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Peut-on télécharger son esprit ?

Mickey 17 met en scène le téléchargement de l’esprit d’une personne dans d’autres corps. En théorie, comment cela pourrait être possible ?
Gregor Thut1 Il faudrait reproduire les circuits neuronaux d’au moins trois grandes fonctions importantes pour recréer le sens de soi et l’identité de la personne : la mémoire, qui permet de stocker et de se souvenir de ce que l’on vit et de ce que l’on apprend au cours de la vie ; la conscience, qui permet d’être conscient de soi-même et de notre environnement ; et la sensation de ne faire qu’un avec son corps, indispensable au sens de soi.
Que sait-on des supports matériels de la mémoire humaine ?
G. T. Comme pour toutes nos autres capacités cognitives, cette fonction naît de plusieurs réseaux neuronaux étendus dans le cerveau. Mais précisons qu’il n’existe pas une mémoire… mais plusieurs. Certaines sont dites à court terme, car elles permettent de retenir des informations sur de courtes périodes, allant de quelques secondes à plusieurs minutes. D’autres sont des mémoires à long terme : elles enregistrent des informations sur des périodes plus longues, courant sur toute une vie.
Ce sont ces dernières qui seraient importantes pour recréer l’identité d’une personne. Parmi ces mémoires, on trouve notamment la mémoire épisodique ou autobiographique, qui renferme les souvenirs personnels, et la mémoire procédurale ou motrice, qui stocke des savoir-faire et des automatismes acquis lors de la vie, comme conduire, faire du vélo ou jouer de la guitare.

Chacune de ces mémoires met en jeu des circuits de neurones et des régions cérébrales différentes. Au niveau neuronal, le stockage d’une information se fait grâce à la formation de nouvelles connexions entre neurones, dites synapses, ou par renforcement de celles-ci.
Quid de la conscience ?
G. T. Selon une théorie majeure, dite de « l’espace de travail neuronal global », la conscience naît d’une connexion globale entre plusieurs aires du cerveau, situées à l’avant et à l’arrière de celui-ci. Ce réseau permettrait à l’individu d’être conscient de lui-même et de son environnement, en rendant les informations issues de ses sens – d’abord traitées de façon non consciente – disponibles pour l’ensemble de nos facultés mentales, dont l’attention, la mémoire et le raisonnement.
Et la sensation de ne faire qu’un avec son corps, comment émerge-t-elle ?
G. T. De l’intégration cohérente de différents signaux sensoriels renseignant sur la position de notre corps dans l’espace. Ces informations proviennent de trois systèmes : le système visuel ; le système vestibulaire, l’organe de l’équilibre situé dans l’oreille interne ; et le système proprioceptif, constitué par l’ensemble des récepteurs et de leur innervation au niveau des muscles et des articulations, qui régulent la posture et les mouvements du corps. Si ces signaux sensoriels ne sont pas cohérents, comme lors d’une activité cérébrale désorganisée, le cerveau peut en conclure que nous avons quitté notre corps.
Selon vous, est-il possible un jour, comme dans Mickey 17, d’imprimer ces trois fonctions et ainsi de transplanter l’esprit d’une personne dans un autre corps ?
G. T. Cela me paraît très compliqué… Cloner chacune de ces trois fonctions représente un énorme défi. D’autant que l’on est loin d’avoir décrypté finement tous les processus qui les sous-tendent. Par exemple, pour la mémoire à long terme, il faudrait connaître la signature neuronale et synaptique de chacun des souvenirs et apprentissages qui y sont stockés. Un vrai défi !
Concernant spécifiquement la possibilité de faire émerger une conscience dans un réseau de neurones artificiels, c’est un débat important actuellement, en lien avec le développement de l’intelligence artificielle. De brillants spécialistes se penchent sur cette question. Mais la possibilité de générer une conscience à partir de réseaux de neurones artificiels reste controversée, tant la conscience est une faculté complexe… Bref, à ce jour, la possibilité de transplanter un esprit dans un autre corps reste de la pure science-fiction.
Que vous inspire l’idée de l’extension de l’esprit humain dans un nouveau corps « receveur » ?
G. T. Elle soulève une grande question éthique : est-il vraiment souhaitable de télécharger nos souvenirs dans un autre corps ou dans un support artificiel comme un robot ? De fait, cette perspective touche au transhumanisme, une idéologie qui a comme idée de recourir aux sciences et aux nouvelles techniques pour améliorer ou augmenter nos capacités physiques et mentales, et ainsi allonger l’espérance de vie, voire nous rendre immortels. Mais devenir immortel est-il si souhaitable que cela ? Après tout, une vie immortelle ne s’apprécierait peut-être pas autant qu’une vie destinée à se finir un jour…

Ensuite, arriver à complètement décoder et transplanter nos esprits sur d’autres supports pourrait présenter plusieurs dangers. Tout d’abord, cela pourrait exposer à un risque d’intrusion dans nos pensées et donc dans la sphère privée de notre vie mentale.
Enfin, une telle technologie pourrait mener à réimprimer l’esprit de l’individu alors qu’il est encore vivant et, ainsi, à créer plusieurs duplicatas de celui-ci, ce qui lui ferait perdre son identité. En effet, cela équivaudrait à un clonage de son identité. Laquelle serait alors l’originale ? Pour moi, mieux vaut que tout cela reste dans un bon film de science-fiction. Comme l’est Mickey 17 ! ♦
À voir
Mickey 17, de Bong Joon-ho, en salles depuis le 5 mars 2025.
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Le système vestibulaire, un sixième sens méconnu (vidéo)
- 1. Directeur de recherche au CNRS au sein du Centre de recherche cerveau et cognition (Cerco, unité CNRS/Université de Toulouse).
Auteur
Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.