Jean Zay se met au bridge

Institutionnel

Les 24 et 25 mars, une intelligence artificielle affronte l'humain dans une partie de bridge intensive. Une première mondiale à laquelle le supercalculateur Jean Zay, opéré par le CNRS, est pleinement associé.

Durant deux jours, huit champions du monde internationaux vont affronter la terrible Nook lors d’une partie de bridge, jeu de cartes apparu dans les années 1880 en Angleterre. Qui est Nook ? C’est l’intelligence artificielle que la start-up française NukkAI a mis sur pied après quatre ans de recherche. Aujourd’hui, dopée par la puissance du supercalculateur Jean Zay de GENCI1 , elle est censée être imbattable. Confirmation le 25 mars à l’annonce des résultats.

Des experts internationaux

« C’est une première mondiale car le bridge, contrairement aux échecs par exemple, est un jeu à informationincomplètes – il faut être capable de faire des déductions sur les actions ou non actions des adversaires -, et possède aussi un aspect collaboratif – on a deux adversaires mais également un partenaire », explique Jean Baptiste Fantun, CEO et co-fondateur de NukkAI. Pour toutes ces raisons, le Bridge résiste encore à l’intelligence artificielle.

Pour affronter ce véritable défi en intelligence artificielle, la start-up a mis sur pied une équipe de 20 scientifiques experts dans leur domaine. « Le défi du bridge nous a permis de rassembler des profils extrêmement variés par rapport à différents paradigmes de l’IA. Nous avons des spécialistes d’apprentissage automatique numérique et symbolique, de Computer Game ou encore de méthodes liées au web sémantique, … », souligne Véronique Ventos Head of Research et co-fondatrice de NukkAI. Et le projet a su être représentatif de l’attractivité française réunissant chercheurs chinois et australien venus s’installer dans le pays.

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Pour affronter ce véritable défi en intelligence artificielle, la start-up a mis sur pied une équipe de 20 scientifiques experts dans leur domaine. © NukkAI

« Nous n’aurions pas pu créer Nook sans le CNRS »

Pour développer leur intelligence artificielle, l’équipe de NukkAI a fait appel au CNRS et plus particulièrement au nouveau supercalculateur Jean Zay qui allie calcul haute performance (HPC) et intelligence artificielle. « L’équipe de NukkAI a commencé à accéder à l’infrastructure en novembre 2020 avec des ressources importantes de 80 kilos/heure. Ils avaient bien avancé sur les algorithmes d’IA, mais il leur manquait la puissance de calcul pour faire tourner ces algorithmes. C’est ce qu’on leur a fourni avec un accès au supercalculateur Jean Zay et 12 mois plus tard, ils nous ont dit qu’ils avaient réussi à atteindre leur objectif : l’IA avait le niveau requis pour battre les meilleurs joueurs internationaux », indique Pierre-François Lavallée, directeur de l’Institut du développement et des ressources en informatique scientifique (IDRIS) du CNRS, au sein duquel est installé Jean Zay.

Jean Zay, un supercalculateur pour la communauté de l’IA

L’infrastructure nationale - dont le développement s’inscrit dans la stratégie AI for Humanity voulue par le Président Emmanuel Macron pour faire de la France un pays leader en intelligence artificielle – propose ses ressources à la recherche académique, publique et privée. « La seule contrainte est de faire de la recherche ouverte, c’est-à-dire de donner accès aux publications des résultats scientifiques », ajoute le directeur de l’IDRIS. Aujourd’hui, Jean Zay compte 2 700 utilisateurs et 1 400 projets scientifiques dont 50 % sont consacrés à l’IA. « Avant, la communauté IA avait recours à d’autres ressources qui étaient pourtant très limitatives. Il y avait un vrai retard. Jean Zay a été un signal fort pour cette communauté qu’il était possible de se battre à armes égales avec les plus grandes équipes internationales. » Et aujourd’hui, le supercalculateur veut aller encore plus loin. « Le graal est d’incorporer l’IA à l’intérieur des algorithmes de simulation numérique. » Une vraie révolution qui permet de faire sauter de nombreux verrous et réaliser des simulations à bien plus grande échelle, faisant gagner jusqu’à plusieurs ordres de grandeur en termes de performance.

« Nous n’aurions pas pu créer Nook sans le CNRS », explique Véronique Ventos ajoutant que l’équipe a utilisé des approches en IA peu énergivores : le challenge consomme 200 000 fois moins que le programme AlphaGo2 , qui avait ralenti à l’époque les serveurs de Google.

Des perspectives allant de l’éducation à la défense

Et les implications de Nook sont bien plus larges que le jeu de bridge. Il existe un vrai potentiel de transfert vers la société. « Nook peut prendre des décisions sans posséder toutes les informations. Cela peut intéresser de nombreux domaines tels que l’éducation, la cybersécurité, la finance ou encore la médecine », souligne le CEO de NukkAI. Aujourd’hui, la start-up s’est déjà lancée dans le développement d’une application éducative testée dans plusieurs écoles. Des projets concernant le développement d’IA hybride dans le domaine de la défense sont également en développement. Une affaire à suivre.

  • 1GENCI (Grand Équipement National du Calcul Intensif - www.genci.fr) est le propriétaire du supercalculateur Jean Zay qui est hébergé et opéré par l’IDRIS-CNRS
  • 2AlphaGo est un programme informatique capable de jouer au jeu de go, développé par l'entreprise britannique DeepMind et racheté en 2014 par Google. En octobre 2015, il devient le premier programme à battre un joueur professionnel.