« Les six défis sociétaux du CNRS ont été un changement de bon sens »

Institutionnel

Mis en place au cours de l’année 2020, les six défis du Contrat d’objectifs et de performance (COP) du CNRS ont favorisé les synergies entre disciplines et créé de nouvelles dynamiques de recherche. Alain Schuhl, directeur général délégué à la science en fait le bilan.

En 2019, et pour la première fois, le CNRS a décidé d’inscrire des défis scientifiques sur des sujets d’actualité – changement climatique, inégalités éducatives, intelligence artificielle, santé et environnement, territoires du futur, transition énergétique - dans son Contrat d’objectifs et de performance (COP). Qu’est ce qui a motivé cette décision ?  

Alain Schuhl : Inscrire explicitement des défis sociétaux dans son COP a été une nouveauté CNRS par rapport aux précédents COP. Cela a été un changement de bon sens puisque la force du CNRS consiste à créer des synergies entre les disciplines, afin de contribuer à apporter des éléments de réponse aux questions, rarement disciplinaires, que se pose la société. Le six défis ont donc été délimités sous proposition des dix instituts de l’organisme et nous avons choisi les plus pluridisciplinaires. 

Peut-on dire que cet objectif principal consistant à créer plus de synergies entre les disciplines a été atteint ?

A.S. : Tout à fait. Pour chaque défi, tout a commencé avec un groupe de travail composé de représentants des dix instituts du CNRS avec la présence de la MITI. L’implication de toutes ces disciplines dans l’approche des défis sociétaux a permis d’aborder des thématiques sous de nouveaux angles. D’abord, les groupes de travail ont pu s’appuyer sur la richesse des plus de mille unités mixtes de recherche du CNRS pour développer des approches originales et des contenus nouveaux. De plus, l’interaction des instituts dans un cadre régulier sur des questions scientifiques a initié des échanges plus approfondis et lancé des nouvelles dynamiques. Pour citer quelques exemples, le défi Inégalités éducatives a permis de décloisonner une communauté jusque-là organisée en silo et d’assoir la pertinence du travail interdisciplinaire sur l’éducation. Pour preuve : la création du Groupement de Recherche (GdR)1  « Recherche autour des questions d’Éducation » en janvier 2024 et les projets interdisciplinaires issus de l’appel à manifestation financées dans le cadre du défi, qui annoncent la structuration d’un champ de recherche en plein essor. Autre exemple très concret, le Centre Artificial intelligence for science, science for artificial intelligence (AISSAI), un centre pluridisciplinaire dédié à l’IA, né du défi Intelligence artificielle et qui a choisi comme positionnement le dialogue entre toutes les disciplines scientifiques autour de l’IA pour accélérer les découvertes scientifiques en repoussant les frontières de l’ensemble des sciences, pour la recherche de nouvelles configurations moléculaires pour de meilleurs médicaments, dans les sciences de l’Univers, en sciences humaines et sociales, etc..

En 2021, le gouvernement a lancé le dispositif France 2030, avec un volet de recherche important : les Programmes et Équipements Prioritaires de recherche (PEPR). Certaines de leurs thématiques rejoignent celles des défis, comme sur l’IA par exemple. Comment s’opère le maillage entre ces multiples dispositifs ?

A.S. : Les PEPR, investissements stratégiques pour la France, ont fait irruption dans le paysage alors que les défis sociétaux du CNRS étaient déjà lancés. La plupart des sujets des PEPR, de l’eau bien commun, au climat, à l’intelligence artificielle, jusqu’à l’enseignement, se rattachent à des défis sociétaux du CNRS, preuve que le CNRS avait bien vu juste sur ses thématiques et leur intérêt pour la société et pour le pays. Le CNRS se retrouve d’ailleurs à piloter ou copiloter les 2/3 des PEPR et notamment tous les exploratoires. En favorisant la transversalité, le terreau déjà existant des défis du CNRS en a facilité la construction.

D’une Zone-Atelier (ZA) à un centre de recherche, en passant par des GdR en devenir, des objets très différents sont nés de ces défis. Quel bilan peut-on en faire ?

A.S. : Les défis du COP ont créé une réelle dynamique qui a souligné—s’il le fallait encore—que les solutions aux plus grands problèmes auxquels nos sociétés sont et seront confrontés concernent plusieurs disciplines. Et le CNRS est un des seuls endroits à pouvoir les mettre toutes en interaction. D’une façon très concrète, seize appels à projets ou appels à manifestation d’intérêt ont été lancés. Certaines recherches n’auraient pas vu le jour sans ces défis et les différentes rencontres (colloques, ateliers…) ont été de véritable succès. Le colloque « Transition énergétique et société » du défi Transition énergétique par exemple a créé une véritable dynamique pour la future structuration de la recherche sur la transition énergétique qui souhaite entrer dans une logique de « GIEC de l’énergie ». Le défi Santé Environnement, quant à lui, a notamment permis la création de la nouvelle Zone Atelier Camargue qui étudiera des scénarios de transfert de virus de l’animal vers l’homme, de toxicologie par élément polluant ou même d’écoanxiété. Voici quelques exemples concrets de ce qu’a permis les six défis sociétaux du CNRS et je pourrais continuer…

Chaque défi a aussi voulu intégrer de manière significative la société et ses attentes dans l’élaboration de ses objectifs.

A.S. : Les réflexions autour de l’articulation entre recherche fondamentale et mise au service de la société ont été très discutées tout au long de la vie des défis. Comment définir des questions scientifiques en commun ? Comment faciliter l’appropriation des résultats ? On peut prendre en exemple le projet de laboratoire commun « Territoires habitables » sur l’aire Marseille imaginé par le défi Territoires du futur. Il vise à construire des partenariats entre les acteurs du territoire et le CNRS pour produire des connaissances provenant à la fois de la production scientifique et de l’innovation sociale. Une structure facilitant le passage de la recherche à l’action politique concrète.

Comment ces défis se sont-ils inscrits dans la stratégie européenne et internationale du CNRS ?

A.S. : De par leur implication sur des enjeux transverses, les défis sociétaux ont trouvé une place importante dans plusieurs actions de coopération internationales. On peut citer en exemple l’International Research Center (IRC)2  du CNRS « France-Arizona Institute for Global Grand Challenges » (Tucson, États-Unis) qui a été sélectionné parmi les sites d’études par le défi Santé et Environnement. Le centre AISSAI est unique dans le paysage européen, et dispose d’un comité scientifique international de très haut niveau. Les thématiques des défis sont en adéquation avec celles de nos partenaires internationaux et européens, ce qui permet de profiter aussi de nombreux outils de financement de la recherche au niveau national et international.

Le COP 2019-2023 du CNRS se termine. Quelles suites y donner ?

A.S. : Les actions lancées vont continuer et perdurer. L’objectif des défis du COP était de favoriser une dynamique sur des sujets clés. A-t-on fait le tour des questions sur le changement climatique, les inégalités éducatives ou sur l’intelligence artificielle ? Certainement pas. Le défi Changement climatique, par exemple, a proposé la création d’une cellule « Changements globaux » pour animer les actions du CNRS en lien avec l’étude des changements globaux et environnementaux et l’accompagnement à la transition en couvrant ainsi les trois piliers du GIEC : bases physiques, adaptation, atténuation. Une cellule en résonnance avec l’agence de programme Climat, biodiversité, sociétés durables, récemment confiée au CNRS par le gouvernement3 , qui confirme la cohérence scientifique de l’élargissement du défi et justifie que le CNRS s’organise collectivement pour traiter cette thématique.

Toujours dans une idée de continuité, les défis ont permis d’identifier plusieurs axes thématiques qui seront soutenus par la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires du CNRS4 . Ce sont les axes Territoires : observatoire et laboratoire (et espace numérique), Sobriété et résilience, Données, IA et scénarios du futur, Changements globaux, forçages et transformations, Santé – sport et activité physique – autonomie, Pollution (et déchets) – dépollution – exposome.

Et alors que le COP se termine, un nouveau Contrat d’Objectifs, de Moyen et de Performance (COMP) est à venir avec six ou sept sujets transverses toujours en cours de réflexion qui seront annoncés à l’été.

  • 1Les groupements de recherche (GDR) sont des outils d'animation créées pour cinq ans et renouvelables une fois, avec l’objectif de favoriser les échanges entre les scientifiques du CNRS, les partenaires académiques, les entreprises et autres parties prenantes.
  • 2Les IRC sont des dispositifs récemment créés au service de la coopération entre le CNRS et ses principaux partenaires internationaux. 
  • 3Lors de son discours du 7 décembre 2023, Emmanuel Macron a acté la mise en place des agences de programmes qui représente un nouveau rôle à endosser pour les Organismes nationaux de recherche.
  • 4La MITI a pour objectifs principaux de soutenir des programmes de recherche interdisciplinaires et des initiatives transverses au sein du CNRS, d’organiser des colloques prospectifs et de coordonner des réseaux métiers et technologiques transverses.