Entre le C2N et Quandela, un laboratoire commun sur les sources de lumière quantique
Sept ans après la fondation de Quandela à partir de travaux menés au Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N, CNRS/Univ. Paris-Saclay/Univ. Paris Cité), les deux entités réaffirment leur intrication en inaugurant le laboratoire commun QDlight. Une coopération pour pousser leurs sources de lumière quantique, déjà les plus performantes du monde, vers de nouveaux horizons.
Lorsqu’une start-up émerge d’un laboratoire CNRS, les liens restent souvent forts. Avec la société Quandela et le Centre de nanosciences et de nanotechnologies, cette osmose a abouti à la création du laboratoire commun QDlight, inauguré le 13 novembre. Une coopération confortée dans le but, entre autres, de développer une nouvelle génération d’émetteurs de lumière quantique.
Si un ordinateur classique fonctionne avec des bits, qui prennent la valeur 0 ou 1, l’informatique quantique emploie des qubits, qui peuvent exister dans plusieurs états à la fois. C’est ce qui donne sa puissance et ses spécificités au calcul quantique. Les qubits s’obtiennent de plusieurs manières différentes, qui forment autant de branches de la recherche actuelle : avec des supraconducteurs, des atomes ultra refroidis ou, comme le fait Quandela, des photons.
« Les technologies quantiques de seconde génération utilisent des propriétés subtiles de la mécanique quantique que sont la superposition et l’intrication, détaille Pascale Senellart, directrice de recherche CNRS au C2N, cofondatrice et chief scientific officer de Quandela. Avec mon équipe du C2N, nous travaillons depuis 22 ans à la fabrication de composants émetteurs de photons uniques. Nous leur avons donné des caractéristiques suffisantes pour aller vers des applications. Depuis, nos sources de lumière ont atteint des performances inégalées, elles sont à l’état de l’art international. »
Dans la nature, seul un atome peut émettre un photon unique, mais il le fait dans n’importe quelle direction, sans qu’il soit possible de le collecter efficacement. Les microcavités optiques en forme de piliers, dans lesquelles sont intégrées les boîtes quantiques, fonctionnent comme des caisses de résonance pour la lumière et permettent une émission dans une seule direction choisie. Une impulsion laser leur indique quand émettre un photon qui est ensuite récupéré par une fibre optique. « Les photons uniques sont d’excellents supports d’informations quantiques, explique Olivier Krebs, directeur de recherche CNRS au C2N. Ils possèdent d’ailleurs plusieurs degrés de liberté pouvant servir à encoder les qubits. »
Le développement au C2N de boîtes quantiques d’une efficacité améliorée d’un facteur cinquante par rapport à l’état de l’art a permis, en 2017, la fondation de Quandela. La start-up a pu s’appuyer sur une technique de contrôle des composants suffisamment fiable et reproductible pour passer à une production industrielle.
Quandela commercialise ses sources quantiques photoniques à différents experts de ces technologies, notamment pour concevoir des ordinateurs quantiques. L’entreprise en a d’ailleurs fabriqué deux pour elle-même, dont elle vend des plages de calcul en ligne. Quandela réunit à présent plus de quatre-vingts employés à temps plein et a réussi, en 2023, une spectaculaire levée de fonds de cinquante millions d’euros.
Le laboratoire commun va pousser davantage la coopération déjà riche entre le C2N et Quandela. « La nouvelle génération d’émetteurs de lumière quantique est déjà là, grâce à la recherche fondamentale menée au C2N, mais nous continuons de l’améliorer et de l’optimiser, poursuit Olivier Krebs. Nous voulons en effet que nos photons uniques soient indiscernables les uns des autres, c’est-à-dire les plus purs et les plus identiques possibles. Nous en sommes à 95 % d’indiscernabilité, les derniers points de pourcentage étant les plus durs à atteindre. »
QDlight visera également à produire des états clusters : des paquets de photons uniques intriqués, c’est-à-dire qui présentent des propriétés de corrélations quantiques. Plus le cluster est important, et plus il accélère la vitesse de calcul. Par ailleurs, les photons intriqués peuvent porter plusieurs fois la même information. Cette redondance permet de corriger les erreurs, qui sont un des principaux freins à la puissance réelle des ordinateurs quantiques d’aujourd’hui. Nombre d’entre eux n’intègrent pour l’instant pas la correction des erreurs, cette capacité est pourtant un enjeu majeur du développement de ces machines.
Le laboratoire commun poursuit également l’obtention de photons à de nouvelles longueurs d’onde, ce qui permettrait notamment de les utiliser avec les mémoires quantiques atomiques déjà existantes. Tous ces axes de recherches vont participer à la construction d’un nouvel ordinateur photonique. « Le C2N et Quandela sont membres du Programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) Quantique piloté par le CNRS, et auquel participent le CEA et l’Inria, qui vise à bâtir un ordinateur quantique à 8 qubits avec des technologies issues exclusivement de laboratoires français, complète Olivier Krebs. En comparaison, Quandela dispose déjà d’un ordinateur à 8 qubits, intégrant cependant plusieurs composants critiques achetés auprès de compagnies étrangères. »
QDlight se verra doté de nouveaux équipements, dont une machine à lithographie à basse température, et permettra de renforcer les collaborations au quotidien entre Quandela et le C2N, via notamment des thèses CIFRE, des partages d’équipements et des projets communs. « Le labcom va nous apporter de la visibilité et aider à la recherche de financements, se félicite Olivier Krebs. Ce format va aussi faciliter les démarches administratives pour les chercheurs à cheval sur les deux structures et pour les doctorants en thèse CIFRE. Si Quandela a été fondé à partir de technologies du C2N, le laboratoire a depuis perdu une partie de ce savoir-faire et est tributaire de Quandela pour obtenir certains échantillons et sources photoniques pour ses propres recherches. Ces compétences vont pouvoir revenir au C2N. »
« Ce labcom est un grand bonheur pour moi qui travaille depuis sept ans entre les deux structures, se réjouit Pascale Senellart. Je suis infiniment contente de voir que mes recherches ont abouti à une société d’une centaine d’employés et à des ordinateurs quantiques bien concrets. Le laboratoire commun officialise ce que l’on vit déjà, tout en respectant le rôle de chacun entre recherche fondamentale et valorisation technologique et industrielle. »
QDlight va permettre d’accroître la mobilité de travail des personnels entre les deux entités. La structure va également soutenir des recherches fondamentales au-delà des seules technologies quantiques, avec par exemple des études du couplage entre un émetteur quantique et les phonons, c’est-à-dire des vibrations hautes fréquences des solides. Quandela abrite aussi une solide équipe d’experts en algorithmiques pour développer des programmes capables de tourner sur des ordinateurs quantiques. De quoi compléter le véritable arsenal d’expertises assemblé par Quandela et le C2N à la pointe des technologies quantiques.