« Le CNRS est un moteur de la recherche et de l’innovation en Europe »

Institutionnel

Alors que la France préside le Conseil de l’Union européenne, le CNRS entend défendre sa position d’acteur majeur de l'espace européen de la recherche. Directrice Europe de la recherche et coopération internationale, Christelle Roy détaille les actions de l’organisme envers l’Union.

Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) qui a débuté le 1er janvier, le CNRS prépare plusieurs événements sur les six prochains mois. Quels en seront les sujets ?

Christelle Roy1  : La PFUE se donne pour objectif de construire une Europe « plus solidaire et plus souveraine ». Pour illustrer cet objectif et les trois piliers « Europe au carré », « Europe globale » et « Jeunesse d’Europe » qui le déclinent côté recherche, le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (Mesri) a préparé plusieurs événements et rencontres. S’y ajoutent plus de soixante-dix événements labellisés PFUE, portés par des membres de l’Esri français. Le CNRS en organisera ou co-organisera plusieurs avec ses partenaires, jusqu’en juin 2022, en ligne, en France et à Bruxelles : ils traduisent les réflexions de l’UE sur la souveraineté scientifique et technologique (notamment sur les sujets clés du quantique et de l’intelligence artificielle), la mobilité des scientifiques, le partenariat entreprises-recherche académique, la recherche collaborative, les liens science-société ou encore les nouveaux modes de partenariats entre l’Europe et l’international. Ils montreront que le CNRS est un moteur de la recherche et de l’innovation en Europe, pour l’Europe et pour ses partenaires, capable de mobiliser un grand nombre d’acteurs français et de l’Union.

Par exemple, la conférence « They choose Europe » mettra en avant la capacité de l’UE à attirer les plus grands talents, et notamment au CNRS où les chercheurs et chercheuses représentent plus de quatre-vingt-dix nationalités. Un autre événement célèbrera les 15 ans du Conseil européen de la recherche, un des principaux labels d’excellence de la recherche européenne, qui reconnaît régulièrement les scientifiques du CNRS avec un taux de succès supérieur à la moyenne de l’UE (18 % dans le dernier programme-cadre H2020). Ces deux rendez-vous associent nos proches collaborateurs du réseau G6 (voir plus loin). Les premiers rendez-vous – les Journées européennes de la science ouverte et une journée de débat sur l’égalité professionnelle dans la science – ont lieu début février.

  • 1Chercheuse en physique subatomique, Christelle Roy prend en 2011 la direction de l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (CNRS/Université de Strasbourg). Entre 2017 et 2021, elle est vice-présidente de l’Université de Strasbourg. En novembre 2020, elle rejoint la direction du CNRS en tant que chargée de mission Europe auprès de la Direction générale déléguée à la science (DGDS), avant d’être nommée directrice Europe de la recherche et coopération internationale (DERCI) en mai 2021.

Ces manifestations s’inscrivent dans la stratégie européenne du CNRS. Quelles en sont les ambitions ?

C. R. : Annoncée en juin 2021, la stratégie européenne du CNRS veut poursuivre et amplifier nos efforts pour augmenter la participation de l’organisme aux programmes européens et accroître son influence. Co-construite et co-portée par l’ensemble des acteurs de ces questions au CNRS, cette feuille de route ambitieuse se veut dynamique : elle sera mise à jour en fonction des éventuelles évolutions des programmes-cadres de la Commission européenne ou en fonction du déploiement de nos actions. Elle s’organise autour de trois mots d’ordre : influencer, soutenir et inciter.

Nous avons par exemple mis en place des groupes miroirs aux actions du programme-cadre Horizon Europe, notamment les six clusters2  et les cinq missions3  du Pilier 2, afin de mieux diffuser le positionnement de l’organisme sur ces actions et de mieux coordonner nos réponses aux financements européens. L’objectif est affiché dans notre Contrat d’objectifs et de performance signé avec l’État : augmenter de 25 % le nombre de contrats européens que nous hébergeons d’ici 2023. Les projets collaboratifs représentent aussi de formidables opportunités pour s’insérer dans des réseaux de laboratoires, entreprises, institutions publiques, etc. au meilleur niveau de la recherche et de l’innovation. Le CNRS veut renforcer la participation des scientifiques à ces grands consortiums et aux autres réseaux d’influence qui structurent l’espace européen de la recherche, notamment sur les questions de science ouverte, éthique scientifique ou gestion des ressources humaines.

Cette stratégie doit aussi être mieux portée à Bruxelles, afin que les futurs appels à projets soient en ligne avec nos priorités scientifiques. Nous ciblons en premier lieu les appels à projets 2023-2024 d’Horizon Europe.

  • 2Santé ; Culture, créativité et société inclusive ; Sécurité civile pour la société ; Numérique, industrie et espace ; Climat, énergie et mobilité ; Alimentation, bioéconomie, ressources naturelles, agriculture et environnement.
  • 3Changement climatique ; Protection des océans ; Lutte contre le cancer ; Villes neutres en carbone ; Santé des sols.

Vous voulez inciter les scientifiques des laboratoires dont le CNRS est tutelle à s’engager vers l’Europe. Comment seront-ils soutenus dans cette démarche ?

C. R. : L’organisme souhaite déployer un soutien particulier dans le montage et la gestion de projets européens. Pour les projets collaboratifs gérés par l’organisme, les 14 Ingénieurs de projets européens (IPE) de la DERCI, dont le réseau est animé par le Bureau de Bruxelles, seront bientôt rejoints par 33 nouveaux collègues, recrutés prochainement. Ils représenteront un renfort significatif dans les délégations. Ces IPE accompagnent les chercheurs et les chercheuses dans le montage de projets européens collaboratifs : identification des besoins, conseils aux chercheurs, relations avec les partenaires, rédaction du cahier des charges (éléments financiers et juridiques). Lorsque les projets sont retenus, les IPE accompagnent les coordinateurs jusqu’au lancement (kick-off) du projet : négociation des contrats (propriété intellectuelle, notamment s’il y a des partenaires industriels) et des accords de consortium, recrutements, en particulier de l’European Project Manager. Rattachés à la DERCI et localisés dans les 18 délégations régionales, les IPE travaillent en étroite collaboration avec les services de valorisation (SPV) des délégations régionales. C’est le Bureau de Bruxelles, sous la direction d'Alain Mermet, qui assure la coordination du réseau national des IPE, en partenariat avec les SPV et la Mission pilotage et relations avec les délégations régionales et les instituts (MPR). En compléments de ces ingénieurs, les instituts du CNRS peuvent mettre à disposition des Chargés d’affaires Europe qui épaulent également les chercheurs et les chercheuses qui souhaitent candidater aux appels de la Commission européenne, en proposant par exemple des oraux pour les candidats à l’ERC.

Le CNRS a aussi lancé un appel à projet AMORCE d’appui au montage de projets européens collaboratifs. Il s’adresse aux chercheurs et chercheuses, enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses des unités de recherche dont le CNRS est une tutelle, dans toutes les disciplines. Il est ouvert jusqu’au 18 février 2022.

Enfin, le CNRS va également renforcer les dispositifs incitatifs et de soutien individuels pour valoriser l’implication envers l’Europe des personnels ingénieurs, techniciens, administratifs (ITA) et des chercheurs et chercheuses.

Cette stratégie du CNRS envers l’Europe est-elle pensée avec les différents partenaires de l’organisme ?

C. R. : Bien sûr. Les trois axes – influencer, soutenir, inciter – se retrouvent dans le plan d’amélioration de la participation française aux programmes européens (PAPFE) du Mesri, avec qui nous travaillons main dans la main. Nous lui apportons notre expertise de l’Europe de la recherche et nous nous approprions le PAPFE pour nous y insérer au mieux. Par exemple, un possible financement de projets jugés excellents par les jurys du programme européen mais non retenus demande à être négocié au niveau national, en lien aussi avec l’Agence nationale de la recherche.

Nous discutons également actuellement avec nos collègues au sein des universités, afin de développer des stratégies communes, des échanges de bonnes pratiques dans l’accompagnement des candidats. Nous menons aussi des réflexions pour déployer des Cellules Europe sur les sites, en concertation avec donc nos partenaires universitaires.

Enfin, nous faisons partie du réseau G6 qui regroupe les principaux organismes pluridisciplinaires de recherche européens – CNR (Italie), CNRS (France), CSIC (Espagne), Helmholtz Association, Leibniz Association et Max Planck Society (Allemagne) – et représente 135 000 collaborateurs. Nous échangeons régulièrement sur nos pratiques de veille, de sécurité des données, d’accueil des scientifiques, etc. La stratégie de l’organisme se pense dans ce contexte.

C’est aussi le rôle du Club Europe mis en place par le CNRS l’année dernière ?

C. R. : La Direction des relations avec les entreprises du CNRS (DRE) a lancé l’an dernier ce Club Europe, un « think tank » avec de nombreux industriels, déjà partenaires de l’organisme ou non, pour aborder en commun les appels d’offres collaboratifs du nouveau programme cadre de recherche Horizon Europe, doté d’un budget global de près de 100 milliards d’euros. Ce dispositif doit pousser les entreprises à participer à des projets européens que le CNRS porterait, dans une approche multilatérale de l’Europe de la recherche. Il devrait nous permettre de porter ensemble des positions communes pour les futurs programmes de travail.

Maison Curie à Bruxelles
La Maison Irène et Frédéric Joliot-Curie est située en plein cœur du quartier européen à Bruxelles. © CNRS

En pratique, comment le CNRS entend-il amplifier sa stratégie d’influence à Bruxelles ?

C. R. : Nous souhaitons aujourd’hui mieux coordonner et optimiser nos forces vers l’Europe. C’est le rôle du secteur Union européenne mis en place au sein de la DERCI à Paris et qui est piloté par Etienne Snoeck, épaulé par une équipe renforcée depuis ces dernières semaines. La Maison Irène et Frédéric Joliot-Curie, située en plein cœur du quartier européen à Bruxelles, aura aussi ce rôle. Projet initié par le CNRS et France Universités, elle sera un hôtel à projets pour l’Esri français pour lancer des actions communes sur les nombreuses préoccupations que nous partageons avec nos partenaires. Aucun autre État membre ne dispose d’un tel lieu de réunion, de démonstration et d’influence. Cette Maison doit permettre de promouvoir les enjeux de l’espace européen de la recherche auprès de l’opinion et des décideurs français, et de faire valoir l’engagement et l’expérience du CNRS auprès des institutions de l’UE.

Comment se rapprocher de l’Europe ouvre des portes vers des coopérations internationales plus larges ?

C. R. : Notre stratégie doit accroître le rayonnement des recherches de l’organisme et son attractivité à l’échelle européenne. Mais, au-delà, il s’agit aussi d’un levier vers l’international. Le CNRS a une vision pluridisciplinaire et large de la recherche : par exemple, les enjeux climatiques et environnementaux ne se régleront pas avec une solution nationale ni même du continent. Notre plan de coopérations avec l’Afrique, qui sera dévoilé sous peu, le montre bien. L’un des événements PFUE sera d’ailleurs consacré à ces collaborations avec ce continent plein de promesses pour la recherche. Nous discutons en ce moment avec la Commission européenne, afin de mieux nous approprier les dynamiques et financements qu’ils mettent en place et grâce auxquels nous pourrions renforcer notre volonté d’ouverture internationale. Je suis persuadée que ce sera une plus-value majeure du CNRS.