« L’eau est essentielle et doit être considérée dès lors comme un bien commun »

Institutionnel

Lancé le 16 mars avec un budget de €53 millions, le PEPR Exploratoire OneWater - Eau Bien Commun souhaite emmener l’eau vers un nouveau paradigme.

« L’objectif de ce programme est de reconnaître l’eau ‘pour elle-même’ et non plus comme étant ‘au service de’ », souligne Agathe Euzen, directrice du nouveau Programme et Équipement Prioritaire de Recherche1  (PEPR) Exploratoire OneWater-Eau Bien Commun, responsable de la Cellule Eau du CNRS et directrice adjointe de l’Institut Écologie et Environnement de l’organisme (INEE). Co-piloté par le CNRS, Thibault Datry2 pour INRAE3  et Dominique Darmendrail4 pour le Bureau de Recherches Géologiques et Minières5  (BRGM), ce PEPR Exploratoire intervient dans un contexte de changement global où les pressions physiques et anthropiques sont exacerbées et où l’eau douce continentale constitue l’un des défis majeurs du XXIe siècle.

Lancé officiellement le 16 mars notamment en présence d’Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, Claire Giry, directrice générale de la Recherche et de l’Innovation au ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI), Michèle Rousseau, présidente-directrice générale du BRGM, Philippe Mauguin, président-directeur général de INRAE, OneWater-Eau Bien Commun est doté d’un budget de 53 millions d’euros et porte sur six défis scientifiques (voir encadré). « Et son nom n’est pas anodin », affirme Agathe Euzen. « L’eau est un bien commun de par la diversité de ses états, ses fonctions, ses interactions avec les différents compartiments et les services essentiels qu’elle rend aux écosystèmes et aux humains. L’eau douce est vitale et doit être considérée dès lors comme un bien commun à partager, et non comme un produit qui pourrait être soumis à la loi du marché.» Elle doit être appréhendée dans toutes ses dimensions, à toutes les échelles, de la molécule à l’atmosphère en passant par les bassins versants, les réseaux et les nappes, le continuum Terre-mer, et à travers différentes approches et disciplines pour être pleinement considérée dans toute sa complexité.

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Préparation d’un carottier pour le prélèvement de sédiments dans une chambre à sable. Dans cet équipement d’assainissement situé sous le quai de la Madeleine, à Orléans, 7 millions de m³ d’eaux usées et pluviales en provenance du nord de l’agglomération sont prétraitées chaque année, avant leur transfert vers les stations d’épuration. © Cyril FRESILLON/ISTO/CNRS Photothèque

Ce PEPR exploratoire favorise une approche globale qui est de plus en plus partagée par l’ensemble des acteurs concernés par l’eau, conscients de la nécessité de reconsidérer les valeurs culturelles, socio-économiques, environnementales de l’eau - qu’elle soit pluviale, résidentielle, industrielle, agricole, usée, potable…, qu’elle coule dans les rivières ou alimente les nappes souterraines… – et les différentes formes de gestion des ressources et leurs limites, afin de répondre aux besoins des sociétés humaines et des écosystèmes. La notion de ressources limitées est clé pour comprendre les enjeux de l’eau alors qu’elle fait face aux changements climatiques et à la dégradation des écosystèmes, mais également à l’impact des activités humaines sur les territoires. « La biodiversité des écosystèmes aquatiques est particulièrement vulnérable au changement global par exemple », note Thibault Datry, expliquant que des changements de repères pourraient avoir une conséquence sur la disponibilité et la température de l’eau qui, à son tour, impacteraient les écosystèmes. Car l’eau est dynamique. Elle bouge. « Il nous faut impliquer la plus grande diversité de disciplines scientifiques pour parvenir à un appui à la gestion de l’eau afin de conserver cette ressource tout en prenant compte de sa répartition inégale sur le territoire. C’est une ambition majeure du PEPR. »

Le cycle de l’eau

Car la gestion de l’eau en France sera clé pour l’avenir alors que les prédictions climatiques annoncent des grandes disparités de sa distribution sur le territoire. « Le cycle de l’eau est encore mal connu même si nous savons depuis longtemps qu’elle passe de nombreuses fois de la surface de la Terre jusqu’à la mer pour s’évaporer et retomber sur Terre ou qu’elle s’infiltre vers les eaux souterraines. Les eaux souterraines peuvent alimenter les eaux de surface, notamment en été. Le tout avec des transferts en eau aux temporalités différentes », explique Dominique Darmendrail. « Le cycle de l’eau est donc bien plus complexe qu’on ne le pense. D’autant qu’il est modifié par la façon dont on l’utilise », ajoute Thibault Datry, précisant que le PEPR a également pour ambition de développer des connaissances fondamentales au cœur du programme.

Répartition des ressources en eaux, fonctionnement du cycle de l’eau, gestion de l’eau, grands cycles biogéochimiques, état et suivi de la biodiversité aquatique : le PEPR exploratoire, qui se concentre sur le territoire national français, répondra à de nouveaux enjeux. Car les recherches du programme se poseront en appui pour la transition de la gestion de l’eau en France. Et il reste beaucoup de connaissances à acquérir sur le fonctionnement des écosystèmes et leurs temps de réponse, ce qui nécessite des suivis à long terme sur l’évolution de la disponibilité des ressources en eaux. « Nous avons également des connaissances à acquérir en termes de qualité de l’eau en développant des recherches pointues. Cela nous permettra par exemple de pouvoir anticiper l’évolution des stocks d’eau disponibles, de suivre la qualité de l’eau pour en limiter les risques de pollutions tout en considérant les représentations que chacun a de cette ressource précieuse. Voilà des exemples de problématiques qui seront traitées par le PEPR exploratoire et qui se retrouvent au cœur des six défis », précise Agathe Euzen. « Il nous faut également ‘décompartimenter’ les approches et associer des problématiques – qu’elles concernent le débit, la toxicologie, la saisonnalité, les usages – qui n’ont pas l’habitude de dialoguer. Ainsi, il nous faut retracer les cycles comme le long du continuum Terre-Eau douce-Mer, c’est-à-dire l’ensemble du cycle de l’eau pour étudier les impacts ou analyser l’efficacité des solutions apportées », ajoute Dominique Darmendrail.

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Prototype de laboratoire contrôlé pour l’étude des nanoplastiques dans une interface eau salée-eau douce. 
© Cyril FRESILLON / PEPSEA / CNRS Photothèque
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Vers un nouveau paradigme de l’eau 

Si depuis les années 60, la gestion de l’eau en France s’organise par grands bassins versants, il s’agit de la faire évoluer face aux pressions dues au changement climatique, au développement de la demande et la pression sur la qualité de l’eau avec la concentration de la population dans les zones urbaines, ou à l’aménagement du territoire qui modifie notamment les circuits naturels de l’eau. Toutes ces données et leurs impacts directs impliquent un usage plus sobre et raisonné de la ressource et cela nécessite de changer de paradigme pour préserver l’eau de manière durable et au bénéfice de tous. Une notion qui sera largement portée par le PEPR Exploratoire OneWater. L’eau est aussi une « molécule clé » pour la santé publique, la transition énergétique ou digitale, tout comme la sécurité alimentaire. Tous ces impacts ne sont pas encore appréhendés. « Le PEPR souhaite aussi soulever les contradictions qui existent aujourd’hui entre différents usages et apporter des connaissances pour mieux évaluer, sur le long terme, la diversité des enjeux, des impacts et des bénéfices écologique et énergétiques par exemple, mais aussi socio-culturels, socio-économiques… », affirme Agathe Euzen.

OneWater vise aussi à renforcer le leadership de la France au niveau économique alors qu’aujourd’hui la filière Eau représente 500 entreprises, 125 000 emplois directs et 22 milliards de chiffre d’affaires. « Et cela ne représente que les emplois directs. Imaginez les chiffres si on comptait les secteurs étroitement dépendants des ressources en eau comme l’agroalimentaire ou encore l’énergie », note Dominique Darmendrail. En Europe, les emplois en lien avec l’environnement représentent le 2e poste d’emplois en développement. « En mettant en évidence de nouveaux enjeux, nous allons aussi développer de nouvelles compétences en termes de gestion de l’eau avec par exemple le développement de l’IA et le développement de nouveaux capteurs. Une de nos ambitions est d’accompagner le monde socio-économique dans l’identification des connaissances à acquérir et à intégrer dans les formations pour répondre aux enjeux qui seront exacerbés demain », observe Agathe Euzen. Et cela implique de favoriser et connecter les étudiants qui travaillent sur ces thématiques – d’être en capacité de former des chercheurs, des ingénieurs et des gestionnaires pour créer une communauté “eau” qui tiendra compte de la complexité et de la globalité des enjeux. « Cette communauté scientifique doit être en lien avec les usagers afin que l’on trouve des solutions ensemble. C’est pourquoi nous avons souhaité créer et intégrer un Think Tank OneWater pour favoriser les interactions entre acteurs socio-économiques et scientifiques afin d’accompagner les transitions », pointe Dominique Darmendrail.

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Barrage du Plan d'Aval près d'Aussois en Vanoise (Savoie). © SLAGMULDER Christian / INRAE

Une eau, une communauté

« Il existe déjà une communauté composée d’une grande diversité de personnes, de compétences, d’infrastructures qui ont compris qu’il fallait travailler ensemble et se réunir autour d’enjeux communs. Le PEPR One Water est le fruit de cette maturité qui s’appuie aussi sur les travaux réalisés dans les zones ateliers, l’observatoire OZCAR, des sites expérimentaux et des infrastructures comme les Ecotrons6  et bien plus encore. L’ensemble de ces dispositifs vont être la base de tests et d’expérimentations et l’objectif est de produire de nouvelles connaissances en s’appuyant sur ce terreau », précise Agathe Euzen. Pour mettre en œuvre son action, le PEPR s’appuiera sur une panoplie d’outils tels que des appels à projets ouverts, des projets ciblés, l’organisation de rencontres et d’échanges autour des défis portés par OneWater en impliquant les chercheurs, les étudiants, les acteurs socio-économiques et des territoires. L’ensemble des actions viendront en appui aux équipements et dispositifs existants et contribueront à la création d’une plateforme virtuelle OneWater pour répondre aux nouveaux enjeux ; à des actions d’éducation par la recherche avec la formation d’une génération d’étudiants ‘OneWater’ ; et à des actions aux échelles nationale, européenne et internationale. « Tous ces outils sont liés et s’alimenteront les uns, les autres », pointe Thibault Datry.

La journée de lancement du 16 mars dévoilera le lancement du premier appel à projet du PEPR Exploratoire OneWater qui se déclinera sous la forme d’un appel à manifestation d’intérêt pour répondre aux six défis du programme. « Quant aux projets ciblés, ils sont en cours de finalisation pour une mise en œuvre cette année. Le conseil scientifique international sera prochainement mobilisé tout comme le Think Tank… Nous mettons tout en œuvre pour que toute une communauté se mobilise autour de OneWater pour apporter des réponses aux enjeux liés à une eau qui doit être envisagée comme un bien commun. Tel est l’un de nos messages au Forum Mondial de l’eau qui se tiendra la semaine prochaine à Dakar », conclut Agathe Euzen.

 

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Récupération des prélèvements automatiques d'eau du ruisseau du bassin versant du Strengbach, dans le massif vosgien. Ces mesures sont effectuées au sein de l'Observatoire Hydro-Géochimique de l’Environnement (OHGE). Les chercheurs y étudient les réponses du milieu naturel face aux perturbations naturelles et anthropiques telles que la pollution atmosphérique, l’exploitation forestière ou plus généralement les changements climatiques. © Hubert RAGUET/LHYGES/IPGS/OHGE /CNRS Photothèque
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  • 1Les PEPR ont la vocation de construire ou consolider un leadership français dans des domaines scientifiques considérés comme prioritaires aux niveaux national ou européen et liés à une transformation de grande ampleur. Les PEPR exploratoires visent des secteurs en émergence avec des travaux de recherche dont les domaines d'application peuvent relever encore d'hypothèses de travail. Il s'agit d'explorer des champs scientifiques dont les retombées espérées peuvent être multiples.
  • 2Directeur de recherche au département Eau d’INRAE et directeur de l’équipe EcoFlowS.
  • 3Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
  • 4Directrice du programme Water and Global Changes au BRGM.
  • 5Établissement public français pour les applications des sciences de la Terre pour la gestion de ressources et les risques du sol et sous-sol.
  • 6Le principe d’un Ecotron est d’étudier des organismes et/ou des écosystèmes placés dans des enceintes totalement ou partiellement étanches afin de permettre une régulation précise de leur environnement en même temps qu’un suivi en continu des échanges de matière et d'énergie entre les compartiments de l'écosystème et entre organismes.

Les six défis scientifiques du PEPR Exploratoire One Water

Défi 1 - Anticiper l’évolution de la ressource en eau pour permettre l’adaptation des territoires à leurs singularités.
Défi 2 - Développer une « empreinte eau » des processus environnementaux et des activités humaines, en considérant non seulement les transferts d’eau mais aussi sa qualité.
Défi 3 - Utiliser l’eau comme sentinelle de la santé de l’environnement et des sociétés humaines le long du continuum terre-mer.
Défi 4 - Proposer des solutions pour promouvoir l’adaptabilité et la résilience des socio-hydrosystèmes face aux changements globaux, et favoriser des approches et des usages plus raisonnés et intégrés.

Défi 5 transverse - Accompagner la transition socio-écologique vers une nouvelle gouvernance des ressources, pour une société durable et résiliente.
Défi 6 transverse - Partager, rendre accessible et compréhensible par tous  les données sur l’eau pour la connaissance et l’action.