La France à la pointe sur les techniques analytiques

Institutionnel

Un spectromètre de nouvelle génération est inauguré le 4 janvier à Lille. Basé sur une technologie inédite, il ouvre la voie à des découvertes importantes en chimie, physique, sciences des matériaux et biologie.

« Très important pour nos recherches, cet outil est l’aboutissement de 10 ans de travail », s’enthousiasme Olivier Lafon, chercheur à l’Unité de catalyse et de chimie du solide1  et responsable scientifique du spectromètre RMN 1,2 GHz inauguré à Lille le 4 janvier.

Bâtiment de nuit, on voit l'inscription "RMN 1200" sur le côté du bâtiment
Le nouveau spectromètre est installé sur le campus de la cité scientifique à Villeneuve d’Ascq. © Alexandre CAFFIAUX – Université de Lille

La spectroscopie par résonance magnétique nucléaire (RMN) est une technique analytique utilisée dans de nombreuses recherches. Elle est apparentée à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), largement utilisée aujourd’hui en médecine. Elle permet par exemple d’explorer la structure de matériaux ou de protéines à l’échelle moléculaire.

Des enjeux scientifiques liés aux défis sociétaux

Grâce à un champ magnétique plus puissant que ses prédécesseurs, le nouveau spectromètre offrira une meilleure sensibilité et une meilleure résolution, pour des échantillons aussi bien liquides que solides. Il est l’un des trois premiers outils de ce type au monde qui permettra la caractérisation des matériaux inorganiques et hybrides. « Il ouvre de nouvelles voies, permettant d’accéder à des informations plus précises sur des systèmes plus sophistiqués », confirme Olivier Lafon : il permettra ainsi de sonder la composition chimique de matériaux variés ou de protéines complexes de manière plus fine, plus rapidement – utile pour les systèmes peu stables –, ou avec des échantillons plus petits ou moins concentrés.

Ses cibles seront par exemple des catalyseurs développés pour transformer le dioxyde de carbone en matériaux à haute valeur ajoutée, comme des plastiques biodégradables, et qui contiennent des éléments chimiques aujourd’hui difficilement observables par RMN. Il s’agira aussi de matériaux innovants utilisés dans les domaines de l’énergie (pour des batteries entièrement solides, des panneaux solaires, etc.), de la santé, de l’agroalimentaire ou de la cosmétique. Côté biomolécules, le spectromètre RMN 1,2 GHz permettra d’observer en détails des protéines impliquées dans le traitement de la maladie d’Alzheimer et de maladies infectieuses, ou encore de suivre plus précisément les interactions entre protéines (par exemple, virales), ARN et petites molécules, notamment à visée thérapeutique.

Une prouesse technologique

Pour arriver à un tel niveau de résolution et sensibilité, il fallait dépasser une limite technologique. En effet, les aimants supraconducteurs2  à basse température ne fonctionnent que pour des fréquences pour les protons inférieures ou égales à 1 GHz. Pour aller au-delà, il a fallu combiner ces premiers aimants avec des bobines supraconductrices à haute température, contenant des kilomètres de rubans en céramique. Ce nouveau type d’aimant RMN hybride produit ainsi un champ magnétique de 28 teslas – environ 600 000 fois plus intense que le champ magnétique terrestre en France – avec une fréquence de 1,2 GHz pour les protons. « L'une des caractéristiques les plus impressionnantes de ce nouvel aimant est l'homogénéité du champ magnétique produit, qui doit varier de moins d'un milliardième dans le volume de l'échantillon. La spectroscopie RMN nécessite en effet des champs stables et homogènes pour distinguer l’environnement des atomes. », précise le responsable scientifique, notant que ce spectromètre représente la première utilisation commerciale de matériaux supraconducteurs haute-température.

  • 1CNRS/Centrale Lille Institut/Université d’Artois/Université de Lille.
  • 2À résistance électrique nulle.

Sept spectromètres RMN pour l’Europe

Le spectromètre à 1,2 GHz de Lille sera le premier en France et le septième au monde, les six précédents ayant été installés en Europe depuis 2020. Il pourra accueillir des échantillons liquides comme solides, avec des applications dans de multiples domaines de la chimie, physique, science des matériaux et biologie. Suite à la réussite de ces opérations en Europe, plusieurs laboratoires américains et asiatiques cherchent maintenant à acquérir ce type d’appareillage mis en place par l’entreprise Bruker.

Carte des 7 spectromètres en Europe selon leurs spécialités

En Europe, seul l’industriel Bruker disposait des capacités pour créer ce spectromètre de nouvelle génération. Sept sites européens (voir encadré) se sont engagés au début des années 2010 pour en accueillir un, finançant chacun une partie des efforts de conception et tests nécessaires, ainsi que leur propre installation. « Le site de Lille nous a semblé le plus adéquat pour accueillir ce spectromètre, grâce à l’expertise pluridisciplinaire qui y est développée et au soutien financier que la Région proposait », explique Jean-Pierre Simorre, directeur adjoint scientifique « Grandes infrastructures de recherche » à l’Institut de chimie (INC) du CNRS, institut qui « porte le développement de ces grands outils exceptionnels au profit de l’ensemble des communautés concernées ». Le projet aura ainsi coûté environ 15 millions d’euros, dont 2,5 M€ pour le bâtiment qui accueille le spectromètre sur le campus de la cité scientifique à Villeneuve d’Ascq.

Le financement a fait appel à de nombreux partenaires : l’Europe3 , l’État, la région Hauts-de-France, le département du Nord, la métropole européenne de Lille, le CNRS et l’Université de Lille. « Ce projet d’ampleur et de longue haleine représentait une importante prise de risque, puisque nous financions un développement qui aurait pu ne jamais aboutir. En cela, le CNRS a joué son rôle et la délégation régionale Hauts-de-France est restée très impliquée pour convaincre les autres investisseurs de continuer à chaque point d’étape. », assure Jean-Pierre Simorre.

Grande salle vide en cours d'aménagement, on voit que des appareils sont installés au plafond, au sol et sur les murs
Accueillir le spectromètre RMN 1,2 GHz a nécessité la construction d'une halle spécialement aménagée. © Alexandre CAFFIAUX – Université de Lille

« Le bâtiment lui-même était un défi. », détaille Olivier Lafon. Pour assurer une performance optimale de l’outil, la température ne doit ainsi pas varier de plus de 0,5 °C sur 24 heures, l'hygrométrie doit être maîtrisée et les vibrations sont amorties par une dalle en béton sans acier – qui perturberait l’aimant – d’une épaisseur de 1,5 mètres. L’installation de l’aimant – qui mesure plus de quatre mètres de haut et deux mètres de large, et pèse presque 10 tonnes – a nécessité aussi plus de 4000 litres d’hélium liquide pour le refroidir. Un système de récupération de l’hélium, ressource non renouvelable, a d’ailleurs était mis en place pour limiter l’impact environnemental. Malgré la crise du Covid-19 et les difficultés d’approvisionnement en matières premières liées à la guerre en Ukraine, le bâtiment a pu être livré en novembre 2021 et l’installation de l’équipement entre mai et septembre a été un succès.

Une infrastructure nationale pour conseiller les utilisateurs

Mais l’accueil du spectromètre à Lille « ne pouvait se faire que dans le cadre d’une infrastructure nationale comme Infranalytics », précise Jean-Pierre Simorre. Infranalytics est née en 2020 de la fusion de trois infrastructures de recherche proposant des techniques analytiques de pointe en chimie. Elle compte aujourd’hui 23 équipements sur 13 sites en France et accueille environ 200 projets par an d’académiques français et étrangers, voire d’industriels4 . Avec ses domaines d’applications variés, le spectromètre à 1,2 GHz viendra remplacer un spectromètre moins puissant qui était également à Lille. « Il y a une forte attente de la communauté », témoigne Carine van Heijenoort, directrice de l’infrastructure : « c’est pourquoi ce spectromètre sera ouvert plus largement à la communauté nationale que les autres instruments d’Infranalytics, jusqu’à 70 % de son temps d’utilisation soit 200 jours par an ».

  • 3Via le Fonds européen de développement régional.
  • 4Environ 10 % du temps d’ouverture peut être attribué à des scientifiques étrangers et l’accès aux industriels est possible à condition que les résultats obtenus soient publiés.

Les projets d’Infranalytics

Au-delà de ce nouveau spectromètre RMN, l’infrastructure de recherche Infranalytics vise à développer les deux autres techniques qu’elle héberge : la spectrométrie de masse à transformée de Fourier (FT-ICR) et la résonance paramagnétique électronique (RPE), cousine de la RMN. Pour la première, un spectromètre montant à 18 Teslas – le plus haut champ en Europe – sera livré en 2024 à Rouen. Là aussi, il représente un saut technologique et permettra un gain important en sensibilité et résolution. Pour la seconde, un nouvel appareil devrait être bientôt commandé pour le Laboratoire avancé de spectroscopie pour les interactions, la réactivité et l'environnement5  à Lille, triplant la puissance du plus puissant spectromètre actuel.

  • 5CNRS/Université de Lille.

L’appel à projets – qui fonctionnera au fil de l’eau – devrait ouvrir en mars et sélectionner une trentaine de projets tous les ans. D’ici-là, l’ensemble des ingénieurs des différents sites d’Infranalytics pourront tester des échantillons qu’ils connaissent déjà sur ce nouvel instrument : « l’idée est de s’approprier la technique inédite utilisée par ce spectromètre et de le placer dans la gamme des instruments déjà disponibles pour les trois techniques analytiques que nous proposons, afin de conseiller au mieux les scientifiques qui font appel à notre infrastructure », traduit Carine van Heijenoort.

« Un spectromètre, c’est un aimant mais ce sont surtout des méthodes, des compétences, des expertises », confirme le directeur adjoint scientifique de l’INC. Les différentes communautés de recherche ont donc « un rôle à jouer dans le développement des sondes utilisées pour détecter le signal de réponse au sein du spectromètre, qui seront spécifiques à chaque application ». Et maintenant que les verrous technologiques ont sauté, des spectromètres encore plus puissants pourraient être envisagés : « On peut à présent imaginer lever de nouveaux verrous et monter à encore plus haut champ magnétique, une difficulté restant le coût et la disponibilité des matériaux », assure Carine Van Heijenoort. « La France, qui dispose d’une communauté de recherche forte et reconnue, se doit de se doter des appareils au plus haut niveau. », rappelle quant à lui Jean-Pierre Simorre.

Le CNRS et l’Université de Lille accueillent le Spectromètre RMN 1200 MHz

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