« Il n'y a pas de raison que les scientifiques fassent une cession exclusive gratuite de leurs œuvres aux éditeurs »

Institutionnel

Le CNRS demande désormais à ses chercheurs et chercheuses d’appliquer la stratégie de non-cession des droits d’auteur lors du dépôt de leurs articles auprès d’éditeurs.

En quoi consiste la stratégie de non-cession des droits d’auteur ?
Alain Schuhl : Les scientifiques sont propriétaires de leurs œuvres : il n’y a pas de raison qu’ils en fassent une cession exclusive gratuite aux éditeurs, se privant ainsi eux-mêmes de la possibilité de réutiliser leurs propres publications. Avec la stratégie de non-cession des droits d’auteur, il est désormais possible de diffuser le manuscrit auteur accepté (MAA) en accès ouvert immédiat dans une archive ouverte, notamment le MAA d’un article publié dans une revue sous abonnement. Cela permet de développer l’accès ouvert immédiat sans payer de frais de publication (également appelés, de manière trompeuse, article processing charges ou APC).

Dans quel cadre applique-t-on cette stratégie ?
A. S. : La stratégie de non-cession des droits est portée par les membres de la cOAlition S (dont l’ANR et Horizon Europe), qui sont des organismes de financement de la recherche à l’initiative du Plan S. L’application de cette stratégie est obligatoire pour tout projet financé dans le cadre du Plan d’action 2022 de l’ANR et pour tout projet financé par Horizon Europe. Elle s’applique à toutes les publications, dans toutes les revues, qu’elles soient sous abonnement, hybrides ou en accès ouvert intégral (full open access). Pour sa part, le CNRS demande l’application de cette stratégie, qui va plus loin que la Loi pour une République numérique à deux niveaux. D’une part, sur le plan temporel puisqu’elle supprime la période d’embargo, qui varie de six à douze mois suivant les disciplines. D’autre part, sur le plan géographique avec son aspect international qui permet de sortir du cadre franco-français de la Loi pour une République numérique.

Comment mettre en œuvre la stratégie de non-cession des droits d’auteur ?
A. S. : La mise en œuvre de cette stratégie est simple : il s’agit d’apposer soi-même la mention « CC-BY 4.0 » sur le manuscrit et d’ajouter le lien URL qui décrit la licence CC-BY sélectionnée. Lors de la soumission du manuscrit, l’auteur doit en informer l’éditeur, des phrases types sont disponibles sur le guide d’application publié par le collège Publication du Comité pour la science ouverte. La dernière étape consiste à mettre en ligne le manuscrit sur une archive ouverte, en l’occurrence HAL. Il faut répéter l’opération pour chaque version du manuscrit jusqu’au MAA.

Pourquoi appelle-t-on cette stratégie ainsi ?
A. S. : En anglais, il est question de « rights retention strategy » qui a été traduit en français par « stratégie de non-cession des droits ». La formulation complète serait : « stratégie de non-cession exclusive des droits d’auteur à un éditeur ». En posant d’emblée une licence CC-BY sur tous leurs manuscrits jusqu’au MAA, les auteurs évitent que leur publication soit entièrement accaparée par l’éditeur. C’est pour cela qu’en anglais cela s’appelle stratégie de « rétention des droits », car on ne cède pas tous ses droits d’auteur exclusivement à l’éditeur. Mais à vrai dire, en posant une licence CC-BY sur son MAA, il s’agit en réalité d’une « stratégie d’ouverture des droits », vu que le scientifique n’a plus besoin d’autoriser les autres personnes à utiliser sa publication pour la traduire, la diffuser, etc. Qui plus est, l’auteur pourra réutiliser librement ses propres textes, graphiques et autres contenus pour ses cours ou toute communication, ce qui n’est pas le cas quand il cède la totalité de ses droits à l’éditeur.

Que répondez-vous aux chercheurs et chercheuses qui craignent la réaction de leur éditeur ?
A. S. : Il est vrai que les éditeurs ont répondu à la stratégie de manière ambiguë, soit en redirigeant les auteurs qui appliquent la stratégie de non-cession des droits vers une autre revue où il faut payer des frais de publication, soit en exigeant des chercheurs et des chercheuses qu’ils retirent leur MAA de l’archive ouverte où ils l’ont déposé (ce qui est en soi impossible), ou tant d’autres tentatives pour introduire une confusion chez les scientifiques. Si vous êtes face à de telles postures, la cOAlition S vous invite à changer de revue, et a minima à le faire savoir publiquement : « name and shame ».

Que reste-t-il à accomplir pour la science ouverte ?
A. S. : 
Avec la stratégie de non-cession des droits, nous permettons le développement en accès ouvert immédiat des manuscrits auteurs acceptés. La prochaine étape serait de développer l’accès ouvert immédiat des versions mises en page par l’éditeur (dites aussi « version of record » – VoR – , ou « PDF éditeur »). Il nous reste à poursuivre les efforts pour développer dans toutes les disciplines une édition scientifique dite « diamant », qui permet de publier en accès ouvert immédiat sans payer d’APC. Il s’agit d’une édition qui ne peut perdurer qu’avec le soutien des institutions publiques. D’ici à ce qu’une telle édition se développe et se généralise, le message du CNRS est clair : privilégiez les revues sous abonnement, évitez de payer des APC, appliquez la stratégie de non-cession des droits et surtout déposez votre manuscrit auteur accepté dans HAL.