En 17 jours un consortium adapte un masque de plongée pour lutter contre le coronavirus

Institutionnel

Entre San Francisco, le Finistère et Paris, une équipe de chercheurs, d’industriels, de médecins et de bénévoles1 s’est constituée pour transformer en un temps record un masque de snorkeling intégral en masque de protection pour les soignants. Retour sur un véritable défi technique et scientifique.

  • 1Membres du consortium : Quentin Allinne, Decathlon ; Gillian Battu, 3découverte ; David Bochot, Decathlon ; Florian Boucher, Evanov ; Marie Caillaud, Plankton Planet ; Pierre Carles, Sorbonne Université, Polytech Sorbonne ; Vincent Castel, IMT Atlantique Brest ; François Clement-Grancourt, BIC ; Gwendal Cochet, Elliptika ; Jean Codarini, BIC ; Vanessa Crespo, Airbus Humanity Lab ; Pascal Cuillerier, Institut National de Plongée Professionnelle (Marseille) ; Albane De La Tour Dartaise, BIC ; Isabelle de Segonzac, Image Sept ; Colomban de Vargas, Plankton Planet, CNRS, Sorbonne Université ; Fabrice Dieudonat, BIC ; Clotilde Groleau, Centre Hospitalier des Pays de Morlaix ; Melanie Hannebelle, EPFL ; Aude Hibon, Conseil Ing et DM ; Renaud Hibon, Centre Hospitalier de Saint Malo ; Baptiste Hourmant, CHRU Brest ; Christian Kutz, Airbus Humanity Lab ; David Le Guen, Plankton Planet, Atelier PontonZ ; Erwan L’her, CHRU Brest, LATIM INSERM UMR 1101, Alexandre Manchec, Elliptika ; Tomo Murovec, UBO Open Factory ; Gilles Mirambeau, Plankton Planet, Sorbonne Université, CRG Barcelone ; Alberto Molina, Airbus Humanity Lab ; Anna Oddone, Plankton Planet ; Thibaut Pollina, Plankton Planet, Stanford University ; Cédric Quendo, Université de Bretagne Occidentale ; Yves Quéré, UBO Open Factory ; Serge Salvatori, IMT Atlantique Brest ; Bruno Schmid, Institut de Recherche Biomédicale des Armées (Toulon) ; Arnaud Seyller, Caremed ; Jessica Taytard, Sorbonne Université, Hôpital Armand Trousseau ; Romain Troublé, Plankton Planet, Tara Ocean Foundation

Des fonds marins aux hôpitaux, il ne leur aura fallu que 17 jours. Un consortium éphémère rassemblant des scientifiques, des industriels, des médecins et des experts en règlementation est parvenu à détourner de son usage initial le masque de snorkeling EasyBreath de la marque Decathlon afin d’en faire un masque de protection pour les soignants dans la lutte contre la propagation du Covid-19 en milieu hospitalier1 . L’équipe, montée en deux jours, a ainsi produit en un temps record un adaptateur permettant de relier le masque intégral à un filtre antiviral et antibactérien.

Les makers
L’idée est venue de Manu Prakash2
, bio-ingénieur à l’Université de Stanford, membre du projet Plankton Planet et acteur du mouvement Maker3 . En 2012, il s’est fait connaître grâce au Foldscope, un microscope optique en papier, disponible pour moins d’un dollar, permettant de grossir jusqu’à 2000 fois. Depuis une dizaine d’années, le mouvement Maker, fruit de la convergence entre la culture numérique du logiciel libre (open source) d'un côté et des savoir-faire artisanaux plus traditionnels de l’autre, se diffuse à l’échelle de la planète.

Le but des makers est de faire émerger à partir d'objets élémentaires, des solutions inattendues, simples, pratiques et bon marchés pour répondre à des enjeux écologiques ou économiques concrets. « Dans cette situation de crise sanitaire, les makers se sont rapidement demandés quel rôle ils pouvaient jouer et comment ils pouvaient mettre à profit leurs connaissances et leur savoir-faire », explique Thibaut Pollina, ingénieur en microscopie dans l’équipe de Manu Prakash et membre lui aussi du projet Plankton Planet. « Et puis il y a deux mois, Manu m’envoie une photo de lui portant ce masque de plongée intégral. Il se demande si on ne peut pas en faire quelque chose. Au même moment, les italiens l’adaptaient de leur côté pour ventiler les patients en réanimation. Il y a alors un véritable engouement qui émerge autour de ce masque. » Face à l’intérêt qu’il suscite dans les hôpitaux et les centres de recherche, Décathlon bloque fin mars la vente en ligne de 30 000 masques Easybreath afin de les mettre gratuitement à leur disposition.

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Le dispositif de masque de snorkeling 'full-face' adapté pour protéger les soignants en milieu hospitalier. © Consortium-Masque-Adaptateur_France

« Il ne se passe que quinze jours entre les premiers plans de l’adaptateur et la création du moule »
Entre San Francisco, le Finistère et Paris, si l’idée prend immédiatement, c’est aussi parce que les initiateurs du projet se connaissent depuis longtemps. « Nous travaillions il y a encore quelques semaines sur notre projet commun, Plankton Planet, qui s’inscrit dans la continuité de l’expédition Tara Oceans4 », souligne Colomban de Vargas, directeur d’Unité au CNRS et océanographe à la Station biologique de Roscoff. « L’idée de ce projet est de développer une océanographie frugale à l’aide de petits instruments scientifiques robustes et bon-marchés pour mesurer la vie dans les eaux des océans planétaires en mobilisant les citoyens des mers. Finalement, en adaptant un masque de plongée, nous sommes restés dans notre domaine. »

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Colomban de Vargas (a gauche) et Thibaut Pollina sur le pont arrière de Tara, au large de la Californie (juillet 2018), pour mettre au point les instruments d'un nouvelle Oceanographie 3.0, frugale et participative. © Plankton Planet

Très rapidement, ils décident de basculer toute leur énergie sur la conversion du masque EasyBreath qui, contrairement à ses nombreuses variations américaines, est standardisé. Ils mobilisent chacun de leur côté des acteurs de leurs réseaux : côté breton, Thibaut prend contact avec David Le Guen et Yves Quéré, makers finistériens qui recrutent le chef du service de réanimation du CHRU de Brest, le professeur Erwan L’her ; Colomban engage l’entreprise Decathlon qui leur livre les plans du masque EasyBreath et leur ouvre les portes du magasin de Brest. Il contacte aussi Romain Troublé à Paris, directeur de la Fondation Tara Océan, qui s’adresse, lui, au directeur général de l’entreprise Bic, François Clement-Grancourt. L’objectif : réunir et mobiliser à une échelle très réduite les acteurs nécessaires à l’accomplissement du projet.

Tous les soirs et pendant deux semaines, ils échangent sur des plate-formes de communication collaborative. « Nous avons tous été stupéfaits par la rapidité par laquelle nous avons abouti aux premiers résultats. Ce management horizontal et ouvert, décloisonnant les mondes des makers, du médical et de l’industrie, nous a permis d’être extrêmement agiles », insiste Colomban de Vargas. De fait, il ne se passe que quinze jours entre les premiers plans 3D de l’adaptateur et la création par Bic du moule en aluminium permettant sa production industrielle. « Dans l’usine de Redon en Bretagne, l’entreprise a coupé une de leur ligne de production de briquets pour préparer les moules. En 9 jours, ils ont relevé le challenge », ajoute Thibaut Pollina.

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L'équipe a échangé tous les soirs pendant deux semaines sur des plate-formes de communication collaborative © Consortium-Masque-Adaptateur_France

 

Près de 4 000 masques transformés seront distribués dans les centres hospitaliers de France
Pour ce projet, inédit, toutes les étapes ont dû être menées de front. Parallèlement, le prototype du masque adapté a passé une batterie de tests en milieu hospitalier afin de pouvoir obtenir une autorisation de mise sur le marché par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM)5 en tant qu’équipement de protection individuelle (EPI). « On est parti de la sortie du tuba pour créer cet adaptateur standard. Il permet désormais de brancher et de fixer des objets, dont les filtres antibactériens et antiviraux déjà existants dans le milieu médical », indique l’ingénieur.

A ce jour, des milliers d’adaptateurs sont produits chaque jour à l’usine de Redon et sont livrés aux hôpitaux déjà équipés des masques offerts par Decathlon. De plus, près de 4 000 masques transformés seront distribués dans les centres hospitaliers de France qui en ont besoin. À destination exclusive des professionnels de réanimation qui disposent des moyens de décontamination et stérilisation, ce masque intégral, tout-en-un, réutilisable à volonté, leur permettra de combiner lunettes, visière et masque FFP2 qui viennent à manquer depuis quelques semaines. « Nous commençons tout juste à fournir les hôpitaux qui le demandent sur la base d’un formulaire en ligne. Nous envisageons aussi de déployer ce dispositif, dans l’hémisphère Sud, où la pandémie démarre quelques semaines après l’Europe ou les Etats-Unis, avec l’hiver en ligne de mire. S’il y a une deuxième vague, nous serons prêts », conclut Colomban de Vargas.

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© Consortium-Masque-Adaptateur_France

 

  • 1https://adaptateur-masque.planktonplanet.org
  • 2Son directeur de thèse était Neil Gershenfeld, professeur au MIT et créateur du concept de Fab Lab, littéralement « laboratoire de fabrication », où sont aujourd’hui développés de nombreux projets tels des logiciels et solutions libres et open source.
  • 3À (re)lire : https://lejournal.cnrs.fr/articles/des-makers-aux-fablabs-la-fabrique-du-changement
  • 4L’expédition Tara Oceans, menée de 2009 à 2013, a permis de récolter des données éco-morpho-génétiques sur les communautés planctoniques présentes dans tous les océans de la planète.
  • 5Celle-ci court jusqu’au 31 mai 2020.