Plaidoyer pour une Europe de la nanofabrication

Institutionnel

Construire une infrastructure européenne intégrant la plupart des « salles blanches » académiques, dans lesquelles sont conçus les nanosystèmes de demain : tel est le but du projet EuroNanoLab. Explications avec Gabriel Chardin, président du Comité des très grandes infrastructures de recherche (TGIR) du CNRS et Michel de Labachelerie, coordinateur de EuroNanoLab.

Des puces de nos téléphones aux dispositifs miniatures d’analyse médicale, les micro- et les nano-structures sont de plus en plus présentes dans notre quotidien. Et cet essor ne semble pas près de s’essouffler… Toujours plus petits, les transistors, capteurs et autres systèmes intelligents sont en effet au cœur d’enjeux d’innovation et de valorisation considérables, notamment dans les domaines de l’intelligence artificielle et du big data. Alors que de nombreux pays du monde se mobilisent sur ce domaine porteur, l’Europe souffre d’une fragmentation de sa recherche académique en nanofabrication et d’une absence de coordination des réseaux nationaux. Une problématique à laquelle doit répondre le consortium Euronanolab, créé par huit pays européens. Coordonné par le CNRS, il regroupe déjà 26 salles blanches académiques d’une valeur totale de 1,5 milliard d’euros. 

 

Des progrès rapides et continus

« Depuis les années 1990, les micro- et les nano-structures ont modifié considérablement notre environnement, sans que nous en prenions toujours conscience. Qui se souvient en effet des premiers disques durs de quelques méga-octets qui coûtaient une fortune ? », interroge Gabriel Chardin. Aujourd’hui, un disque dur de quelques téraoctets, d’une capacité un million de fois supérieure et capable de stocker une immense bibliothèque ou des dizaines de milliers d’heures de musique, ne coûte qu’une centaine d’euros tout en étant des centaines de fois plus rapide que son ancêtre. De même, les smartphones disposent désormais d’une capacité de calcul qui dépasse celle des centres nationaux de calcul des années 80. Dans le domaine de la médecine, la nanofluidique permet de réaliser des analyses sanguines d’une précision inégalée et le Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (LAAS-CNRS) développe, en collaboration avec Picometrics-Technologies, l’outil de diagnostic BIABooster permettant de mesurer à de très faibles concentrations l'ADN circulant dans le sang et de diagnostiquer en moins de vingt minutes l'apparition de certains cancers. 

Que ce soit dans le domaine des sciences, de l’intelligence artificielle ou du big data, les systèmes intelligents de demain seront basés sur des innovations de rupture comme les technologies quantiques, qui permettront d’augmenter considérablement la capacité de calcul de nos processeurs, de généraliser des communications cryptées inviolables ou encore de réaliser de nouveaux capteurs ultra-performants. Des transistors à l’échelle atomique qui permettront d’atteindre des degrés de miniaturisation ultimes sont également à l’étude. Dans le domaine de la médecine, le développement de nano-biosystèmes implantés sur les personnes pourrait permettre de surveiller leur état de santé en temps réel.

 

Des équipements de pointe pour des innovations nanométriques

Pour cela, des composants innovants doivent être imaginés, réalisés et testés ce qui nécessite des technologies de nanofabrication de très haut niveau. « Ces technologies - nécessitant des salles blanches ultra-propres ainsi que de coûteux équipements - permettent de réaliser, avec des précisions de l’ordre du nanomètre, les systèmes de traitement d’information intelligents de demain », rapporte Michel de Labachelerie. Compte-tenu de ces enjeux considérables, la majorité des pays développés, notamment les Etats-Unis et la Corée, investit massivement sur la recherche en nanofabrication.

« En Europe, les forces académiques en nanofabrication sont encore trop fragmentées : on compte ainsi au moins soixante-dix centres de nanofabrication universitaires européens de grande ou moyenne taille, qui développent leur savoir-faire sans réelle coordination », explique Gabriel Chardin. Conscients de cette dispersion, plusieurs pays européens (Suède, France, Norvège, Hollande) ont déjà créé des réseaux nationaux de salles blanches universitaires pour favoriser la collaboration au plan national. Aujourd’hui, avec quatre autres pays (Espagne, Portugal, Italie et République Tchèque), ces pays créent le consortium EuroNanoLab qui regroupe déjà 26 salles blanches académiques.

 

Des recherches coordonnées en Europe

Pour mieux utiliser l’investissement existant, EuroNanoLab souhaite intégrer ces infrastructures de recherche académiques autour d’un « hub central » qui en est le chef d’orchestre. Cette nouvelle infrastructure sera donc distribuée à l’échelle européenne et sera capable de développer une stratégie commune pour accompagner de grands programmes européens comme les « Flagships » sur le Graphène, Human Brain ou l’ordinateur quantique, ainsi que les grands programmes européens qui ne manqueront pas d’émerger ultérieurement.

« Une telle organisation permettra de répartir les développements technologiques de manière optimale entre les centres de nanofabrication les plus adaptés, en veillant à faire profiter chacun d’entre eux des derniers résultats obtenus par les autres », assure Michel de Labachelerie. Coordonnée par le CNRS et regroupant des partenaires motivés, cette initiative a vocation à s’étendre à tous les pays européens prêts à y contribuer. Rassemblant une large part de la communauté des centres académiques de nanofabrication, cette nouvelle infrastructure deviendra également un interlocuteur privilégié des organismes de recherche technologique (RTO) et de leurs partenaires industriels, capable de transférer plus efficacement vers l’industrie le savoir-faire développé par les centres académiques. 

Depuis le regroupement des forces jusqu’à l’organisation d’une stratégie commune à l’échelle européenne, le développement de ce réseau de recherche en nanofabrication pourrait ainsi être à l’origine de technologies futuristes appelées elles-aussi à intégrer un jour notre quotidien.