Entre préservation et mise en valeur : les archives du CNRS
Saviez-vous que les agents du CNRS ont l’obligation de préserver leurs documents de travail et de les verser dans un service d’archives ? Rencontre avec l’équipe qui gère ces versements pour la région Île-de-France.
12 km d’archives. L’unité peut surprendre, mais elle donne une bonne idée de l’ampleur du travail. C’est la longueur que représenteraient l’ensemble des documents contenus au dépôt du Secteur Conservation des données et documents (SC2D) du service mutualisé d’Île-de-France1 , à Gif-sur-Yvette, si on les mettait bout à bout, dossiers collés contre dossiers (dans le sens de l’épaisseur !). 12 km de fichiers triés, classés, mis en contexte et annotés. Quatre étages de magasins maintenus dans des conditions de température, humidité et luminosité contrôlées. « Il faut être rigoureux ! », résume Isabelle Dujonc, la responsable.
Elle et son équipe de 3 personnes ont pour mission de collecter les documents administratifs et scientifiques du CNRS pour les cinq délégations régionales d’Île-de-France, le Siège et tous les laboratoires associés. Une obligation légale car tous les documents de travail des scientifiques et administratifs employés par le CNRS2 relèvent du domaine des archives publiques. « En pratique, nous gérons surtout de l’administratif et peu de documents scientifiques car les chercheurs et chercheuses ont parfois du mal à la fois à garder ce qui pourrait être archivé, par manque de sensibilisation, ou à se déposséder de leur travail d’une vie, une fois à la retraite. », analyse l’archiviste Marjolaine Bougenot.
- 1Rattaché hiérarchiquement au Pôle « patrimoine et logistique » du Service mutualisé en Ile-de-France (IFSeM) de la délégation Ile-de-France Villejuif du CNRS depuis 2016, et fonctionnellement au Pôle national de conservation des données et documents de la Direction des affaires juridiques du CNRS.
- 2Les archives accueillent les documents de l’ensemble des agents, chercheurs comme ingénieurs et techniciens.
Fonds des directions générales, dossiers de carrière et rapports d’activités, signature d’accords de coopération internationaux, événements créés par la Direction de la communication du CNRS… Les archives administratives montrent l’activité du CNRS à plusieurs échelles. « Tout un étage, soit un quart du bâtiment, est rempli des dossiers de carrière des agents. C’est une mine d’informations pour valoriser l’histoire de la recherche. », s’enthousiasme Isabelle Dujonc.
Un travail d’enquête et d’audit
Car archiver, ce n’est pas simplement trier, ranger puis oublier. Les archives de Gif sont ouvertes aux historiens, sociologues, étudiants, famille des agents, etc. S’il faut parfois obtenir une autorisation pour les documents récents (sauf pour le service ayant fait le versement), tout document devient librement accessible après l’échéance de certains délais fixés par le Code du patrimoine. En particulier, les dossiers de carrière et tout document pouvant porter atteinte à la vie privée ou portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique restent inaccessibles pendant 50 ans, même à la famille, sauf dérogation1 .
« La confidentialité fait partie de la déontologie du métier. », appuie la responsable, songeant notamment aux dossiers de carrière des prix Nobel Luc Montagnier et Alain Aspect – deux trésors qui restent encore inapprochables sans dérogation.
Pour constituer ces archives administratives, il est nécessaire de comprendre le fonctionnement et les métiers de chaque service, et d’avoir en tête les durées de conservation légales de chaque type de documents. Si certaines délégations régionales ont des correspondants archives aux profils variables, le Secteur n’emploie que des professionnels dont le travail est régulièrement contrôlé par les experts des Archives de France et des Archives nationales2 . Une chargée de collecte parcourt ainsi les délégations régionales parisiennes afin d’aider les services à déterminer ce qui doit être conservé et à préparer les versements. « Les archives sont le reflet de tous ces savoir-faire et de l’implication de chacun. », assure Isabelle Dujonc.
- 1Une dérogation peut être accordée par le service producteur du document et les archives nationales.
- 2Les Archives nationales, qui possèdent un bâtiment historique à Paris et un site à Pierrefitte-sur-Seine, rassemblent les documents de la présidence de la République, des ministères, services administratifs et établissements de l’État et accueillent donc les archives historiques du CNRS. Les Archives de France assurent le contrôle scientifique et technique de la gestion des archives au CNRS.
« Le travail de classement des archives à intérêt historique est le cœur de notre métier, même si nous manquons de temps pour nous y consacrer. », ajoute-t-elle. Par exemple, les entretiens sur cassettes de l’historien et sociologue Olivier Kourchid, directeur de recherches CNRS reconnu en particulier pour ses travaux sur les mineurs du Nord de la France et décédé en 2018, sont actuellement en cours de classement et de numérisation. « On essaie de ne pas s’attarder sur des dossiers, mais des fois c’est passionnant ! », avoue Marjolaine Bougenot.
La science aussi !
Pour être en capacité de mettre ces archives scientifiques à la disposition d’un public, les archivistes doivent en effet décrypter et comprendre les enjeux de chaque feuille. Y compris de documents en langue étrangère ou de cahiers de laboratoire rédigés à la hâte. Le secteur reçoit une typologie large de documents qui demande des expertises variées. « L’important est de mettre en contexte de manière neutre et factuelle, sans interpréter. », précise l’assistante-ingénieure.
Cela donne parfois « de belles rencontres ». Comme quand les enfants de l’astronome Janine Connes, ont vidé le bureau de leur mère et donné tous ses précieux dossiers aux archives de l’organisme qui lui avait confié la direction du premier centre de calcul français dès 1969 (l’ancêtre de l’IDRIS). Ou quand le petit-fils de Jean Perrin, fondateur du CNRS, vient fournir de la documentation pour un escape game organisé par l’équipe (voir encadré).
Le fonds audiovisuel s’enrichit aussi ces dernières années grâce à une collaboration mise en place avec CNRS Images depuis 2022 lors de la réorganisation du site de Meudon : les films les plus anciens sont envoyés aux Archives nationales mais certaines affiches historiques sont encore conservées à Gif-sur-Yvette, comme certains plans qui sont rangés à plat dans des meubles à plan grand format. « Les fonds sous forme de photos restent rares et émeuvent beaucoup. », raconte Marjolaine Bougenot, souriant au souvenir des traces, retrouvées dans son dossier de carrière, des expéditions dans le désert de l’ethnologue Germaine Tillion, aujourd’hui au Panthéon.
Des photos, l’équipe espère en trouver dans les 1,8 km supplémentaires d’archives qu’elle est en train de récupérer, en provenance de la délégation de Meudon mais aussi de celle couvrant les laboratoires de SHS d’Ivry. « C’est beaucoup de logistique – surtout dans un bâtiment qui arrive déjà à saturation avec des équipements qui mériteraient un coup de neuf – mais il est indispensable de sauvegarder ces documents. », rappelle Isabelle Dujonc. « Et nous trouverons peut-être de belles surprises ! » Rendez-vous pris lorsque le tri aura été fait.
Faire connaître les archives aux plus jeunes
L’équipe du Secteur a aussi créé un escape game, à l’occasion des 80 ans du CNRS, fin 2019. Destiné aux classes de la région, il mettait en scène Jean Perrin, fondateur du CNRS, en 1939 et donnait comme objectif de retrouver le décret de création du CNRS, caché par crainte d’une invasion allemande. « C’était une expérience nouvelle, raconte Marjolaine Bougenot. On voulait proposer quelque chose de moins monotone qu’une exposition de “vieux documents” et notre bâtiment s’y prête bien. » Dans le noir et dans une ambiance de bombardements, ce sont 450 enfants de CM1 et CM2 qui se sont prêtés au jeu en deux mois. Une expérience à renouveler ? « Il y a des contraintes fortes de sécurité et de temps disponible, admet Isabelle Dujonc. Mais ce type d’actions permet de faire parler des archives et de sensibiliser à leur importance. Nous aimerions pouvoir en faire plus souvent ! »