FIQUgS : unir les forces des gravimètres quantiques et des capteurs classiques

Innovation

Porté par dix partenaires technologiques européens, le projet FIQUgS vise à développer de nouveaux gravimètres pour la géophysique. Afin d’aller encore plus loin que les instruments quantiques actuels, les chercheurs procèdent par hybridation, associant l’approche quantique à des technologies classiques.

Lancé à l’automne 2022, le projet FIQUgS (Field QUantum gravity Sensors) réunit pas moins de dix partenaires européens, coordonnés par Exail, société industrielle spécialisée dans les technologies photonique et quantique. L’entreprise est accompagnée d’autres acteurs français : le SYRTE (SYstèmes de Référence Temps-Espace, CNRS/Observatoire de Paris-PSL/Sorbonne Université/LNE), le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) et le NAQUIDIS Center (Centre d’innovation pour les technologies quantiques de la Nouvelle-Aquitaine).

Ce projet de grande envergure, disposant d’un budget de 6,8 millions d’euros de l’Union européenne dans le cadre du programme Horizon Europe, a pour objectif de développer des gravimètres de pointe pour le déploiement terrain. Sont donc visés des instruments qui permettront d’améliorer les performances obtenues par les dispositifs quantiques actuels, pour des applications géophysiques (par exemple, la cartographie du sous-sol).

La dérive des gravimètres classiques relatifs


La gravimétrie, qui mesure le champ de pesanteur, peut livrer de nombreuses informations quant à la composition ou au comportement de la matière en sous-sol. « De prime abord, la pesanteur terrestre, désignée par la lettre g, peut sembler constante, à environ 9,8 N/kg », relève Leonid Sidorenkov, chargé de recherche CNRS au SYRTE. « Mais avec des mesures plus précises, jusqu’à la neuvième décimale, on s’aperçoit qu’il existe de multiples variations, qui peuvent être notamment causées par des mouvements souterrains ou des écarts de densité en sous-sol. » Si le projet FIQUgS se concentre sur le domaine de la géophysique – par exemple, la détection de cavités souterraines en milieu urbain ou l’étude des mouvements de l’eau en sous-sol –, la gravimétrie s’applique également à des secteurs tels que l’extraction minière, l’aérospatiale, ou encore la défense.

Afin de mesurer les variations du champ de pesanteur, il convient d’employer un gravimètre. Il en existe plusieurs types, à commencer par les instruments classiques relatifs, fondés sur la lévitation d'une masse ou sur l'élongation d’un système masse-ressort. « Ces capteurs doivent être étalonnés et sont, de plus, sujets à des phénomènes de dérive », note Leonid Sidorenkov. « Cela signifie qu’au bout d’un certain temps, ou si les conditions environnementales changent, les mesures se trouvent altérées, sans pouvoir déterminer s’il s’agit d’une véritable variation de la pesanteur ou d’un effet lié à l’instrument. Il est alors nécessaire de réétalonner le capteur. »

Quant aux gravimètres classiques absolus, qui reposent sur l’étude de la chute libre d’un objet – appelé masse d’épreuve –, ils ne sont pas soumis à ces phénomènes de dérive. « Néanmoins, la structure mécanique d’un tel instrument requiert une ingénierie complexe et comprend des parties qui s'usent au cours de l'utilisation », souligne Leonid Sidorenkov. « Cela peut rendre relativement difficiles les mesures continues dans la durée, par exemple sur une année. »

Repousser les limites du gravimètre quantique


Les gravimètres quantiques viennent pallier ces limites, à l’image de l’Absolute Quantum Gravimeter (AQG), commercialisé par Exail et fruit d’une collaboration avec le SYRTE et le Laboratoire Photonique, Numérique et Nanosciences (LP2N, Institut d’Optique Graduate School/Université de Bordeaux/CNRS). Leur fonctionnement est analogue à celui des capteurs classiques absolus – l’étude d’une chute libre –, mais avec une nuance de taille : la masse d’épreuve est ici constituée d’un nuage d’atomes refroidis. Une particularité qui, en plus d’éviter les effets de dérive, permet d’effectuer des mesures en quasi-continu sur de longues périodes, comme cela a pu être démontré depuis 2020, avec un AQG en opération au sommet de l’Etna, dans le cadre du projet européen NEWTON-g.

Les gravimètres quantiques ont atteint une maturité industrielle au cours de la dernière décennie. On compte, par exemple, plus de 15 AQG d’Exail actuellement en opération à travers le monde. « Cependant, il reste des pistes d’amélioration », nuance Leonid Sidorenkov. « Par exemple, ils demeurent sensibles au bruit causé par les vibrations, qui peut significativement modifier le signal. Il paraît également possible de réduire leur encombrement. » Il s’agit là de l’enjeu principal du projet FIQUgS : mettre au point un instrument plus robuste et léger, afin de pouvoir être aisément exploité sur le terrain, tout en limitant sa consommation d’énergie.

Photo de l'AQG à proximité des cratères actifs de l'Etna, avant son installation dans l'Observatoire de Pizzi Deneri © Exail / projet européen NEWTON-g

L’hybride à deux têtes


Cela ne signifie pas pour autant que les chercheurs vont concentrer leurs efforts sur la seule amélioration des gravimètres quantiques. Au contraire, l’équipe de recherche – coordonnée par Camille Janvier, chef de projet et ingénieur quantique chez Exail – privilégie une approche hybride, en mêlant technologie quantique et instruments classiques, afin de combiner le meilleur de ces deux univers. Une hybridation qui peut prendre deux formes différentes. « La première idée consiste à associer au gravimètre quantique un capteur de bruit tel qu’un accéléromètre classique », décrit Leonid Sidorenkov. « Le but est alors d’enregistrer le bruit généré par les vibrations et de calculer son impact, à travers des méthodes de compensation. » Un traitement qui peut être effectué pendant la campagne de mesures, ou bien a posteriori.

La deuxième méthode d’hybridation employée dans le projet FIQUgS repose sur une combinaison inédite : un gravimètre quantique avec un radar à pénétration de sol, un instrument utilisant des ondes radio pour étudier la composition et la structure d’un terrain. « En fin de compte, les deux appareils ont une fonction semblable, mais en s’appuyant sur des mécanismes physiques totalement différents », observe Leonid Sidorenkov. « Ils peuvent toutefois se compléter, de sorte à obtenir des mesures encore plus fiables et précises. D’autant que leur fonctionnement diffère aussi : le radar à pénétration de sol peut réaliser des mesures en continu, sur une plateforme en mouvement, contrairement au gravimètre quantique, qui doit être posé sur le sol, afin de limiter les vibrations. »

Néanmoins, comment associer efficacement les données hétérogènes fournies par deux instruments aussi différents ? Il s’agit d’un défi scientifique majeur du projet FIQUgS, que l’équipe de recherche entend relever grâce à des méthodes de modélisation et de traitement des données.

Expertises complémentaires


Les premiers prototypes de gravimètres hybrides seront bientôt testés en laboratoire, au SYRTE, avant d’entamer les campagnes d’essais en environnement extérieur, « peut-être la partie la plus passionnante du projet », selon Leonid Sidorenkov. Les instruments développés par le consortium seront alors confrontés à la réalité du terrain et à des données de référence. « Grâce à des partenaires tels que le BRGM, nous disposons d’une cartographie précise des structures souterraines des lieux de tests », signale Audrey Durand, responsable du NAQUIDIS Center. « Cela nous fait gagner un temps précieux pour nos campagnes d’essais, car les variations locales du champ de pesanteur sont déjà modélisées. Le but sera donc de vérifier que les mesures effectuées par nos instruments correspondent bien à ces modèles. »

Cet exemple illustre la complémentarité essentielle des différents acteurs du consortium FIQUgS. Ses partenaires réussissent à combiner des expertises allant de la géophysique à l’optique, en passant par la physique atomique et la robotique, pour créer de nouvelles méthodes non invasives d’analyse des structures souterraines.