Des visites de terrain pour encourager la transition écologique

Institutionnel

En plus des conférences-débats, le CNRS contribue depuis un an à la formation à la transition écologique des agents de l’État en constituant un catalogue de visites de terrain à destination des hauts fonctionnaires et cadres supérieurs. En partenariat avec d’autres acteurs académiques, des associations locales, des collectivités territoriales et des entreprises, ce format montre comment, concrètement, les politiques publiques peuvent répondre aux défis climatiques, de biodiversité et de ressources. 

Sortir des ministères et des services déconcentrés de l’État pour expérimenter sur d’autres terrains des solutions qui répondent aux enjeux de la transition écologique : telle était la promesse des visites de terrain animées par différents partenaires identifiés par le CNRS, quatrième étape, à la suite des conférences-débats, du parcours de formation à la transition écologique des agents de l’État. Lancée en octobre 2022 par le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, sous l’impulsion de la Première ministre, cette formation entend sensibiliser aux trois crises écologiques majeures l’ensemble des 2,5 millions d’agents publics, en commençant par les 220 directeurs et directrices d’administration centrale puis les 25 000 hauts fonctionnaires et cadres supérieurs de la fonction publique d’État. Un programme qui fait de la France une pionnière à l’échelle mondiale, car, comme le souligne Claire Gouny, la coordinatrice nationale des étapes conférences-débats et visites de terrain, elle « est le premier pays à former l’ensemble de ses agents publics pour inscrire la transition écologique au cœur des politiques publiques ».

Pour organiser ces visites de terrain, le CNRS a fait appel à des partenaires – collectivités locales, associations et entreprises publiques ou privées – en raison de la pertinence de leurs solutions concrètes en matière de transition écologique (climat, biodiversité et gestion des ressources). Si l’organisme de recherche a veillé à la rigueur scientifique de ces visites, il a ensuite laissé à ses partenaires le soin d'en imaginer les modalités pratiques, en lien avec les services préfectoraux. « Elles ont été sélectionnées en fonction de critères clairement définis dans les comités scientifiques territoriaux (CST), confirme Philippe Drobinski, chercheur à l’École Polytechnique au sein du Laboratoire de météorologie dynamique1  et membre du CST d’Île-de-France, Normandie et Hauts-de-France de la formation. « Elles doivent présenter une démonstration de passage à l'action concrète, adaptable et inspirante pour les publics formés »Dans le sud-ouest, en Camargue, en Guyane ou dans la région lyonnaise, les fonctionnaires témoignent de leur expérience immersive pour les inciter à passer à l’action.

  • 1CNRS / École Polytechnique / ENS-PSL / Sorbonne Université.
Lors de la visite sur les enjeux climatiques à Toulouse
Lors de la visite sur les enjeux climatiques à Toulouse© CNRS _ MIPN

L’adaptation en pratique au changement climatique 

« Nos villes sont devenues des fours, avec des bâtiments qui sont des passoires thermiques, affirme Catherine Jeandel, directrice de recherche émérite au CNRS au sein du Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales1 . En juin 2024, elle a participé à une visite du centre-ville de Toulouse, menée par la métropole et l’association locale En Quête de Patrimoine aux côtés d’une trentaine de fonctionnaires. « Ici, on nous prédit le climat de Tunis à l’horizon 2070 »poursuit-elle. Alors la chercheuse a d’autant plus apprécié faire une pause à l’ombre des arbres, au cœur d’un îlot de fraîcheur, une des étapes-clés de la visite. Sur le parking des Carmes qui domine les toits de la ville, le groupe a aussi évoqué de fausses bonnes idées, comme de repeindre en blanc les toits faits à 80 % de tuiles en brique rose. « Celle-ci absorbe trop la chaleur, poursuit Catherine Jeandel. Mais si on repeint en blanc les toits des immeubles peu élevés, ils vont réfléchir le soleil sur les autres qui deviennent alors de véritables fournaises : ce n’est donc pas une solution, plutôt un exemple de mal-adaptation ».

Parmi les nombreuses associations choisies par le CNRS pour l’efficacité de leurs bonnes pratiques figure ARTHROPOLOGIA, créée il y a vingt-trois ans pour la défense des insectes et de la flore. Son président, Hugues Mouret, naturaliste et directeur scientifique, anime des visites de terrain pour la formation. « La nature se portait très bien avant que les activités humaines ne prennent une telle ampleur. Protéger le vivant, c'est parfois simplement le mettre à l’abri de ces activités. La nature sait se régénérer pour peu qu’on lui en laisse le temps et l’espace », explique-t-il. Selon lui, les jardins privés représentent plus d’un million d'hectares, et si on ajoute les résidences, les espaces urbains, les campus, les casernes, les hôpitaux et les bords de routes et de champs, des millions d’hectares pourraient être renaturés. Pour illustrer ce principe, la visite de terrain s’est faite dans une zone en pleine renaturation de la région lyonnaise. L’expert en biodiversité a montré aux agents comment, en une dizaine d'années, cet espace a su se renaturer de lui-même. « L’objectif était d’échanger sur les principales problématiques écologiques et de montrer certaines dynamiques naturelles pour ensuite établir des liens avec les modalités de gestion ou de non-gestion de la nature au sein de leurs missions respectives », insiste Hugues Mouret. 

Renaturer, c’est aussi la solution expérimentée sur la friche industrielle Kodak à Sevran, en région parisienne dont la visite a été organisée pour de hauts fonctionnaires de différents ministères par CDC (Caisse des Dépôts) Biodiversité. « Ce lieu est un exemple réussi de renaturation d’un site industriel en zone urbainesouligne Valentine Norève, responsable du Programme Nature 2050 porté par CDC Biodiversité et le Fonds Nature 2050. Dépollué et renaturé, il offre aujourd’hui un espace vert aux populations locales et contribue à la lutte contre les îlots de chaleur, souligne-t-elle. Les participants ont posé des questions pertinentes sur des aspects techniques, tels que le volume de terres polluées extraites, et sur des sujets plus généraux, comme le fonctionnement des écosystèmes et l’intérêt des zones humides ».

  • 1CNES / CNRS / IRD / Université Toulouse-III Paul-Sabatier.
Lors de la visite de la zone atelier du CNRS en Camargue gardoise
Lors de la visite de la zone atelier du CNRS en Camargue gardoise© CNRS_MiPN

Des mesures adaptées localement

Les visites de terrain ont offert aux fonctionnaires une occasion précieuse de confronter les politiques publiques de transition, qu'elles soient nationales ou locales, avec les réalités écologiques spécifiques à chaque territoire. « La visite de terrain a permis une véritable prise de conscience de la complexité des interactions et des conséquences parfois inattendues de nos actions », confie Mathias Nieps, sous-préfet et secrétaire général adjoint de la préfecture du Gard, après une journée passée avec ses collègues hauts fonctionnaires au cœur de l’écosystème camarguais« Ce territoire est confronté à des défis majeurs : sécheresse, salinisation des sols, érosion du littoralbiodiversité... Un expert a expliqué que le paysage de la Camargue est en réalité le fruit de l’action de l'homme sur la nature et la biodiversité. Par exemple, la prolifération du flamant rose, initialement menacé, pose aujourd'hui de nouvelles questions en termes d'équilibre de la biodiversité locale ». 

En Guyane, la modification du trait de côte et le changement d’implantation des mangroves sont des phénomènes naturels anciens, mais ils semblent s'accélérer ces dernières années. Mi-juin 2024, Pierre Galiana, conseiller technique Établissements et Vie Scolaire au rectorat de l'académie de Guyane, a participé à une visite de terrain sur la plage des Salines en compagnie d’une quinzaine de fonctionnaires de tous horizons. Pour autant, actuellement, sa préoccupation est ailleurs. Conséquence du changement climatique, particulièrement marqué dans les territoires français ultra-marins, les Guyanais sont confrontés à une sécheresse particulièrement intense. « L'assèchement des fleuves rend difficile l'accès à l'école en pirogue pour les élèves. Face à cette situation, les services de l’État et la collectivité territoriale de Guyane ont mis en place des cellules de crise pour assurer leur transport ou la continuité pédagogique. La saison des pluies devrait rétablir la situation, malgré un risque d'inondations ».

Faire essaimer les solutions

Au terme de ces visites, 90 % des agents de l’État sont « tout à fait d’accord » pour dire que les différents intervenants des visites ont répondu aux attentes et ils sont tout de même 62 % à dire qu’elles leur ont donné envie d’agir. « Les solutions ne doivent pas rester sur étagère », affirme Philippe Drobinski, dont le centre Energy4Climate qu’il dirige sur le plateau de Saclay pilote un Living Lab, un dispositif faisant du territoire un véritable laboratoire d'expérimentation pour démontrer que les technologies développées en laboratoire peuvent être déployées à grande échelle et « avoir un réel impact sur la société ». Pour le directeur de recherche du CNRS, il est également essentiel de collaborer avec les entreprises pour « accélérer le déploiement de solutions concrètes »

Scientifiques, partenaires et fonctionnaires s’accordent sur l'importance des politiques publiques en matière de transition écologique. « Seule une intervention forte et coordonnée de l’État peut par exemple impulser le passage au véhicule électrique en 2035. L'ignorance paralyse l'action », renchérit le chercheur. « Prendre des décisions éclairées nécessite d’acquérir des connaissances solides sur des sujets complexes, aux impacts multiples et imbriqués », ajoute-t-il. Ce que Mathias Nieps confirme : « si la visite de terrain n'a pas débouché sur des décisions concrètes immédiates, elle aura permis de sensibiliser les fonctionnaires à l'importance d'intégrer les enjeux écologiques dans leurs pratiques professionnelles »Le sous-préfet souhaite voir ce type d'initiative se multiplier à l’avenir. « C'est un chantier que nous avons déjà commencé à explorer », lui répond Philippe Drobinski. Et aux cadres de conclure, dans le cadre d’une enquête qualité : « C’est à nous, cadres de la fonction publique d’État de donner une dimension supplémentaire à cette expérience en relayant les projets en cours au sein de nos administrations respectives et susciter l'intérêt d'agir1  ».

  • 1Propos recueillis dans le cadre de l’enquête qualité effectuée auprès d’un échantillon de 125 fonctionnaires ayant suivi la visite de terrain avant le 30 octobre 2024.
Adaptation d'une cour d'école au changement climatique lors d'une visite à Sotteville-lès-Rouen
Adaptation d'une cour d'école au changement climatique lors d'une visite à Sotteville-lès-Rouen© CNRS_MiPN
Environ 100 visites programmées
Plus de 1000 participants
De 7 à 15 participants par visite, aux effectifs volontairement restreints