Innover en sciences humaines et sociales, de la cybersécurité aux jeux éducatifs

Institutionnel

Événement phare de CNRS Sciences humaines & sociales, les Rencontres Innov’SHS, qui prennent la suite du salon Innovatives SHS, auront lieu cette année le 9 octobre à la Maison de l’Amérique latine, à Paris. L’occasion d’y constater combien les sciences humaines et sociales innovent dans de multiples domaines, parfois même inattendus. À l’occasion de cet événement, le prix de l’innovation en sciences humaines et sociales sera remis pour la première fois.  

Emilie Bonnefoy s’en étonne encore : « Allier la cognition à la cybersécurité n’est pas si fréquent. Et pourtant, nous avons eu la surprise de recevoir bon nombre de retours de laboratoires de recherche au terme d’une enquête menée à notre demande par la Direction des relations avec les entreprises (DRE) du CNRS ». Maria Teresa Pontois, responsable du pôle Innovation, valorisation et partenariats industriels de CNRS Sciences humaines & sociales confirme l’intérêt et le rôle des sciences humaines et sociales pour la cybersécurité : « Elles sont véritablement pourvoyeuses de solutions dans ce domaine ». 

On pourra en juger au cours d’une table ronde sur le sujet le 9 octobre, à la Maison de l’Amérique latine à Paris, lors des premières Rencontres Innov’SHS qui succèdent à cinq éditions du salon Innovatives SHS, créé en 2013 par Patrice Bourdelais, alors directeur de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS, désormais CNRS Sciences humaines & sociales. Ces rencontres mettent cette année à l’honneur, parmi les six thématiques abordées lors des tables rondes, deux domaines « où l’on n’attendait pas les sciences humaines et sociales, mais sur lesquels nous avons su nous montrer proactifs », commente Maria Teresa Pontois. 

Un homme en situation de handicap visuel recourt à un dispositif d'accessibilité numérique. © Mikhail Nilov / Pexels
Un homme en situation de handicap visuel recourt à un dispositif d'accessibilité numérique. © Mikhail Nilov / Pexels

Les sciences humaines et sociales éclairent le pan humain et social de la cybersécurité

Dans le domaine de la cybersécurité, l’apport des sciences humaines et sociales est particulièrement recherché pour éclairer « le pan humain et social qui manque au secteur, qui se concentre depuis des années essentiellement sur la technique, regrette Emilie Bonnefoy. Ce qu’il nous faut connaître, c’est le cerveau humain et la perception de la sécurité par les individus dans leur contexte et leurs particularités. C’est là que les SHS doivent jouer un rôle, en éclairant en complétant la technique ». La cheffe d’entreprise précise sa pensée : « Notre conviction à Open Sezam, c’est qu’il ne peut pas y avoir de transformation digitale efficiente sans sécurité et sans inclusion de l’ensemble des parties prenantes de la société. Or, aussi fou que ça puisse paraître, l’inclusion des personnes en situation de handicap et d’illectronisme n’est absolument pas prise en compte par les entreprises développant des solutions d’authentification ». Pour pallier ce manque, OpenSezam, incubée à ses débuts au Campus Cyber[1], à Puteaux, « au même étage que l’antenne du CNRS »[2], se rapproche de son voisin scientifique et en particulier de sa DRE. Au terme d’une enquête auprès des laboratoires de sciences humaines et sociales, la direction identifie un certain nombre d’unités spécialistes de la cognition humaine, parmi lesquelles le Centre de recherches sur la cognition et l'apprentissage (Cerca)[3] en la personne de Nicolas Louveton, à l’interface entre la biologie et les sciences humaines et sociales. La collaboration du maître de conférences à l’université de Poitiers et d’Open Sezam, à laquelle contribuent également le CHU de Poitiers et l'association Valentin-Haüy, a donné jour au programme de transfert Alias, soutenu par l’Agence nationale de la recherche. Ce programme vise à permettre aux personnes en situation de handicap visuel de se connecter en toute sécurité lors de leurs usages numériques pour réaliser des actes du quotidien : acheter un billet de train en ligne, prendre rendez-vous chez le médecin, réaliser des opérations bancaires, etc. Pour ce faire, une post-doctorante recrutée au Cerca dans le cadre de ce programme, pilotera une enquête à partir d’un panel d’usagers en situation de handicap visuel constitué par l’association Valentin Hauÿ, de manière à tester et adapter avec eux la solution d'authentification forte développée par Open Sezam.

Autre projet en cours de développement : NumDiag, au croisement du droit, de l'informatique et des sciences comportementales. Actuellement en cours de prématuration auprès de CNRS Innovation, ce projet entend, comme Alias, combler un vide en cybersécurité : « Nous sommes initialement parties du constat que la connexion progressive des logements génère de nouveaux risques de fuite pour la vie privée des utilisateurs, risques de fuites qui, contrairement aux fuites énergétiques, ne sont pas encore communiqués aux habitants », explique Gwenaëlle Donadieu, juriste spécialiste des pratiques commerciales et de la protection des données à caractère personnel et docteure en droit privé de l’université de Montpellier, à l’origine du projet avec l’informaticienne Anne Laurent[4]. Pour ce faire, la juriste et l’informaticienne développent un score de confiance sur la protection des données dont le calcul se fait par un logiciel automatisé, qui permettra aux promoteurs d'environnements connectés d'attester de la bonne gestion des données et de la protection de la vie privée des utilisateurs. Croiser la recherche en droit et les sciences de l’informatique s’avère particulièrement fécond : « L'approche interdisciplinaire enrichit la compréhension que l'on a des objets connectés. Certaines questions sont actuellement traitées uniquement sous le prisme juridique sans être mises en perspective avec la réalité technique et inversement. Nous proposons une approche différente par laquelle nous intégrons l'ensemble des facteurs y compris l'analyse du comportement de l'utilisateur afin de gérer au mieux les risques en matière de cybersécurité », estime Gwenaëlle Donadieu.

Des élèves impliqués dans un projet long autour du jeu [Kosmopol:it]. © Christian Dury, CNRS, MSH LSE
Des élèves impliqués dans un projet long autour du jeu [Kosmopol:it]. © Christian Dury, CNRS, MSH LSE

Quand innovation rime avec co-construction

Alias et NumDiag illustrent, chacun à leur manière, le tournant pris par l’innovation en sciences humaines et sociales, en termes d’impact social et environnemental. Maria Teresa Pontois revient sur cette réorientation : « Les sciences humaines et sociales interviennent sur des questions scientifiques à fort enjeux d’application et de transfert ; elles sont force de proposition pour des solutions. C’est pourquoi les Rencontres Innov’SHS sont un lieu de co-construction interdisciplinaire et interprofessionnel entre scientifiques et opérateurs socio-économiques ».

L’aventure du jeu de société [Kosmopol:it] témoigne de cette force de la co-construction. Fruit d’une collaboration entre le laboratoire lyonnais Dynamique du langage (DDL)[5] et les éditions Jeux Opla, avec l’appui de la SATT (Société d'accélération du transfert de technologies) Pulsalys, ce jeu de société, qui mêle gastronomie et diversité linguistique, totalise, depuis sa commercialisation en janvier 2020, près de 100 000 exemplaires vendus, une traduction en allemand et une prochaine en japonais. Mais, surtout, il a permis d’initier une nouvelle forme de médiation scientifique en linguistique : les projets longs en milieu scolaire. Egidio Marsico, chargé de médiation scientifique au CNRS à la Maison des sciences de l'homme à Lyon Saint-Étienne[6] et auparavant ingénieur d’études au laboratoire DDL, détaille ces actions d’un nouveau genre : « Nous avons lancé dès 2020 un premier projet long au collège Victor-Schœlcher, à La Duchère, un quartier populaire de Lyon, au cours duquel, durant une année scolaire, les élèves s’interrogeaient et s’enregistraient les uns les autres, comme deux linguistes sur le terrain, de manière à mettre en lumière la diversité linguistique de l’établissement ». Depuis sa sortie, [Kosmopol:it] permet de mener un à deux projets longs dans les collèges rhodaniens. Les projets embarquent l’ensemble de la classe entre autres car le jeu sert de « déclencheur-parole au début du projet, en mettant les élèves dans une situation d’égalité face à des langues que personne ne connaît et en désinhibant de fait les élèves sur la production de leur propre langue ». C’est particulièrement le cas pour les élèves allophones récemment arrivés en France et qui ne maîtrisent donc pas la langue de Molière, pour qui le jeu « facilite l’apprentissage du français, de manière détournée, en mettant à profit leur diversité linguistique, leurs compétences en langues ».

Ces exemples, recueillis parmi tant d’autres projets, mettent à l’honneur l’innovation en sciences humaines et sociales, en pleine croissance ces dernières années (voir chiffres-clés ci-dessous). « S’il a été nécessaire », selon Marie Gaille, directrice de CNRS Sciences humaines & sociales, « d’accompagner dans les années 2010 les collègues engagés, parfois sans le savoir, dans des démarches d’innovation, ou peu au fait de leurs modalités, une communauté s’est constituée au fil du temps. Elle est confrontée, au sein du CNRS, aux formes d’innovation variées des autres sciences, ce qui constitue une grande opportunité pour concevoir de façon fine l’innovation en sciences humaines et sociales et aux interfaces. Innov’ SHS est la manifestation de cette inscription des sciences humaines et sociales dans l’innovation, un temps de réflexion et de projection dans l’avenir et de célébration d’initiatives originales et inventives ».

Le projet Papersorb, présenté au salon Innovatives SHS en 2022, permet une meilleure conservation des objets patrimoniaux. © Cyril FRESILLON / CRC / IMAP / CNRS Images
Le projet Papersorb, présenté au salon Innovatives SHS en 2022, permet une meilleure conservation des objets patrimoniaux. © Cyril FRESILLON / CRC / IMAP / CNRS Images

[1] Né en 2019 sous l’impulsion du Président de la République française, le Campus Cyber accueille sur le même site des entreprises (grands groupes, PME, startups), des administrations, des organismes de formation, des acteurs de la recherche et des associations. Il vise à promouvoir l’excellence française en cybersécurité en permettant le renforcement des synergies entre acteurs publics, privés et académiques grâce à leur rassemblement au sein d’un même lieu attractif, de dimension nationale, connecté aux développements en région et visible en Europe ainsi qu'à l’international. En 2023, le Campus Cyber est composé de plus de 170 membres.

[2] Le CNRS dispose d’un espace au sein du Hub recherche et innovation, un tiers opéré par l’Inria pour le compte de l’ensemble de la communauté académique. Le responsable de la coopération avec la filière Cybersécurité à la DRE y assure la représentation institutionnelle du CNRS vis-à-vis de l’ensemble des acteurs du Campus Cyber.

[3] CNRS / Université de Poitiers.

[4] Professeure à l’université de Montpellier, au sein du Laboratoire d'informatique de robotique et de microélectronique de Montpellier (CNRS / Université de Montpellier).

[5] CNRS / Université Lumière Lyon-2.

[6] CNRS / Université Jean-Monnet / Université Lumière Lyon-2 / Université Lyon-3 Jean-Moulin.

17 laboratoires communs créés
42 start-up créées, dont 30 toujours en activité
28 brevets prioritaires déposés
56 logiciels développés
56 licences déposées
Entre 20 et 30 thèses Cifre signées chaque année avec un partenaire non-académique
90 projets présentés au programme de prématuration du CNRS depuis sa mise en place fin 2014