L’Académie des sciences, la voix de la communauté scientifique
Huit chercheurs et chercheuses du CNRS ont rejoint l’Académie des sciences lors des dernières élections en décembre 2019. Ils intègrent une institution aux missions méconnues et s’attacheront à rédiger études, avis et suggestions à l’attention du gouvernement et de la société.
L’Académie des sciences est une institution tricentenaire… et elle est pourtant très mal connue en dehors de ses symboles. « La première question que l’on m’a posée quand j’ai appris mon élection a été : vas-tu avoir un habit vert ? », se souvient Claire Mathieu, directrice de recherche CNRS à l’Institut de recherche en informatique fondamentale1 élue à l’Académie en décembre 2019, parmi 18 nouveaux académiciens et académiciennes, dont 8 directeurs et directrices de recherche du CNRS.
« L’Académie des sciences n’est pas un organisme de recherche comme peut l’être le CNRS », explique Didier Roux, académicien délégué à l'Information scientifique et à la communication de l'institution : « Elle est le lieu de l’expression de la communauté scientifique (hors SHS) qu’elle représente dans sa diversité. » Créée en 1666 par Jean-Baptiste Colbert, un des principaux ministres de Louis XIV, l’Académie devait se consacrer au développement des sciences et conseiller le pouvoir en ce domaine. Des missions qui ont peu changé jusqu’à aujourd’hui, malgré de multiples transformations statutaires dus aux bouleversements politiques successifs.
Élus par leurs pairs via une procédure qui « assure la qualité des travaux scientifiques qu’ils mènent mais aussi la capacité des lauréats à interagir avec les autres disciplines », les académiciens se consacrent à plusieurs missions : de l’attribution de plus de 80 prestigieux prix nationaux et internationaux, tels la grande médaille de l'Académie des sciences, à la présentation d’études, recommandations et suggestions à l’attention du gouvernement et de la société. À travers ces rapports et des conseils plus informels, « nous essayons de servir d’intermédiaire avec les politiques », souligne Étienne Ghys, directeur de recherche au CNRS et secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences depuis janvier 2019.
Pilotage de la transition énergétique, traitement des déchets nucléaires, utilisation des écrans par les enfants, loi pluriannuelle de la recherche… La dizaine d’avis émis par l’Académie des sciences par an, parfois en collaboration avec les Académies de médecine ou des technologies, abordent des problématiques science & société variées. Au-delà de la sphère politique ils visent également les citoyens. « Nous aidons le public à s’emparer de ces sujets scientifiques et de politique publique, afin qu’il puisse comprendre de quoi il s’agit et se faire sa propre opinion avant d’agir via ses choix politiques », assure Claire Mathieu, citant la question de la vaccination ou le débat sur les gaz de schiste. Une mission que l’Académie partage avec les sociétés savantes disciplinaires mais qu’elle assure à un niveau interdisciplinaire.
« L’Académie permet de se confronter à des personnes qui ont accumulé de nombreuses connaissances différentes pour ouvrir de nouvelles voies, et de partager nos réflexions avec la société », résume un autre nouvel élu, Lluis Quintana-Murci, directeur du laboratoire Génétique évolutive humaine2 . « Je suis en France depuis 20 ans et suis très honoré d’avoir été choisi pour intégrer l’Académie des sciences française », raconte-t-il avant d’ajouter : « Je suis également ravi que ma discipline, l’évolution et la génétique des populations, soit soutenue à ce niveau. »
« Une telle reconnaissance est aussi un poids », nuance Claire Mathieu : « on devient une personne plus publique, avec une certaine autorité, et il faut maintenant faire attention à ce que l’on dit. Mais les prix que nous décernons nous permettent aussi d’attirer l’attention sur des travaux et des chercheurs, et chercheuses. »
Des rangs plus jeunes et plus féminins
La présence, relativement récente3 , de femmes au sein de l’Académie pourrait ainsi aider à rendre « moins masculines » les nombreuses instances scientifiques pour lesquelles les académiciens sont sollicités, de par leur statut.
« L’Académie s’efforce actuellement de redonner leur place aux femmes au sein de l’institution, en particulier dans des disciplines traditionnellement masculines, comme les mathématiques ou l’informatique », assure Didier Roux. Et la féminisation des rangs de l’Académie n’est pas le seul changement récent.
En 2003, l’institution modifie ses statuts, afin de se donner un coup de jeune : à chaque élection, la moitié des nouveaux membres devront désormais avoir moins de 55 ans. Encore en activité, ces académiciens « juniors » renforcent « l’emprise de l’Académie sur le monde réel ». À la même occasion, le nombre maximal d’académiciens est décuplé, passant de 100 à 250 membres âgés de moins de 75 ans, les membres étant élus à vie. « Si on se compare aux académies étrangères, ce nombre, s’il reste petit, permet déjà de représenter l’ensemble des disciplines de la science moderne ».
Et parmi ces membres, les scientifiques du CNRS sont bien présents. « Et la plupart des académiciens mathématiciens qui ne sont pas du CNRS y ont passé une partie de leur carrière ! », précise Étienne Ghys. Mais la coopération va plus loin, avec du personnel administratif mis à disposition par l’organisme pour l’Académie. Et « au-delà, le CNRS nous aide dans notre transition vers la science ouverte, qui est une opération majeure », ajoute le secrétaire perpétuel. Les Comptes rendus de l’Académie des sciences, revue historique fondée en 1835 et gérée depuis une quinzaine d’années par l’éditeur Elsevier, vient en effet de devenir une « revue ouverte diamant », c’est-à-dire sans coût pour les auteurs et libre d’accès, sur la plateforme du Centre Mersenne pour l’édition scientifique ouverte4 . « Nous voulons une revue qui montre l’exemple de la vertu scientifique ».
Un exemple aussi de coopération internationale, l’Académie accueillant aussi 150 « associés étrangers » : choisis parmi les « savants étrangers les plus éminents », comme le chimiste Thomas Ebbesen, médaille d’or du CNRS 2019, ou le prix Nobel de physique Michel Mayor, ils ont pour mission de contribuer à la réputation internationale de l’Académie. De même, plusieurs médaillés d’or du CNRS comme Jean Jouzel ou Alain Aspect, prix Nobel français comme le chimiste Jean-Marie Lehn ou le physicien Claude Cohen-Tannoudji, ou encore médaille Fields tel Alain Connes font partie de la National Academy of Sciences américaine. Car les académies des sciences, en particulier celles du G7, travaillent en étroite collaboration dans des réseaux européens et mondiaux. Au dernier sommet à Biarritz en 2019, l’Académie des sciences française a ainsi coordonné une déclaration commune des académies autour de 3 questions scientifiques et gouvernementales jugées prioritaires : « science et confiance », « IA et société » et « science citoyenne à l’âge de l’Internet ».
Une mise en perspective des enjeux politiques, éthiques et sociétaux que pose la science, bien éloignée de la poussiéreuse tradition que l’on prête souvent à l’Académie des sciences. Mais avant de prendre en main leurs nouvelles missions, les 18 membres nouvellement élus - les premiers depuis 2017 - recevront quant à eux leur habit vert, dessiné par Napoléon Bonaparte et brodé de feuilles et de fruits d’olivier symbolisant la sagesse, le 2 juin prochain lors d’une cérémonie sous la coupole de l’Institut de France.
Les 8 directeurs et directrices de recherche du CNRS élus en décembre 2019
Division « sciences mathématiques, physiques, sciences de l’univers et leurs applications »
Section de mathématique
- Mireille BOUSQUET-MÉLOU, directrice de recherche CNRS au Laboratoire bordelais de recherche en informatique (CNRS/Université de Bordeaux)
Section de physique
- Jacqueline BLOCH, directrice de recherche CNRS au Centre de nanosciences et de nanotechnologies (CNRS/Université Paris-Sud – Université Paris-Saclay)
- Denis GRATIAS, directeur de recherche CNRS émérite à l’Institut de recherche de chimie Paris (CNRS/Chimie ParisTech)
Section des sciences mécaniques et informatiques
- Claire MATHIEU, directrice de recherche CNRS à l’Institut de recherche en informatique fondamentale (CNRS/Université de Paris)
- Thierry POINSOT, directeur de recherche CNRS à l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse (CNRS/Université Toulouse III/Toulouse INP)
Division « sciences chimiques, biologiques et médicales, et leurs applications »
Section de biologie moléculaire et cellulaire, génomique
- Anne HOUDUSSE JUILLÉ, directrice de recherche au CNRS, responsable du groupe Motilité structurale du laboratoire Biologie cellulaire et cancer (CNRS/Institut Curie)
Section de biologie intégrative
- Tatiana GIRAUD, directrice de recherche au CNRS, directrice adjointe du laboratoire Écologie, systématique et évolution (Université Paris-Sud/CNRS/AgroParisTech)
- Olivier GASCUEL, directeur de recherche CNRS, directeur du département de Biologie computationnelle de l’Institut Pasteur
8 des 10 autres membres élus font partie d’une unité mixte de recherche du CNRS et de ses partenaires.
- 1CNRS/Université de Paris
- 2CNRS/Institut Pasteur
- 3La première femme élue à l’Académie des sciences fut Yvonne Choquet-Bruhat en 1979. Ses travaux sur les mathématiques de la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein sont aujourd’hui utilisés dans les détecteurs d’ondes gravitationnelles.
- 4CNRS/Université Grenoble Alpes