La fibre du recyclage gagne la recherche toulousaine
Partie intégrante de nombreuses industries de premier plan, parmi lesquelles l’aéronautique, l’automobile ou encore le secteur éolien, la fibre de carbone est réputée pour ses performances mécaniques, alliées à une légèreté sans pareille. Seul bémol, sa production passe majoritairement par l’usage de produits de synthèse issus du pétrole, dont la transformation consomme énormément d’énergie. Forts de ce constat, deux laboratoires toulousains du CNRS ont collaboré avec l’entreprise Expleo afin de mettre au point un procédé à faible impact environnemental permettant de recycler des composites à base de fibres de carbone et de résine époxys utilisés en structure primaire d’avion, protégé par deux brevets, déposés conjointement par Expleo, le CNRS et l’université Toulouse III-Paul Sabatier.
Au cœur de marchés industriels majeurs, la production de fibres de carbone pose question, autant sur le plan écologique qu’économique. Les fibres de carbone sont mises en œuvre à partir du PAN (polyacrylonitrile) issu du pétrole[1] à des températures comprises entre 200 et 3000°C. Ces méthodes de production et l’origine pétrochimique de la matière première sont les principales raisons pour lesquelles le prix de la fibre de carbone peut atteindre jusqu’à 100€ le mètre carré. Dans ce contexte, des pénuries sont déjà envisagées à moyen terme et les acteurs économiques potentiellement impactés n’attendent pas pour se mettre à la recherche de solutions alternatives.
Un besoin déjà identifié
Le recyclage des composites renforcés de fibres de carbone fait l’objet de nombreuses recherches et plusieurs techniques permettent d’ores et déjà d’offrir une seconde vie à ces matériaux si précieux. Cependant, comme l’explique Émile Perez, directeur de recherche CNRS au laboratoire Softmat[2], « il y a beaucoup de techniques pour recycler les matériaux composites, mais elles ont toutes de gros défauts. Elles sont soit peu respectueuses de l’environnement, soit très gourmandes en énergie et nécessitent des installations particulières ».
Forte de ce constat, dès 2019, l’entreprise Expleo s’est rapprochée des laboratoires de recherche toulousains avec un objectif ambitieux : développer une nouvelle méthode de recyclage des matériaux composites époxys à base de fibre de carbone qui soit industrialisable, plus respectueuse de l’environnement et moins couteuse.
Pour mener à bien cette quête aux allures utopistes, l’entreprise Expleo s’est dans un premier temps rapproché du Centre interuniversitaire de recherche et d'ingénierie des matériaux[3] (CIRIMAT), et plus précisément de l’équipe PhyPol spécialisée en physique des polymères. Principalement composée de physiciens et physiciennes, cette équipe du CIRIMAT s’est naturellement tournée vers leurs collègues chimiste du Softmat pour initier une réflexion pluridisciplinaire sur le sujet.
Dans une logique de complémentarité, les unités de recherche se sont donc partagées la tâche : le laboratoire Softmat s’est occupé de l’élaboration du procédé chimique et de la récupération des fibres, tandis que le CIRIMAT a été responsable de la caractérisation physique et mécanique des fibres recyclées ainsi que de leur réintégration dans des nouveaux composites avec des résines époxy bio sourcées.
Une collaboration scientifique pluridisciplinaire
Cette collaboration public-privé s’est concrétisée par une thèse CIFRE[4], co-financée par l’entreprise Expleo et l’Agence nationale de la recherche et de la technologie (ANRT). Co-encadré par des scientifiques toulousains du Softmat et du CIRIMAT, Nicolas Mistou a consacré sa thèse à la conception et la mise en œuvre d’un procédé chimique de recyclage des polymères renforcé de fibres de carbone (PRFC) à faible impact environnemental.
Le travail conjoint de deux structures de recherches toulousaines de pointe a permis un développement particulièrement fluide et rapide, qui aurait pu nécessiter beaucoup plus d’étapes dans d’autres conditions. Grâce à la complémentarité de leurs expertises les scientifiques toulousains ont pu lever les principaux verrous scientifiques et technologiques concernant l’impact écologique du procédé et l’optimisation de son rendement.
Moins de quatre ans après le début du projet d’innovation, les expérimentations en laboratoires montrent que la méthode mise au point, en plus de respecter le cahier des charges initial, est particulièrement efficace.
La fibre de carbone, mais pas seulement
Pensé pour récupérer les fibres de carbone contenues dans les PRFC, le procédé chimique développé à Toulouse ne s’est finalement pas contenté de recycler ce renfort. Cette nouvelle méthode de recyclage chimique permet, en effet, de récupérer des fibres de carbone démêlées dont les propriétés structurales atteignent 90% de celle du matériau initial, mais aussi de récupérer la résine époxy dépolymérisée, et tout cela en une seule réaction.
« Etant donné qu’on abime très peu les fibres, on peut envisager de les réutiliser après plusieurs recyclages. »
Le dispositif se base sur un système oxydant fonctionnant sous forme de bains, composé de carbonate de propylène en tant que solvant, d’eau oxygénée comme réactif et d’un catalyseur on ne peut plus commun : l’acide citrique. Contrairement aux méthodes concurrentes, aucun élément chimique utilisé ne s’avère toxique et les ingrédients cumulent également l’avantage d’être disponibles à un faible coût, rendant la perspective d’une industrialisation d’autant plus viable.
Réalisée en moins de 24h à pression ambiante et à 60°C, cette réaction n’est que peu énergivore comparée aux méthodes employées actuellement lors du recyclage de composites à base de fibre de carbone. Ce procédé, plus vertueux pour l’environnement, permet également le recyclage du solvant et du catalyseur, maximisant son efficacité tout en garantissant un minimum de déchets chimiques.
Au-delà des frontières du laboratoire
Le potentiel de ce procédé n’a pas seulement été reconnu en laboratoire. Les acteurs majeurs du secteur aéronautique ont également fait part de leur enthousiasme quant à ce projet de recherche qui a été sélectionné dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt économie circulaire 2023 « Avions commerciaux en fin de vie »[5] lancé par Aerospace Valley, Airbus et Tarmac Aerosave. Reconnaissance supplémentaire, le projet est également lauréat du prix Airbus « recyclage composite » pour cette même année.
Ces distinctions et les financements qui les accompagnent vont permettre le développement industriel du procédé. Cette phase critique aura pour objectif de rendre cette méthode de recyclage opérationnelle sur des dimensions et des quantités permettant de traiter des pièces issues d’avions ou de pales d’éolienne par exemple.
Outre son impact sur des secteurs économiques et technologiques majeurs pour l’avenir, ce projet d’innovation a également eu une influence notable sur une partie des activités de recherche du laboratoire Softmat.
« Ce projet a contribué à l’évolution des thématiques de recherche de notre laboratoire en participant à la transition vers le domaine du recyclage chimique. Après cette première réussite, il est possible d’envisager la mise au point de procédés similaires pour d’autres matériaux, dont le recyclage est aujourd’hui difficile ou trop impactant sur l’environnement » conclue Emile Perez.
[1] Principalement le polyacrylonitrile (PAN)
[2] Tutelles : CNRS, UT3
[3] Tutelles : CNRS, Toulouse INP, UT3
[4] Les thèses CIFRE sont des thèses financées par des entreprises privées qui bénéficient d’une aide de l’état. En savoir plus : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-cifre-46510
[5] https://www.aerospace-valley.com/index.php/en/new/decouvrez-les-projets-selectionnes-de-lappel-manifestation-dinteret-economie-circulaire-2023