17 Unités mixtes internationales des Amériques réunies pour la première fois à Mexico

Institutionnel

Rendez-vous de la science française à l'étranger, la première réunion d'Unités Mixtes Internationales (UMI) du CNRS rassemblant les deux Amériques (Nord et Sud) vient de s'achever à Mexico. Dix-sept de ces laboratoires se sont rencontrés pour se découvrir et échanger sur les bénéfices des UMIs, vitrine de la recherche française qui offrent de réelles opportunités de développement entre partenaires scientifiques mais aussi industriels.

Après les rassemblements d'Unités Mixtes Internationales (UMI) organisés successivement à Washington (2014), Singapour (2015) et Québec (2016), le CNRS a décidé de mettre les bouchées doubles à Mexico les 25 et 26 avril derniers en réunissant, pour la première fois, les UMIs et UMIFREs1   du continent américain, soit la moitié des UMIs mondiales. Bien ancrés dans les écosystèmes de recherche des deux continents, ces laboratoires couvrent quasiment l'ensemble des disciplines du CNRS, à quelques exceptions près. Une opération minutieusement organisée par Xavier Morise, directeur du bureau du CNRS à Washington et son homologue Olivier Fudym du bureau de Rio de Janeiro, coordinateurs régionaux des collaborations et partenariats scientifiques. Pendant deux jours, près de 100 personnes - les directeurs, des chercheurs de ces laboratoires communs venus de six pays (Canada, Etats-Unis, Mexique, Chili, Argentine, Brésil), des conseillers scientifiques, des industriels, des représentants d'agences de financement internationales et une importante délégation de personnel encadrant du CNRS - ont pu échanger sur le rôle, l'avenir et l'importance croissante de cet outil de collaboration scientifique unique au monde qu'est l'UMI.

Une science française qui s’exporte bien

L'UMI est le niveau de collaboration scientifique le plus élevé et le plus intégré que nous puissions entretenir avec une université ou un laboratoire étranger, rappelle Patrick Nédellec, directeur de la Direction Europe de la recherche et coopération internationale (DERCI). Parmi les nombreux outils à niveaux d'investissement et d'encadrement variables qui permettent au CNRS de poursuivre des collaborations scientifiques à l'étranger (PICS, GDRI, LIAs), l'UMI représente un modèle singulier dans le paysage de la recherche mondiale. Elle offre la possibilité de créer un véritable laboratoire commun entre le CNRS et une institution de recherche étrangère autour de projets spécifiques, d'en assurer le cofinancement (instruments, chercheurs, étudiants) et le management sur des périodes longues et renouvelables (5 ans). Une UMI, ce n’est pas de la recherche délocalisée. Il s'agit au contraire de donner une impulsion forte à une recherche partenariale d'excellence impliquant les meilleurs chercheurs et institutions de par le monde, explique Xavier Morise. Ces UMIs ne sont d’ailleurs pas bâties sur des axes de recherche, mais sur des projets qui peuvent évoluer, ce qui leur confère une grande flexibilité et un avantage pour s’attaquer à de grandes problématiques transdisciplinaires (ressources, énergie, urbanisation) sur le terrain et avec des partenaires des secteurs académiques ou industriels.

Nos UMIs sont des points d'articulation extrêmement forts entre la science française et la science étrangère, ajoute Nicolas Castoldi, délégué général à la valorisation du CNRS, venu à Mexico pour évoquer les liens de plus en plus étroits entre certaines de ces UMIs et le monde industriel. Le CNRS a fortement accéléré leur nombre et leur développement ces dernières années, en en faisant un axe majeur de sa stratégie à l’international, car elles permettent une extraordinaire circulation des chercheurs et du savoir. Trente-quatre de ces unités existent aujourd'hui dans le monde, réparties en majorité entre l'Asie et l'Amérique du Nord et 28 ont moins de dix ans.

Le choix du Mexique comme pays hôte de ce rendez- vous des UMIs des deux Amériques ne doit rien au hasard, des liens historiques très forts unissant la France et le Mexique. Pour ce cousin américain, la France est le premier pays de collaboration scientifique en mathématiques, et le deuxième en physique, précise Jean-Joinville Vacher, attaché de coopération scientifique auprès de l'ambassade de France au Mexique. La France est aussi la 3ème destination de choix des étudiants mexicains et l'année 2016 a vu plus de 1000 missions d'échanges entre ces deux pays. Pour le CNRS, cela représente environ 20 projets par an sur les deux dernières décennies. Le premier accord de collaboration scientifique entre le CNRS et le Conseil national des sciences et technologies mexicain (CONACyT) remonte à près de 50 ans . Le même CONACyT a accueilli la rencontre. Heureux, selon son directeur général, Enrique Cabrero Mendoza, de recevoir le CNRS et ses UMIs qui nous permettent de franchir les barrières artificielles dans un monde globalisé. Un message qui a pris une résonance particulière dans un contexte géopolitique en évolution, entre Brexit et relations tendues avec les Etats-Unis, dont les représentants de la National Science Foundation (NSF) n'ont pu effectuer le déplacement à Mexico.

Le CNRS a également saisi l’occasion de cette rencontre pour inaugurer la création d'une nouvelle UMI en mathématiques et le renouvellement de celle existant depuis 2008 en automatique. Le laboratoire franco-mexicain d’informatique et d’automatique (UMI LAFMIA) créé il y a plus de 9 ans, succédait à deux LIAs, l'un en informatique, l'autre en automatique précise Michel Bidoit, directeur de l’Institut des sciences de l'information et de leurs interactions (INS2I). Hébergé au sein du Centre de recherche et d'études avancées de l´Institut polytechnique national mexicain (CINVESTAV) à Mexico, ce laboratoire centre une partie de ses recherches sur des exosquelettes, des systèmes de navigation autonome de drones, ou encore des sous-marins miniatures. Un des enjeux du LAFMIA est aussi de développer davantage de partenariats dans le secteur privé au Mexique. Nous avons déjà entamé des discussions avec l'industrie automobile et pensons bien-sûr à la voiture autonome ou aux outils manufacturiers, ajoute Michel Bidoit.

Pour Christoph Sorger, directeur de l’Institut des sciences mathématiques et leurs interactions (INSMI), la création d'une nouvelle UMI en mathématiques, le Laboratoire Solomon Lefschetz (UMI LASOL) vient consolider un réseau de mathématiciens déjà bien développé dans les Amériques. En effet, la discipline compte déjà deux UMIs au Canada (PIMS, CRM) et deux en Amérique du Sud (IMPA au Brésil, CMM au Chili). Les relations avec le Mexique concernant les mathématiques sont assez anciennes, précise-t-il, l'UMI LASOL venant couronner huit années de collaboration entre le CNRS et l'Institut de mathématiques de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM). Basé sur le campus de l'UNAM à Cuernavaca, à 80 km au sud-ouest de Mexico, le LASOL permettra une grande mobilité des mathématiciens sur des sujets de recherche allant de la singularité à la géométrie algébrique. Chacune de ces UMIs se spécialise dans plusieurs thématiques. Le CMM au Chili, par exemple, a une réelle compétence en gestion de masse de données et parvient à détecter des supernovas en analysant directement le flux d'un télescope. Le CRM à Montréal travaille aussi sur le Big Data, mais s'oriente vers l'intelligence artificielle, vers le Deep Learning, comme l’apprentissage du jeu de Go, ou la conduite de voitures autonomes., explique Christoph Sorger qui se réjouit des échanges grandissants entre les mathématiciens mexicains et canadiens. Au-delà des mathématiques et des Amériques, l’idée d’un réseau interdisciplinaire mondial susceptible d’aider les UMI à se développer, à rayonner et à envisager de nouveaux projets de recherche ou partenariats, a été clairement évoqué à Mexico.

Cette rencontre à l’échelle régionale a permis aux directeurs des UMIs de se rencontrer physiquement et surtout de mettre en commun des pratiques administratives et financières. D’une certaine façon, les directeurs d’UMIs vivent tous la même chose, souligne Patrick Nédellec, ils dirigent une unité de recherche qui doit satisfaire la réglementation française, tout en tenant compte de celle du pays où elles se trouvent. Et ces réglementations sont très différentes. La Délégation doit donc faire preuve de souplesse et de créativité pour accorder ces règlementations explique Hélène Naftalski-Maury, Déléguée régionale de Paris Michel-Ange, qui a pu présenter des études de cas et répondre aux interrogations concernant les ressources humaines, les questions financières, le partenariat et la valorisation des activités de ces unités mais également détailler les offres de service en matière de systèmes d’information, ou de sécurité, avec l’objectif de comparer les pratiques et d'être plus efficace lors de la création des prochaines UMIs. Car ces unités représentent aussi une dépense non négligeable pour le CNRS. Pour rendre ce modèle non seulement durable mais possible, les agences de financement jouent un rôle essentiel, et il était important qu’elles soient présentes sur place afin de préciser leur fonctionnement et l’impact que les UMIs peuvent avoir sur la recherche mondiale, insiste Patrick Nédellec.

Avoir un pied dans chaque pays est certes une source de complexité, mais offre aussi des avantages. Une UMI peut ainsi bénéficier à la fois des fonds de la NSF (aux Etats-Unis) et de l'Europe, par exemple, ce qui n'a pas échappé aux universités et organismes de recherche partenaires. Les UMIs sont des modèles que nous devrions reproduire au Canada, indique Maryse Lassonde, directrice du Fond de recherche du Québec-Nature et technologies (FRQNT), qui soutient les trois UMIs présentes au Québec à hauteur de 100,000 CAD (environ 70 KEuros) par an. Mario Pinto, président du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (NSERC-CRSNG) se félicite de la part croissante de l’international dans le paysage de la recherche canadienne, et rappelle que 50% des co-publications du pays sont aujourd'hui réalisées avec l’étranger. Cet organisme fédéral canadien soutient actuellement deux UMIs au Canada: le PIMS en mathématiques et Takuvik spécialisée dans l'étude des changements climatiques et anthropogéniques sur les écosystèmes marins et terrestres en Arctique. Béatrice Saint-Cricq, responsable partenariat et valorisation de Takuvik, relève à quel point l’accès à un financement international s’avère un atout. Nous avons des contacts avec tous les pays qui travaillent sur l’Arctique, et notre laboratoire participe à de nombreux programmes de recherche de divers pays. Antares, par exemple, ne rassemble pas moins de 20 états. L’UMI est une tête de pont entre l'Europe et l'Amérique du Nord. En terme de budget, le fait d’obtenir des fonds d’un côté (européen, par exemple), peut également faciliter le financement dans un autre pays, ajoute-t-elle. l'UMI est un tel modèle que l'Université de Laval (Canada) essaye de le reproduire avec d'autres pays, comme la Suisse ou le Brésil, assure-t-elle.

Au Chili, Guido Garay, directeur de l'Unité mixte internationale franco-chilienne d'astronomie (UMI-FCA) partage ce point de vue. Avant sa création en 2011, la FCA, un partenariat entre le CNRS et trois universités au Chili, recevait très peu d'aides financières nationales. Aujourd'hui, cette collaboration qui permet à quatre astronomes français de travailler sur le terrain, au Très Grand Télescope (VLT), a donné lieu à une centaine de publications. Côté français, Nakita Vodjdani, responsable des relations internationales de l'Agence Nationale de Recherche (ANR), rappelle que 25% des projets de l’agence sont financés conjointement avec d'autres pays (dont 75% en Europe) et que l’un des objectifs de l'ANR est de favoriser la collaboration européenne et internationale. Ces financements multiples accroissent la visibilité de la recherche française, estime-t- elle.

Autre point fort du modèle UMI : la possibilité de construire une recherche entre le public et le privé en mobilisant les meilleures équipes sur des sujet stratégiques à long terme - et ce avec des partenaires de recherche à l’étranger. Certaines UMIs des Amériques ont ainsi noué des liens très forts avec l'industrie. Les partenariats entre plusieurs UMIs et grands groupes industriels sont très différents en matière d’accords sur les brevets, la propriété intellectuelle ou le mode de fonctionnement, mais ils présentent des points intéressants. Le CNRS, le groupe Solvay et l'Université de Pennsylvanie ont par exemple établi une UMI sur la matière molle (UMI COMPASS) en 2010, afin de développer des solutions innovantes pour répondre à des problématiques diverses: formulation industrielle, ou encore drainage de l'eau d'irrigation par les sols. Arjun Yodh, directeur du laboratoire sur la recherche de la structure de la matière (LRSM) à l'Université de Pennsylvanie, raconte qu’il a fallu plus de deux ans de réunions informelles pour identifier les projets et définir la politique de propriété intellectuelle, mais que le résultat est probant. Nous devons favoriser les échanges entre chercheurs et industriels. Plusieurs de nos étudiants sont d'ailleurs partis travailler chez Solvay par la suite, explique-t-il.

Au MIT, une autre collaboration entre le CNRS et le secteur industriel n'est pas passée inaperçue. L'UMI MSE2, initiée en 2012 entre la célèbre université américaine et le CNRS, et qui rassemble une vingtaine de chercheurs (dont cinq français), est financée par des industriels qui s’intéressent à des sujets spécifiques, comme la réduction de l'empreinte environnementale de la production de ciment ou de l'extraction de gaz de schiste (X-shale hub). Accoutumée à travailler avec des groupes tels que Shell et Schlumberger, l’UMI collaborera bientôt avec Total Nous ne déposons pas de brevets, nous misons uniquement sur les publications, qui valorisent notre recherche, et incitent d’autres entreprises à collaborer avec nous. Nous travaillons en étroite coopération avec nos partenaires industriels et avons des échanges hebdomadaires avec leur équipes, explique Roland Pellenq, directeur de l'UMI. Une stratégie de collaboration que Nicolas Castoldi entend présenter et faire valoir aux principaux partenaires industriels français. Pour que les bénéfices des UMI puissent également s’étendre à... la France.

Saman Musacchio

 

  • 1Il existe 26 Unités Mixtes des Instituts Français de Recherche à l’Etranger (UMIFREs) dans le monde. Si les UMIs constituent un partenariat entre le CNRS et une université ou un organisme de recherche à l’étranger, les UMIFREs sont un partenariat entre le CNRS et le ministère français des Affaires étrangères et européennes.