« Horizon Europe doit faire une place plus grande à la recherche fondamentale »

Institutionnel

Le CNRS a rendu en février son évaluation à mi-parcours du programme cadre pour la recherche et l’innovation de l’Union européenne 2021-2027, Horizon Europe. Retour sur les enjeux de cette évaluation avec Etienne Snoeck, responsable du pôle Europe à la Direction Europe et International du CNRS et Alain Mermet, directeur du bureau du CNRS à Bruxelles.

Pourquoi le CNRS réalise-t-il une évaluation à mi-parcours du programme cadre Horizon Europe et quels en sont les objectifs ?

Etienne Snoeck : Ce rapport d’évaluation est une demande de la Commission européenne, qui a d’ailleurs lancé une triple consultation : un bilan sur l’ancien programme cadre Horizon 2020, l’évaluation à mi-parcours1  de l’actuel programme-cadre Horizon Europe, et un début de réflexion sur le prochain programme-cadre qui commencera en 2028. Le CNRS a choisi de focaliser son rapport sur l’évaluation d’Horizon Europe et la réflexion sur le futur programme-cadre. Ces évaluations sont des demandes récurrentes de la Commission européenne. Nous avions par exemple réalisé une évaluation à mi-parcours du programme-cadre, Horizon 2020.  

Alain Mermet : Le rapport « Évaluation à mi-parcours d’Horizon Europe et perspectives d’avenir » du CNRS, validé par la Gouvernance du CNRS, a été réalisé par le Bureau de Bruxelles du CNRS, en concertation avec un grand nombre d’acteurs de la « filière Europe » du CNRS qui œuvrent à déployer notre stratégie envers la Commission européenne. Nous avons fait appel aux dix instituts, aux directions fonctionnelles, à nos ingénieurs projets européens2  et services Partenariat et Valorisation (SPV) en délégations, ainsi qu’aux groupes miroirs des actions d’Horizon Europe du CNRS3 . Cette large consultation4  nous a permis d’obtenir une vision consolidée sur le programme-cadre notamment au travers d’échanges libres pour ne pas se limiter au format restrictif du questionnaire élaboré par la Commission européenne.

Si cette consultation revêt des enjeux stratégiques majeurs, tant pour les prochaines années d’Horizon Europe que pour le prochain programme-cadre, elle nous permet également de faire le point en interne sur Horizon Europe, plus de deux années après son lancement. Cet exercice donne non seulement l’opportunité au CNRS de formuler un ensemble de messages que nous relaierons à Bruxelles mais aussi celle de confronter nos points de vue, d’ailleurs très convergents, avec nos homologues du G65 . Les présidents de ce groupement se réuniront le mois prochain pour réaliser un bilan de leur évaluation respective et formuler des messages communs qu’ils porteront ensuite auprès des plus hautes instances européennes de la recherche et de l’innovation.  

E. S. : En effet, tous les organismes et universités européens jouent le jeu. Le CNRS, en tant que premier organisme récipiendaire des programmes-cadres européens depuis leur création il y a bientôt 40 ans, doit faire entendre sa voix en portant celles de ses scientifiques.

Pouvez-vous nous détailler quelques recommandations du CNRS ?

A. M. : Un point essentiel de nos recommandations est que la place de la recherche fondamentale dans le programme-cadre doit être significativement renforcée. Avec le programme actuel, son financement est essentiellement concentré sur le Conseil Européen de la Recherche (ERC) - outil remarquable dont il faut poursuivre le développement au sein du pilier 16  d’Horizon Europe. Mais, la recherche fondamentale a aussi sa place dans le pilier 27  qui porte sur des thématiques ciblées, en lien avec la compétitivité industrielle. Une préoccupation majeure exprimée par nos communautés, que nous avons relayée dans nos recommandations, est le niveau d’entrée de TRL8  trop élevé dans les projets collaboratifs du pilier 2. Pour pallier cette dérive, nous avons proposé d’inclure des appels blancs au sein des six clusters9  qui façonnent ce pilier - appels qui laisseraient une plus grande marge de manœuvre aux chercheurs et chercheuses du CNRS. Le CNRS souhaite également un meilleur financement des « petits » projets collaboratifs au nombre restreint de partenaires qui sont très réactifs sur des sujets émergents et de rupture.

E. S. : La question des infrastructures de recherche est également un point clé. Ce sont des lieux stratégiques où les chercheurs et chercheuses du monde entier collaborent et qui sont soutenues par plusieurs pays. Avec Horizon Europe, les financements sont focalisés à la fois sur les projets thématiques et l’organisation en réseau, mais ne favorisent plus les financements des infrastructures elles-mêmes. Par rapport aux programmes-cadres précédents, l’offre d’Horizon Europe est moins ambitieuse pour maintenir les instruments au meilleur niveau et permettre le développement de nouvelles méthodologies. Les communautés des infrastructures qu’elles soient en astronomie, en sciences humaines et sociales, sciences physiques, biologie, sciences de l’environnement, et en particulier celles du G6 qui concentre l’essentiel des acteurs nationaux en termes d’infrastructures, n’ont pas été assez impliquées dans la stratégie européenne des infrastructures de recherche et nous souhaitons qu’elles participent pleinement à l’élaboration des appels futurs.

Le CNRS soutient également les cinq Missions10  lancées par la Commission. Hélas, pour l’instant nos communautés n’ont pas pu s’en saisir pleinement faute d’une porte d’entrée efficace de la recherche dans les missions. Les scientifiques ont de fait du mal à les appréhender – peut-être parce que la place de la recherche n’est pas suffisamment valorisée dans ces missions ? C’est dommage, car des métropoles et des collectivités ont été lauréates de ces projets Mission d’Horizon Europe et le CNRS - qui s’alignent particulièrement bien avec les défis sociétaux identifiés dans le COP 2019-2023 du CNRS - a toutes les compétences pour y contribuer efficacement et les accompagner mais n’est à ce jour pas suffisamment inclus.

Nous avons également souligné notre soutien au Gender Equality Plan qui s’inscrit parfaitement dans la stratégie du CNRS pour l’égalité Femme-Homme. Si les participations au sein du programme cadre arrivent à parité, il reste encore des efforts à faire pour que cette parité se retrouve également dans les postes à responsabilité des projets.

D’autres volets d’Horizon Europe, notamment les partenariats, les questions de science ouverte, d’innovation, les processus de mise en œuvre des appels, l’évaluation et le suivi de projets, leurs modes de financement etc. ont également fait l’objet des recommandations transmises à la Commission européenne et au MESR.

  • 1Cette année l’évaluation a lieu plus tôt qu’à mi-parcours en raison de l’échéance des élections européennes de 2024.
  • 2Les ingénieurs projets européens ont pour mission d'accompagner les chercheurs et chercheuses dans le montage administratif, juridique et financier de leurs projets européens.
  • 3Les groupes miroirs ont pour objectif de promouvoir les positions du CNRS auprès du ministère et à Bruxelles sur les thématiques des futurs appels à projets européens.
  • 4Organisée en particulier par Victoire Teisserenc au bureau de Bruxelles et Dalar Hamon-Arslanyan à la Mission transverse d’appui au pilotage (MTAP).
  • 5Le G6 est un réseau d’influence rassemblant les six principaux organismes de recherche européens - CNR, CNRS, CSIC, Helmholtz Association, Leibniz Association et Max Planck Society.
  • 6Le premier pilier, « Excellence scientifique », doté d’un budget de 25 milliards d’euros, est consacré à la recherche fondamentale, avec le Conseil européen de la recherche (ERC ), les actions Marie Sklodowska-Curie et les Très grandes infrastructures de recherche (TGIR).
  • 7Le deuxième pilier, « Problématiques mondiales et compétitivité industrielle européenne » a pour objectif de soutenir de grands projets collaboratifs, avec une organisation en « clusters ». Il centralise la plus grosse part des financements avec 53,5 milliards d’euros.
  • 8TRL (Technology Readiness Level ou niveau de maturité technologique) est un système de mesure employé pour évaluer le niveau de maturité d'une technologie.
  • 9Santé ; Culture, créativité et société inclusive ; Sécurité civile pour la société ; Numérique, industrie et espace ; Climat, énergie et mobilité ; Alimentation, bioéconomie, ressources naturelles, agriculture et environnement.
  • 10Adaptation au changement climatique ; Santé des océans, des mers et des eaux côtières et continentales; Vaincre le cancer ; Villes intelligentes et neutres en carbone ; Santé des sols.