Parité et innovation : en progrès, mais peut encore mieux faire !
Les femmes dans l’innovation ne sont pas simplement des exceptions inspirantes, mais des pionnières qui redéfinissent les codes. À travers les voix de Martine Caroff, Amanda Silva Brun, Marie-Pierre Sbardella et Jean-Louis Vercher, nous avons exploré les défis et les perspectives pour faire rimer innovation et parité.
Selon l'Office Européen des Brevets, moins d'un inventeur sur sept en Europe est une femme.
Au fondement de l’égalité dans la recherche ? L’éducation. Pour Martine Caroff, lauréate du Prix Européen Women Innovators 2019 à 69 ans, après une riche carrière au CNRS, tout commence dès l’enfance. « L’éducation est la clé. Mes parents n’ont jamais fait de différence entre mes frères et moi, et cela a forgé ma conviction que les filles et les garçons sont égaux dès le plus jeune âge, je n’ai donc jamais accepté d’autre vérité ». Pourtant, en entrant au CNRS, la scientifique se heurte à une réalité différente. « A mes débuts, les chercheurs de mon équipe étaient presque exclusivement des hommes, et je n’ai pas échappé à certaines remarques sexistes », confie la scientifique chevronnée qui place son dynamisme et sa créativité au service de deux causes, la science et la place des femmes dans le domaine des biotechnologies.
Jean-Louis Vercher, coprésident du Comité Parité Égalité du CNRS, confirme que ces stéréotypes sont encore enracinés dans le milieu scientifique. « Malgré leurs excellentes performances au bac scientifique, peu de jeunes femmes poursuivent dans cette voie. Cela résulte des biais systémiques et liés aux stéréotypes véhiculés dès l’enfance », explique le Directeur de recherche émérite au CNRS.
Au CNRS, seulement 34 % des chercheurs sont des femmes. Elles constituent cependant 50 % des personnels de soutien à la recherche. Les fonctions administratives – de gestion et de secrétariat – sont occupées à 90 % par des femmes. « De fait, cela grève la balance salariale entre hommes et femmes », conclut Jean-Louis Vercher. Par ailleurs, concernant les chercheuses, le différentiel avec leurs confrères est lié essentiellement aux primes perçues, et en particulier celles liées aux brevets. Les femmes déposent moins de brevets, donc perçoivent moins de primes.
Diversité et créativité, une synergie gagnante
La diversité, qu’elle soit de genre ou de parcours, est pourtant une richesse pour l’innovation. Amanda Silva Brun, docteure en pharmacie, lauréate de la médaille de l’innovation 2021 pour la mise au point de technologies innovantes pour le traitement de maladies digestives et fondatrice des start-up EverZom et Evora, partage une expérience révélatrice : « travailler avec des équipes interdisciplinaires, mêlant physiciens, biologistes et cliniciens, a transformé mes recherches. La diversité des points de vue nous a permis d’obtenir des résultats inattendus, comme la production innovante de biothérapies via des flux turbulents ».
De son côté, Martine Caroff, qui a co-fondé deux biotechs, Hephaistos-Pharma et LPS-BioSciences, insiste sur le rôle de la diversité dans le recrutement : « dans nos deux sociétés, nous avons atteint la parité presque sans effort, car nous avons recruté au mérite. Pourtant, je remarque que beaucoup d’autres entreprises hésitent encore à embaucher des femmes, surtout dans des rôles techniques. C’est un gâchis. »
Marie-Pierre Sbardella, forte d’une carrière industrielle à l’international, aujourd’hui retraitée, est très active au sein du réseau Femmes Business Angels. Elle fonde ses convictions sur des chiffres : « les start-up dirigées par des équipes mixtes réussissent mieux en général. Pourtant, dans la tech, seulement 10 % des entreprises sont créées par des femmes. Nous cherchons à inverser cette tendance en investissant activement dans des projets portés par des femmes ou conjointement par des hommes et des femmes».
Au-delà des principes éthiques, la parité a un impact concret sur les performances des équipes. Les études le confirment. Les entreprises avec une diversité accrue enregistrent jusqu’à 21 % de meilleures performances financières que leurs homologues moins diversifiées.
Des avancées porteuses
Des initiatives institutionnelles et individuelles émergent pour promouvoir la parité. Jean-Louis Vercher met en avant les avancées du CNRS : « nous avons imposé la parité dans les jurys de recrutement et nous les formons à identifier et dépasser leurs biais inconscients, notamment en veillant à ce que les interruptions de carrière liées à la parentalité n’impactent pas négativement les évaluations des chercheuses. Cela a permis de rééquilibrer les promotions ces dernières années ».
Cependant, le chemin reste long, notamment dans le monde de l’entrepreneuriat. « Les investisseurs ont encore des préjugés. Une femme doit prouver deux fois plus qu’un homme pour convaincre. Heureusement, des réseaux comme Femmes Business Angels permettent de pallier ces biais en donnant leur chance à des projets innovants, portés par des femmes », se réjouit Martine Caroff. Amanda Silva Brun, quadragénaire, dont la start-up EVerZom créée en 2019 vise à démocratiser l’accès à des biothérapies émergentes à base de vésicules extracellulaires, va dans le même sens : « créer une start-up n’est pas naturel pour beaucoup de chercheuses. Cela demande des mentors, des formations spécifiques et un soutien financier ». C’est justement du côté des investisseurs, milieu très masculin, que le bât blesse encore trop souvent. « Nous ne cherchons pas à financer exclusivement des projets féminins. Cependant, en valorisant la diversité dans les équipes et les gouvernances, nous montrons qu’un autre modèle est possible », précise Marie-Pierre Sbardella.
Conseils aux futures innovatrices : briser les plafonds de verre
Les voix se répondent pour appeler les futures postulantes à l’innovation à persévérer malgré les obstacles. Amanda Silva Brun, issue d’un milieu défavorisé au Brésil, a fait de l’adversité sa force. Elle confie : « concernant les difficultés, je n'avais pas les codes culturels. J'ai été confrontée à des remarques sur ma manière de m'habiller et à des commentaires parfois sexistes. Je me suis sentie ignorée à certains moments, et certains postes n'étaient pas destinés à une jeune maman. C’est difficile, mais venant d'où je viens, et ayant vu la condition des femmes ailleurs, je relativise et me dis que si j’ai réussi à être là, je continuerai à surmonter les obstacles ». Déterminée, cette brillante scientifique maman de trois enfants, ajoute : « mon objectif est d'encourager les jeunes filles et les femmes à surmonter les obstacles liés au genre, à la nationalité et à la classe sociale. Je crois fermement que l'innovation doit être inclusive. » Martine Caroff, riche de son expérience, met l’accent sur l’importance des modèles : « Voir des femmes réussir dans des rôles clés peut inspirer d’autres à suivre leur chemin, c’est ce que le comité du Prix Women Innovators nous demande : être des ambassadrices. Quand mes stagiaires me disent que je suis un modèle pour elles, cela me pousse à continuer ». Marie-Pierre Sbardella, quant à elle, invite les femmes à prendre des risques financiers : « investir dans l’innovation est une manière de s’affirmer et de contribuer activement à la transformation de la société. Les femmes doivent oser s’impliquer, à la fois comme créatrices et comme investisseuses ». La nécessaire féminisation du monde des investisseurs et des business angels, c’est une conviction que partage Jean-Louis Vercher et ce, à tous les stades du financement de l’innovation, « pré-maturation, maturation, levées de fonds ». C’est que les biais sont tenaces.
Innovation ne rime pas encore avec parité. La révolution est cependant bien en marche…