Expertise scientifique collective : la science au service de l’action publique

Institutionnel

Trois ans après sa création, la Mission pour l’expertise scientifique du CNRS s’apprête à restituer cette année trois expertises scientifiques collectives institutionnelles. Sa directrice fait le point sur les évolutions au sein de la Mission et les méthodes mises en place pour conduire une expertise robuste et collective, au service de la décision et du débat publics. 

La Mission pour l’expertise scientifique (MPES) a été créée par le CNRS en 2022. Quelles ont été vos principales missions depuis que vous en avez pris la tête en avril 2023 ? 

Valérie Lallemand-Breitenbach : Ma prédécesseuse, Adeline Nazarenko, avait posé le socle de cette nouvelle mission CNRS et fait le choix d’un format « expertise scientifique collective » pour produire des états des lieux critiques des connaissances scientifiques. Depuis ma prise de poste, l’enjeu de la MPES a été de passer de l’ambition posée par les quatre principes de la charte de l’expertise du CNRS – la compétence, la transparence, l’indépendance et l’impartialité – à sa réalisation pour guider le travail des experts. 

Pour chaque projet, nous avons ainsi constitué un groupe d’experts pluriel, à la fois dans leurs champs de compétences mais également dans leurs liens d’intérêts, en nous assurant de l’absence de conflit d’intérêt. Dans une perspective d’amélioration continue, nous avons cherché à identifier les freins et les limites de chaque sujet dans l’optique de définir une méthode CNRS à décliner selon les sujets d’expertise. 

En lien avec les dix instituts du CNRS, nous avons aussi réfléchi aux formats et grandes thématiques à venir. La MPES va ainsi décliner son offre de services en incluant des formats plus courts sur des périmètres plus restreints (un an au lieu des deux à trois ans actuels) pour mieux converger vers le temps de la décision publique. 

Qu’a changé la création de la mission aux expertises que menait jusqu’alors l’organisme ?

V. L-B. : Je dirais qu’elle a renforcé trois niveaux d’actions de l’expertise scientifique. 

La MPES fait appel à des scientifiques issus de plusieurs instituts du CNRS. La création de la mission contribue ainsi à mettre la force pluridisciplinaire de l’organisme au service de grands sujets de société. Réciproquement, elle permet aux scientifiques qui s’engagent dans ces expertises de porter sur la scène publique les connaissances issues de la recherche et les enjeux de société dans lesquels s’inscrivent leurs travaux.

D’autre part, l’aspect institutionnel implique des obligations. L’ambition d’une expertise institutionnelle est de tendre vers la plus grande objectivité par la pluralité du collectif, de livrer une vision systémique et durable dans le temps de la problématique traitée. Ce sont des objectifs plus difficiles à atteindre par une prise de parole individuelle.

Enfin, l’arrivée du CNRS dans le champ institutionnel de l’expertise scientifique a permis un rapprochement avec les homologues de la MPES au sein d’autres organismes de recherche. De fait, la MPES co-anime un club informel pour échanger sur les bonnes pratiques et nourrir une réflexion sur la notion d’expertise scientifique. 

Comment s’articulent expertise et recherche fondamentale ?

V. L-B. : Leurs démarches sont inverses. Alors qu’en recherche fondamentale, on s’intéresse d’abord aux questions non résolues, l’expertise scientifique cherche à condenser et rapprocher les connaissances existantes. L’expertise implique un changement de positionnement et voit la science devenir un instrument au service de l’action publique. Son but est alors de mettre en évidence de grandes conclusions, tout en identifiant des lacunes et des interrogations qui pourront mener à de nouveaux projets de recherche. Pour les chercheurs et chercheuses, participer à une expertise scientifique représente donc une opportunité d’avoir un regard en surplomb sur les sujets de recherche fondamentale qui répondront aux grands défis de demain. 

Quelles seront les prochaines expertises collectives restituées par le CNRS ?

V. L-B. : 2025 verra la restitution de trois expertises.

Tout d’abord, l’expertise sur les plastiques utilisés en agriculture et pour l’alimentation sortira au début du printemps. Elle couvre un périmètre assez large, allant des propriétés et des usages jusqu’aux impacts sanitaires et environnementaux. En partenariat avec Inrae, cette expertise répond à une commande des ministères en charge de l’agriculture et de la transition écologique et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

Au dernier trimestre, nous procèderons à la restitution de l’expertise relative aux parcs éoliens en mer, qui fait suite à une saisine des ministères en charge de la transition écologique, de la transition énergétique et de la mer. Pour cette expertise, conduite en partenariat avec Ifremer, le groupe de scientifiques interroge les connaissances scientifiques disponibles traitant des effets sur la biodiversité des éoliennes off-shore, pression par pression. Il cherche également à interroger les effets cumulés de ces éoliennes ainsi que leurs impacts sur les socio-écosystèmes qui ont une rétroaction sur la biodiversité. 

Entre temps, nous restituerons la première auto-saisine du CNRS, qui portera sur les terres rares, matériaux clés pour la transition énergétique. Nous avons identifié que certaines analyses abordaient la question de ces métaux stratégiques et critiques par les enjeux de stocks, de disponibilité et d’approvisionnement. Aucune expertise n’entrait par le prisme des usages, comme ceux des aimants permanents, qui servent par exemple au fonctionnement des éoliennes marines, du numérique (via nos écrans tactiles) ou encore de l’imagerie médicale (les IRM). L’état de l’art que nous avons lancé a donc pour ambition de questionner une utilisation responsable des terres rares. L’objectif est ici de recenser les publications concernant les moyens de réduire leur consommation, par la substitution ou la sobriété, de les recycler et d’aborder les ressources secondaires comme les déchets miniers, des boues rouges par exemple, pour compenser en partie la dépendance totale du continent européen à la Chine. Cette question géopolitique est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le CNRS a souhaité porter ce sujet. 

Plus de 70 experts mobilisés depuis la création de la MPES
Au moins 3 instituts du CNRS dans chaque expertise collective
8 600 publications examinées pour constituer les bases documentaires des expertises
Environ 20 parties prenantes mobilisées pour chaque expertise collective