V : Les réseaux du futur offriront un saut de performance à des secteurs stratégiques. Ils participeront ainsi à soutenir la réindustrialisation et la création d’emplois en France et en Europe. Pour transférer nos résultats, nos laboratoires s’appuieront sur des partenariats industriels et sur la création de start-up. Ils le faisaient fortement jusqu’alors, mais le PEPR va renforcer notre efficacité. Nous allons coordonner nos capacités de pré-maturation en lien avec le projet FRAMExG copiloté par l’IMT et la société d’accélération du transfert de technologies Ouest valorisation2 . Nous contribuons par ailleurs aux travaux du Comité stratégique de filière (CSF) infrastructures numériques, constitué d’un nombre important d’entreprises qui travaillent ensemble pour répondre aux enjeux de demain. Nous accompagnerons également les choix des décideurs des sphères publiques et privées dans le cadre de réglementation des usages.

L’objectif du PEPR est aussi de renforcer l’efficacité de notre système de recherche par une convergence des stratégies des organismes – CEA, CNRS, IMT, Inria – des universités et écoles. Une mobilisation de tous donc pour une structuration qui se pérennisera au-delà du PEPR.

  • 1Professeur à l’université de Limoges et spécialiste en électronique des hautes fréquences au sein du laboratoire XLIM (CNRS/Université de Limoges).
  • 2Les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) assurent le relais entre les laboratoires de recherche et les entreprises et financent les phases de maturation des projets et de preuve de concept.