Du labo au flacon : l'innovation cosmétique soutenue par la recherche fondamentale
L’innovation est cruciale pour préserver l'attrait des cosmétiques français et soutenir la compétitivité de ce secteur clé de notre économie. Les recherches fondamentales des laboratoires du CNRS, à travers diverses collaborations, apportent des solutions à des défis de plus en plus complexes et pluridisciplinaires.
De la racine des cheveux jusqu’au bout des ongles, nos corps portent souvent les innovations de la cosmétique. Ce secteur, deuxième contributeur à la balance commerciale française, génère chaque année un marché de 30,4 milliards d’euros1 . Ce succès repose en partie sur un fort investissement en recherche et développement, particulièrement en chimie. Cependant, l'industrie doit également répondre aux attentes croissantes des consommateurs pour des produits plus vertueux et personnalisés.
« La cosmétique fait partie des premières filières soutenues par le CNRS dans le but de renforcer ses partenariats avec les industriels. Il dispose d’une force de frappe importante pour répondre aux nouveaux enjeux allant de la performance des produits, à l’usine du futur, en passant par la naturalité et les alternatives biosourcées », témoigne Marie Côte, responsable de la coopération pour la filière Parfumerie-Cosmétique au sein de la Direction des relations avec les entreprises du CNRS. Comptant plus de 60 unités, plateformes technologiques et autres groupements de recherche en lien avec la cosmétique, le CNRS contribue déjà activement à l’innovation de ce domaine (voir encadré).
Des recherches en quête de ruptures
Les chercheurs du CNRS sont régulièrement récompensés pour leurs recherches liés aux cosmétiques. En 2023, la chimiste Claire de March2
a par exemple reçu le prix Irène Joliot Curie3
pour ses travaux sur l’olfaction, tandis que Patricia Rousselle était lauréate de la médaille de l’innovation du CNRS. Directrice de recherche au Laboratoire de biologie tissulaire et d’ingénierie thérapeutique4
, elle étudie les mécanismes biologiques impliqués dans la régénération et la réparation de la peau. « Au départ, mes questions portaient sur la prise de greffe chez les grands brûlés. Nous avons identifié au fil des années différentes protéines impliquées dans les processus de réparation, d’adhésion des cellules, etc. », décrit la chercheuse.
- 1 FEBEA, 2023.
- 2Chargée de recherche à l’Institut de chimie des substances naturelles du CNRS.
- 3Ce prix récompense les jeunes femmes scientifiques. Il est décerné par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avec le soutien de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies.
- 4Unité CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1.
Ses recherches captent rapidement l’attention d’entreprises de la cosmétique travaillant sur la régénération de la peau au cours du vieillissement. Plusieurs recherches partenariales fructueuses s’ensuivent et vont jusqu’à l’intégration d’une de ses molécules dans la gamme de baumes Cébélia. Moins contraignant, le marché de la cosmétique est plus facile à atteindre que celui de la pharmaceutique. Il a néanmoins fallu quinze ans pour que le produit en question soit enfin reconnu pour son action de réparation et de régénération de la peau.
Depuis, Patricia Rousselle a synthétisé de nombreuses molécules bio-inspirées qui ont suscité un fort intérêt. Elle a ainsi collaboré avec Dior, Chanel, Native, les laboratoires Patyka, l’entreprise japonaise Nagase ou encore les Laboratoires d’Anjou. « L’industrie cosmétique prend conscience que s’associer à la recherche fondamentale est une prise de risque qui en vaut la peine. Nos développements prennent du temps, car nous allons explorer les possibles au-delà de ce qui existe déjà. Mais c’est aussi grâce à cela que nous générons des résultats vraiment innovants, validés par la science et compétitifs pour nos partenaires, », témoigne Patricia Rousselle.
Pour une chimie plus verte
Face à des défis de plus en plus complexes, plusieurs entreprises de la cosmétique ont opté pour la création de laboratoires communs avec le monde académique. Avec ICCARE1
, les chercheurs de l’Institut des sciences chimiques de Rennes2
et Chanel travaillent par exemple sur l’élaboration d’une cire biosourcée pour les rouges à lèvres. Depuis 2002, une équipe mixte de recherche avec Pierre Fabre étudie la signature biologique de l’eau thermale d’Avène valorisée dans plusieurs produits.
De son côté, L’Oréal est associé au Laboratoire de chimie des polymères organiques (LCPO)3 pour élaborer des polymères biosourcés et biodégradables. Créé en 2018, ce laboratoire commun fait suite à plusieurs co-encadrements de thèses. « Ce format nous permet de multiplier les opportunités de collaboration entre nos deux institutions. Nous menons une recherche fondamentale de haut niveau, publiée dans des revues à fort impact et brevetée, qui vient aussi répondre aux attentes des consommateurs », précise Xavier Schultze, responsable de laboratoire chez L’Oréal. Les polymères les plus prometteurs pourraient à terme intégrer des produits cosmétiques, leurs emballages voire des modèles innovants de peau reconstruite.
« Le laboratoire commun et les besoins de l’industriel nous offrent des opportunités de fertilisation croisée, nous incitant à repousser les frontières de nos recherches au-delà de notre zone de confort.» témoigne Sébastien Lecommandoux, responsable académique du laboratoire commun. Cette relation a ainsi stimulé la création d’une cellule de transfert pour accélérer la valorisation des polymères produits par le LCPO auprès du monde industriel au sens large. « Nous regardons comment créer de nouveaux modes de partenariat pour amener encore plus vite nos innovations conjointes sur le marché cosmétique, mais aussi pour d’autres applications hors cosmétique », témoigne Xavier Schultze.
Des innovations made in academia
Pour autant, les innovations ne proviennent pas uniquement de partenariats industriels. CNRS Innovation a accompagné l’émergence d’une vingtaine de start-ups issues des laboratoires du CNRS et de ses partenaires en lien avec ce secteur. Leurs champs d’application sont variés : principes actifs, tests toxicologiques, packaging, développement de modèles innovants de peau... Chaque année, le CNRS met en lumière une de ses pépites deep tech lors du Cosmetic 360, un salon organisé par le pôle de compétitivité Cosmetic Valley où se réunissent toutes les entreprises internationales de la filière.
En 2023, les chercheurs du Laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes1 , Roberto Vargiolu et Hassan Zahouani, y ont présenté deux innovations en lien avec le sens du toucher : l’haptique. « Lorsque nous caressons une surface, le contact fait vibrer nos mécanorécepteurs, des neurones sensoriels situés dans la pulpe du doigt. Plus une surface est rugueuse, plus les vibrations ont une amplitude importante », explique Roberto Vargiolu. Ce concept fondamental est au cœur de TouchyFinger, un dispositif nomade et connecté qui équipe notre index et vient mesurer objectivement la douceur d’une surface.
Ce système pallie une analyse subjective menée par les industries cosmétiques lors du contrôle qualité de leurs produits. « On peut comparer ce que le doigt mesure avant et après l’application d’un produit sur la peau ou les cheveux par exemple, et ainsi valider scientifiquement la présence, ou non, de l’effet cosmétique recherché », ajoute Roberto Vargiolu.
Du laboratoire au marché
Les deux chercheurs proposent également une autre innovation, ADHELASKIN, capable de mesurer différents paramètres de la peau comme l’élasticité, l'adhésion et la fermeté. Ces deux innovations seront prochainement commercialisées par la start-up TACTInnov, en cours de création.
Et leurs idées ne s’arrêtant pas là ! De nouvelles fonctionnalités sont en cours de réflexion en lien avec l’expérience du consommateur. L’idée : analyser par intelligence artificielle les données captées par ces deux dispositifs afin d’établir un profil sensoriel de l'utilisateur. Ces informations serviront ensuite à lui proposer de façon personnalisée des produits cosmétiques qui lui sont adaptés. « En combinant ces innovations aux neurosciences, nous souhaitons également répondre à un autre besoin des cosmétiques qui est de mieux comprendre les prises de décision émotionnelles en lien avec les stimulations sensorielles qui jouent un rôle indéniable au moment de l’achat d’un produit », conclut Hassan Zahouani.
- 1Unité CNRS/École Centrale de Lyon/École nationale des travaux publics de l’État
Le CNRS, structuré pour la filière cosmétique
Réseaux, groupements de recherche, fédérations et actions :
- GdRO3 : accompagner la recherche sur les odorants, les odeurs et l’olfaction.
- Réseau Cosm’actifs : sourcing de bioactifs et d’ingrédients ; formulation et vectorisation ; cibles et modèles biologiques ; innocuité et conservation.
- GdR TACT : s’appuie sur une communauté de chercheurs pluridisciplinaire en lien avec le sens du toucher, dont les neurosciences, la psychologie cognitive, la tribologie et la biomécanique du doigt.
- Fédération Increase : dédiée à la chimie du végétal.
- Cosmetic Recherche Tour : le CNRS et Cosmetic Valley, pôle de compétitivité dédié aux acteurs de la filière parfumerie-cosmétiques, ont déployé une action nationale permettant de mieux connaître les compétences des laboratoires de recherche français travaillant sur des thématiques de la filière. L'objectif : développer des collaborations public-privé et accompagner leur mises en œuvre.
Plateformes technologiques :
- Coslife : conception et développement de produit, évaluation biopharmaceutique cutanée des propriétés des actifs formulés.
- HTSmartFormu : sciences applicatives de la formulation et de la formulation durable.