70 ans d’or et de prestige
L'année 2024 marque les 70 ans de la médaille d’or du CNRS, l'une des plus hautes distinctions scientifiques, qui a déjà récompensé 78 chercheurs et chercheuses dans de nombreuses disciplines.
« La médaille d’or du CNRS incarne notre mission : promouvoir une recherche d’excellence au service de la société, assure Antoine Petit, président-directeur général du CNRS. Elle célèbre des chercheurs et des chercheuses dont l’impact résonne bien au-delà de nos frontières. Elle témoigne de notre engagement à maintenir le CNRS au sommet de la recherche mondiale, là où les découvertes repoussent les frontières de la connaissance et changent notre compréhension du monde. »
Créée en 1954, la médaille d’or du CNRS a récompensé, en 70 ans, 78 chercheurs et chercheuses de nombreuses disciplines, reflétant la diversité de la recherche. Elle distingue aujourd’hui l’ensemble des travaux d’une personnalité scientifique – parfois deux – ayant contribué de manière exceptionnelle au rayonnement et au dynamisme de la recherche française. « En 1954, la recherche vient d’être érigée au rang des priorités nationales par le nouveau gouvernement de Pierre Mendès France et le moment paraît propice à la création de distinctions pour conforter le prestige de la recherche française », raconte Denis Guthleben, directeur délégué du Comité pour l’histoire du CNRS.
Un avant-goût de Nobel ?
Elle est vue rapidement comme la plus haute distinction scientifique française – « une sorte de prix Nobel national », assure l’historien. Elle côtoie ainsi des récompenses plus thématiques comme les prix Kavli norvégiens (qui distinguent un travail scientifique exceptionnel en astrophysique, nanosciences et neurosciences), la médaille Rumford de la Royal Society anglaise (pour des travaux en optique ou thermique) et le prix Turing en informatique. « La médaille d’or et la communication autour de mes travaux à l’occasion de sa remise ont contribué à légitimer mes recherches, en quelque sorte en décalage avec celles de mes collègues. Seul le CNRS peut ainsi valoriser une discipline », témoigne Barbara Cassin1 , philosophe et philologue lauréate en 2018. « Cette reconnaissance fut une surprise et un très grand plaisir », continue la chercheuse qui tient à partager cette médaille avec l’ensemble de ses collaborateurs sur son projet de Dictionnaire des intraduisibles, dont certains avaient pu participer à la cérémonie de remise de la récompense, « un moment festif et représentatif de l’impact international du CNRS ».
Lauréat en 2009, le physicien Serge Haroche2 tient aussi à associer ses collègues : « Surtout quand elle est donnée à un expérimentateur, ce type de récompense est la reconnaissance du travail de toute une équipe », explique-t-il, mentionnant en particulier Jean-Michel Raimond et Michel Brune au sein du Laboratoire Kastler Brossel : « Je n’aurais pas eu cette carrière si je n’avais pas pu travailler dans cette équipe pendant de nombreuses années », affirme celui qui a reçu le prix Nobel de physique trois ans après la médaille d’or du CNRS. L'organisme a d'ailleurs plusieurs fois « eu le nez fin en identifiant très tôt des scientifiques de qualité », confirme Denis Guthleben : 11 médaillés ont ainsi reçu le prix Nobel après avoir été reconnus par le CNRS, le physicien Louis de Broglie l’ayant obtenu en 1929 avant de recevoir la médaille d’or – la deuxième remise – en 1955. Cette médaille « est certainement, après le prix Nobel, la reconnaissance qui m’a rendu le plus heureux parce qu’elle a été décernée par des pairs, des personnes qui ont suivi ma carrière depuis les débuts », continue Serge Haroche qui a « toujours été associé à des laboratoires CNRS ». Elle fut aussi, selon lui, « une bonne préparation pour l’exposition médiatique internationale » inhérente à un prix Nobel : « Cela nous conduit à réfléchir à une bonne façon de présenter notre travail au grand public et à des journalistes, et nous apprend à résister à cette pression médiatique. »
Un effort de parité
Loin de ne récompenser que des travaux en recherche fondamentale, la médaille d’or couronne des contributions à la fabrique des connaissances au sens large, y compris dans le champ des innovations ou du partage des savoirs. Par exemple, Louis Néel est un « bâtisseur de laboratoires » : il a créé le premier laboratoire propre du CNRS en province, à Grenoble, en 1946 ; on lui doit aussi la création de l’Institut Laue-Langevin en 1967 et de l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF) en 1989. Ou encore Pierre Potier, auteur d’une vingtaine de brevets, qui a dirigé la rédaction des décrets d’intéressement des chercheurs et chercheuses sur leurs inventions lorsqu’il était directeur général de la recherche et de la technologie au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, deux ans avant de recevoir la médaille d’or du CNRS. Pour Jean Dalibard, Antoine Petit a voulu, lors de la cérémonie de remise de la médaille en 2021, préciser que l’organisme honorait le « physicien, chercheur passionné » mais aussi « l’homme d’engagement et de conviction fortement investi dans la politique de la recherche » et « le passeur de connaissance, l’enseignant hors pair aux talents pédagogiques exceptionnels ». Distinguée pour son rôle de pionnière et « cheffe de file incontestée » de la physique extragalactique française, et son « empreinte mondialement reconnue », Françoise Combes aurait aussi pu « être une des premières lauréates de la médaille de la médiation scientifique » du CNRS, selon le PDG qui a tenu à saluer ses efforts de diffusion des connaissances et son engagement concernant la place des femmes dans la recherche.
« Parmi les lauréats de cette médaille, le CNRS a été moins précurseur sur cette dernière question », reconnaît Denis Guthleben. Un déséquilibre flagrant – avec seulement 8 femmes récompensées en 70 ans – mais que l’organisme s’efforce de corriger : 6 femmes figurent parmi les 13 derniers lauréats, depuis la biologiste Margaret Buckingham en 2013 jusqu’à Edith Heard1 en cette année anniversaire. Cela est mieux que des distinctions similaires, comme la médaille Fields qui n’a récompensé que deux mathématiciennes depuis 1936 (contre 63 hommes) ou les moins de 7 % de femmes parmi les lauréats d’un prix Nobel. « Il est essentiel de veiller à ce que cet effort de parité ne laisse pas planer l’impression que les chercheuses sont évaluées dans une catégorie séparée, ce qui nuirait à la légitimité scientifique des femmes », avertit cependant la mathématicienne Claire Voisin2 , distinguée en 2016. Une recommandation prise très au sérieux : « La médaille d’or du CNRS célèbre des parcours d’exception. Ces 70 ans soulignent la richesse de la recherche de pointe en France, que le CNRS s’attache à promouvoir, dans tous les domaines et avec tous les talents, pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain », réaffirme Antoine Petit.