Alain Prochiantz : "Le CNRS a permis à la France de se maintenir dans la compétition internationale"

Institutionnel

L’administrateur du Collège de France, à l’origine d’une journée dédiée au CNRS le 6 avril prochain à l’occasion des 80 ans de l’organisme, revient sur quelques caractéristiques qui fondent selon lui le caractère « unique et indispensable » du CNRS.

Que représente aujourd’hui selon vous le CNRS dans le paysage de la recherche française ?

L’histoire du CNRS se confond avec l’histoire de la recherche française. Qu’on s’en afflige ou qu’on s’en réjouisse, le CNRS a joué un rôle central dans notre pays et cela pour deux raisons que nous connaissons tous : d’une part, toutes les disciplines y sont réunies, ce qui est essentiel à l’heure où l’on parle d’interface entre les domaines scientifiques. Le CNRS a été sur ce plan à l’avant garde en imposant un même modèle d’organisation qui permet de rapprocher les disciplines. En luttant contre ce qu’il appelait les « prisons disciplinaires », François Kourilsky (directeur général du CNRS de 1988 à 1994, NDLR) a eu une action déterminante. D’autre part, même si cette conception est un peu réexaminée aujourd’hui, le CNRS reste très marqué par la recherche fondamentale et offre une sécurité réelle pour exercer ce métier. Ce système s’est construit en association avec les universités, avec les autres EPST aussi, mais le CNRS demeure sur ce point unique et indispensable.
 

Qu’entendez-vous par un organisme qui offre une réelle sécurité ? La sécurité de l’emploi ?

Pas seulement. J’entends d’abord par-là que l’on n’exige pas des chercheurs du CNRS de changer de sujet tous les cinq ou six ans. C’est une erreur à laquelle nous conduisent les excès de la recherche sur projet. C’est en engageant des chercheurs - et non des fonctionnaires de la preuve- qu’ont été faites, et continueront de l’être, de grandes découvertes. Je pense aussi bien sûr à la sécurité de l’emploi, surtout si elle est proposée à des jeunes scientifiques. A 25 ou 26 ans, l’âge où tous les risques sont possibles, démarrer une carrière dans de telles conditions, c’est un luxe. A cette époque de la vie, un salaire de chercheur, cela paraît beaucoup, quand cela devient trop faible, voire dérisoire à 35 ans quand un jeune homme ou une jeune femme peuvent avoir d’autres préoccupations.
 

Vous parlez d’un paradis perdu ?

Je ne crois pas qu’il soit totalement perdu même si l’âge du recrutement au CNRS a dangereusement reculé. Il faut veiller à continuer à donner leurs chances aux jeunes, à des personnes capables de réaliser ce saut imaginatif, cette prise de risque qui ouvrent sur de grandes découvertes. L’histoire montre que de certaines découvertes peuvent être refusées pendant 10, 20 voir 30 ans par le milieu scientifique. C’est ce qui s’est passé avec Stanley Prusiner (Prix Nobel de médecine 1997) inventeur du concept de protéine infectieuse et dont la recherche a été mise en danger. On pourrait citer d’autres exemple, comme celui de Barbara McClintock, découvreuse des éléments génétiques mobiles. Ce qui est très nouveau ne se voit pas forcément tout de suite !

Le CNRS est à la fois justement attentif au développement d’une recherche très proche des applications mais aussi un organisme qui donne du temps. Je n’ai rien contre l’innovation, bien au contraire, mais nous devons absolument préserver, voire renforcer cette part de rêve qui guide les recherches fondamentales.
 

Le CNRS est-il adapté selon vous à la compétition internationale ?

La réponse est forcément oui. Car de mon point de vue, il ne fait de doute que la recherche française ne pourrait figurer encore au 5 ou 6ème rang mondial, en dépit de la faiblesse des investissements de notre pays, sans l’action du CNRS. Il nous permet de nous maintenir dans cette compétition. Je rappelle que la France ne consacre que 0,7% de son PIB à la recherche académique quand l’Allemagne a largement dépassé les 1%. Nous ne devons pas décrocher.

Le CNRS sous le regard d’autres grands pays ou institutions de recherche fait partie des thématiques que nous aborderons au cours de la journée que le Collège de France organise le samedi 6 avril à l’occasion des 80 ans du CNRS. Cette journée se déroulera en présence de scientifiques de très grand renom qui ont tous répondu présents mais également de plus jeunes qui représentent la relève. Nous y évoquerons longuement les valeurs et les grands principes qui fondent une recherche d’excellence.
 

Comment pourrions-nous nous améliorer ?

La question déterminante est celle des ressources humaines, de la formation et de la continuité. Par-delà la question des jeunes déjà évoquée, quand une équipe déjà établie a fait la preuve de son excellence, il faut lui assurer une sécurité sur le long terme.

Le CNRS a été ainsi en 1990 à l’origine des programmes ATIP en sciences de la vie et de la santé, programmes qui ont permis à des chercheurs de constituer leur propre équipe, d’acquérir leur autonomie scientifique et d’échapper au système mandarinal. L’organisme aurait selon moi beaucoup à gagner en étendant ce même principe à d’autres disciplines.

Nous devons penser l’excellence dans la sécurité et l’attractivité. Quand vous cherchez à recruter à l’international, ou à empêcher qu’un scientifique quitte la France, que demandent les chercheurs ? Pas seulement un salaire mais aussi un environnement, que nous ne sommes pas toujours capables d’offrir. Enfin, notre système me paraît inadapté en fin de carrière, en raison de règles de la fonction publique qui nous privent de la compétence de scientifiques tentés de poursuivre leur carrière à l’étranger, aux États-Unis notamment.