Avec Alcal’Hylab, Michelin et le CNRS misent sur la production d’hydrogène vert

Innovation

Le troisième laboratoire commun sur l’hydrogène conclu entre le fleuron industriel et l’institution scientifique française ambitionne de lever les verrous scientifiques pour démocratiser un hydrogène durable, sans métaux critiques, et accessible à l’industrie.

Aujourd’hui, la production d’hydrogène génère près de 2% des émissions de CO2 mondiales. Un paradoxe pour cette molécule souvent présentée comme la clé de la transition énergétique. C’est que 96 % de l’hydrogène produit provient d’énergies fossiles, avec ou sans émissions de CO₂. Fabriquer et utiliser un hydrogène réellement propre nécessite de surmonter plusieurs verrous scientifiques majeurs, comme la dépendance aux métaux rares et l’impact environnemental des membranes polymères perfluorosulfonées. « Nous devons conjuguer performance, durabilité et échelle industrielle, en nous affranchissant des métaux critiques », expose Fabien Dufour, manager et expert matériaux composites (recherche avancée) au Centre de Recherche et de Technologie de Ladoux chez Michelin. Le chercheur co-dirige avec Frédéric Maillard, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’équipe Electrochimie Interfaciale et Procédés  du Laboratoire d'électrochimie et de physicochimie des matériaux et des interfaces (LEPMI)1 , le laboratoire commun Alcal’HyLab inauguré par le CNRS et Michelin le 14 mars dernier à Grenoble.

Comme son nom l’indique, ce laboratoire met en œuvre une approche hybride combinant les avantages des électrolyseurs de l’eau alcalin (Alkaline Water Electrolyzer, AWE) et acide (Proton-Exchange Membrane Water Electrolyzer, PEMWE). « Nous cherchons à concilier performance et accessibilité en remplaçant les métaux nobles tel que l’iridium par des catalyseurs non-nobles, comme le fer et le nickel, tout en développant une membrane polymère sans fluor pour atteindre des vitesses de production d’hydrogène élevées », détaille, enthousiaste, Frédéric Maillard. 

Concrètement, l’équipe de chercheurs ambitionne de développer une technologie d’électrolyse de l’eau combinant « le meilleur des deux mondes, à savoir les avantages des technologies AWE et PEMWE », résume le pilote des travaux pour le CNRS.

Avec une équipe d’une vingtaine de chercheurs du LEPMI et du pôle R&D Michelin, Alcal’Hylab incarne une ambition scientifique de long terme. « L’objectif premier de notre laboratoire commun n’est pas de livrer des technologies immédiatement exploitables, mais de générer du savoir, de publier et de poser les bases des innovations futures », explique Frédéric Maillard. Cette approche s’inscrit parfaitement dans la stratégie de Michelin qui projette de réaliser 30 % de son chiffre d’affaires hors du pneu d’ici 2030.

Philippe Briand, président de l'université Savoie Mont Blanc ; Yassine Lakhnech, président de l'Université Grenoble Alpes ; Christophe Moriceau, directeur de la recherche avancée du groupe Michelin ; Jacques Maddaluno, directeur de CNRS Chimie et Vivien Quéma, administrateur général de Grenoble INP - UGA © Vincent MARTIN/LEPMI

Un partenariat stratégique entre recherche publique et industrie


Parmi les 10 laboratoires communs conclus entre le CNRS et Michelin, Alcal’Hylab est le troisième sur le sujet de l’hydrogène, après HydrogenLab, dédié aux matériaux de cœur de pile à combustible et d’électrolyseur de l’eau fonctionnant avec une membrane échangeuse de protons, et SpinLab, qui explore le potentiel des matériaux nanofibreux. Tous visent la fabrication d’un hydrogène respectueux de l’environnement. « Nous avons développé une vraie culture commune de travail, avec une grande fluidité dans les échanges entre les chercheurs académiques et ceux de Michelin », se réjouit Fabien Dufour. Frédéric Maillard acquiesce et ajoute : « Je n’opère pas de distinction entre recherche fondamentale et appliquée. Que nous travaillions à architecturer un matériau à partir d’un atome ou à optimiser ce matériau pour un usage industriel, la curiosité demeure au cœur de nos recherches ». La complémentarité entre Michelin et le CNRS s’avère une opportunité pour les jeunes chercheurs – trois doctorants et six post-doctorants sont mobilisés sur le laboratoire commun –, ainsi que pour cultiver l’attractivité de l’industriel français.

Fabien Dufour insiste sur la nécessité d’une vision long terme dans la R&D : « Michelin ne se lance pas dans un projet par opportunisme. Nous investissons sur le long terme pour structurer des filières et faire émerger des solutions durables ». La philosophie de l’industriel clermontois fait écho à celle du CNRS. « La recherche ne fonctionne pas en cycles courts, elle s’inscrit dans une temporalité longue, compatible avec l’approche de Michelin. Nous avançons ensemble en intégrant cette nécessité du temps long », précise Frédéric Maillard.

Des applications industrielles multiples


Les enjeux sont colossaux. L’hydrogène vert pourrait aider à décarboner la mobilité lourde (trains, avions, poids lourds), la production d’ammoniaque et d’engrais, ou encore la sidérurgie. « Si nous parvenons à industrialiser cette technologie, nous transformerons radicalement plusieurs secteurs émetteurs de CO2 », anticipe Frédéric Maillard.

Michelin ne s’y trompe pas. Déjà dans la filière hydrogène via sa joint-venture Symbio, le groupe voit dans cette technologie une opportunité majeure pour diversifier ses activités. « Ce n’est pas un pari de court terme : nous nous sommes engagés sur trois laboratoires communs sur ce sujet en quelques années », partage Fabien Dufour.

Une géopolitique des matériaux


L’hydrogène vert n’est pas seulement un défi technique. C’est aussi un enjeu de souveraineté. Aujourd’hui, les électrolyseurs PEMWE reposent sur des métaux rares importés d’Afrique du Sud, de Chine ou de Russie. « Miser sur des alternatives comme le fer et le nickel, plus abondants et présents notamment dans le sous-sol français, c’est s’affranchir de dépendances critiques », analyse Frédéric Maillard.

La concurrence est forte, même si discrète à l’échelle mondiale. On l’a compris : l’enjeu tient en l’invention d’une technologie capable de produire de l’hydrogène vert à l’échelle industrielle. Une telle innovation entrainerait un changement de paradigme impliquant la mise en place de filières et la construction de stations de production d’hydrogène partout sur le territoire français. Le feu est vraiment passé au vert pour l’hydrogène durable. Du moins pour Michelin et le CNRS. 

 

Notes

  1. CNRS/Université Grenoble Alpes/Université Savoie Mont-Blanc