La nature, source d’innovations

Environnement

Et si, pour atténuer les effets des changements globaux, on considérait la nature comme la source de nouvelles innovations ? Un ouvrage publié cet automne chez CNRS Éditions brosse un panorama des solutions fondées sur la nature développées au CNRS, en lien avec ses partenaires académiques et industriels.

Effondrement de la biodiversité, dégradation de la qualité de l’eau et de l’air, conditions météorologiques extrêmes… Dans un contexte de crise climatique, le monde naturel fait face à de multiples menaces systémiques. Que peuvent faire la recherche et l’innovation pour y répondre ? Allant au-delà des brevets et des start-ups, l’ouvrage Explorer l’environnement. Des solutions pour innover (CNRS Éditions), piloté par CNRS Écologie & Environnement, l’un des dix instituts du CNRS, permet au grand public de découvrir des projets menés au sein de l’organisme et en partenariat avec de nombreux acteurs : entreprises, collectivités territoriales, agriculteurs, citoyens, etc. 

Plusieurs de ces projets se rangent parmi les solutions fondées sur la Nature (SFN), une approche à laquelle se consacre le programme et équipement prioritaire de recherche exploratoire Solu-Biod. Directrice de recherche au CNRS et co-directrice du PEPR pour le CNRS, Martine Hossaert ne tarit pas d’éloges sur les SFN : « La nature a adopté des solutions qui devraient nous inspirer pour répondre aux grands problèmes sociétaux actuels tout en restaurant la biodiversité »À ses yeux, la parution de l’ouvrage tombe à point nommé, car « il montre bien que l’innovation est à présent pluridisciplinaire, faite de co-constructions et prenant en compte les réactions citoyennes aux solutions proposées ». 

Tour d’horizon de quatre innovations fondées sur la nature présentées dans ce livre.

 

Respirez, vous êtes à l’intérieur

Nous passons 90 % de nos journées à l’intérieur et nous ne sommes pas toujours conscients que l’air peut y être plus pollué qu’à l’extérieur, principalement à cause des matériaux de construction. Le secteur du bâtiment y travaille en amont, mais il n’est pas aisé de prévoir les interactions entre des milliers de composants chimiques qui se feront lors de l’occupation du bâtiment. 

« Au début du projet de recherche MERMAID, soutenu par l’Ademe, il n’existait pas de modèle de la qualité de l’air intérieur », rappelle Nadège Blond, directrice de recherche au CNRS au sein du laboratoire Image, Ville, Environnement[1]. « Nous souhaitions dans ce projet simplifier un modèle chimique très complexe qui était jusqu’alors utilisé pour étudier la chimie atmosphérique à l’échelle de la terre entière ». Après avoir nettoyé le modèle, il s’est avéré rapidement capable de fournir des simulations sur la qualité de l’air intérieur d’un bâtiment. Il ne suffisait plus que d’ajouter quelques processus physico-chimiques pour détailler les interactions des polluants avec les surfaces, l’extérieur, etc. Le modèle INCA – INDOOR était né. 

En 2017, il a été transféré à la start-up Octopus Lab, créée par le post-doctorant du projet, pour être intégré à sa plateforme d’analyse du bâti INDALO. Une fois ce transfert réalisé, le laboratoire a continué à être impliqué dans des recherches avec la start-up. « Octopus Lab souhaite à présent coupler le logiciel avec un modèle énergétique. Nous leur avons proposé de développer encore l’outil pour prendre en compte l’espace où se situe le bâtiment, car l’air ne circule pas de la même façon autour d’une maison rurale isolée que d’un immeuble en ville : l’air est freiné par les bâtiments environnants, il est aussi souvent plus chaud et moins humide en ville qu’aux alentours », conclut la chercheuse. Une coopération à suivre, sur un sujet majeur de santé publique. 

INDALO

Récifs artificiels, bénéfices réels ? 

Les récifs artificiels ne sont pas une nouvelle technologie : les pêcheurs les utilisent depuis plus de 2000 ans pour imiter les habitats marins et attirer ainsi poissons et autres espèces d’intérêt. Conçus de manière empirique en utilisant des matériaux disponibles et peu coûteux, ces objets ont progressivement intégré des matériaux recyclés, souvent polluants et de formes simples comme des pneus. Depuis une dizaine d’années, les technologies d’impression 3D permettent de concevoir des formes plus complexes pour des récifs artificiels, imitant ainsi davantage les habitats naturels. De nouvelles formulations de substrat, plus respectueuses de l’environnement, sont également produites.

C’est à l’analyse de leur design et de leur substrat qu’Élisabeth Riera, docteure en sciences de l’environnement au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)[2] et à l’Université Côte d’Azur, a dédié sa thèse et deux post-doctorats. Elle propose une approche intégrée pour améliorer la conception des récifs artificiels. En se basant sur des modèles 3D des récifs, il est possible d’évaluer leur complexité selon des critères géométriques et écologiques. L’identification de points de référence basés sur ces critères permet de guider les futures conceptions et de maximiser leur capacité à attirer et soutenir une biodiversité marine diversifiée. De plus, l’analyse préalable des matériaux avant l’impression permet d’évaluer leur biocompatibilité en observant le développement des premières espèces colonisatrices, le biofilm. 

Suite à ses expériences académiques, Elisabeth Riera a créé le bureau de conseil Octopus Garden, au sein duquel elle collabore avec les acteurs qui souhaiteraient immerger des structures artificielles. Convaincue de l’intérêt de l’usage des récifs dans des fonds marins en perte de biodiversité, la chercheuse est cependant très vigilante et s’attache à bien comprendre le contexte de chaque client afin d’éviter de promouvoir toute démarche relevant du greenwashing. Son activité s’inscrit dans l’écologie de la réconciliation, qui vise à recréer un lien harmonieux entre l’humain et la nature. Elle cherche ainsi à favoriser la biodiversité à travers des solutions inspirées de la nature elle-même. 

Crédit : Stéphane Jamme / AMPN

L’ingénierie pédologique pour réhabiliter les sols urbains 

Sous un climat tempéré, il ne faut pas moins d’un siècle pour que se crée un centimètre de sol. La pédologie est justement la science qui étudie la formation et l’évolution des sols et elle est mobilisée afin de recycler les déchets issus de grands travaux d’infrastructure.

Thomas Lerch, maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil au sein de l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris[3], travaille sur ce sujet depuis une dizaine d’années. « En 2012, le département du Val-de-Marne nous a demandé si l’on pouvait créer des sols pour éviter d’utiliser des ressources naturelles : en effet, pour les aménagements d’espaces verts en ville, on fait souvent venir des sols d’autres territoires, tandis que les déchets générés par les travaux de construction sont stockés dans des champs, ce qui participe à la détérioration du milieu récepteur. L’idée était de recycler ces déchets minéraux pour construire des sols fonctionnels », explique-t-il.

Il co-encadre alors une thèse qui se concentre sur des mélanges de matériaux excavés (de la roche calcaire) et de compost, auxquels sont ajoutés des vers de terre, reconnus comme des espèces ingénieures[4]. Les expériences en laboratoire montrent des résultats positifs en ce qui concerne la croissance de plantes et les propriétés physiques des sols. Depuis, deux autres thèses portant sur des expériences in situ en Seine-Saint-Denis ont confirmé que ces sols construits permettaient non seulement le développement de prairies ou la croissance des arbres, mais constituaient aussi un habitat attractif pour la faune. Enfin, les résultats obtenus suite à un projet de recherche participative dans un contexte d’agriculture sur des terrains pollués, impliquant des associations et des socio-anthropologues, ont montré que des sols construits permettaient de diminuer les risques de contaminations des légumes. « Les sols construits par cet assemblage de déchets minéraux et organiques peuvent fournir de nombreux services écosystémiques », conclut le chercheur. « Ils peuvent être de formidables puits de carbone, éviter les problèmes d’inondations ou encore améliorer la biodiversité dans les villes». 

Le laboratoire continue actuellement ses recherches en ingénierie pédologique, notamment à travers des collaborations avec des entreprises, comme Tersen, spécialisée dans les travaux publics et les déchets de chantier, des collectivités locales et des associations afin de développer une véritable économie circulaire des déchets en milieu urbain et ainsi préserver les sols naturels.

 

Des abeilles, du cassis et des hommes

Ces dernières années, de faibles rendements menacent la production du cassis « Noir de Bourgogne », et par ricochet toute la filière associée – dont les Crèmes de cassis de Bourgogne et Dijon. Marie-Charlotte Anstett, chargée de recherche en écologie au sein du laboratoire Biogéoscience[5], a travaillé sur ce sujet à la demande les acteurs locaux. Après avoir mesuré sur le terrain une chute de 95 % des pollinisateurs depuis les années 1980, l’équipe (composée également de Maxime Duchet-Annez) a réalisé une expérience en ajoutant des bourdons retenus captifs sous des filets pour améliorer la pollinisation. Succès immédiat : les rendements ont triplé. 

Toutefois, ajouter des filets au niveau d’un verger entier ne s’avérant pas économiquement viable pour les agriculteurs, une approche en deux temps a alors été mise en place, en collaboration avec une dizaine d’agriculteurs et le semencier Nungesser. Tout d’abord, des hôtels à osmies (une espèce d’abeille sauvage) ont été installés chez les agriculteurs, qui ont été formés à s’en occuper et à les élever à la ferme. Cette solution a augmenté le rendement de 20 %, rentabilisant l’achat du matériel en moins de deux ans. Puis, pour restaurer la présence des pollinisateurs sur le moyen terme, des parterres de fleurs sauvages ont été semés dans les vergers. Trois ans après leur introduction, 45 espèces ont colonisé les parcelles. « D’ici une dizaine d’années, nous espérons que la présence accrue des pollinisateurs rendra un service de pollinisation naturel et gratuit, dans un agroécosystème fonctionnel », précise Marie-Charlotte Anstett. La chargée de recherche précise la nature de cette collaboration associant agriculteurs, industriels et scientifiques : « Le transfert est réalisé au fil de l’eau, l’innovation étant co-construite et ajustée avec les agriculteurs en utilisant une gestion de projet de type agile. Par exemple, pour réduire les coûts et éviter l’achat annuel de cocons d’osmies, nous aidons la coopérative Socofruit à mettre en place des soins aux cocons à la ferme pour que les agriculteurs puissent les utiliser d’année en année ».

Et la collaboration continue : la chercheuse travaille actuellement sur des distributeurs de phéromones permettant de contrôler les populations de phalène brumeuse, un papillon dont les chenilles mangent les feuilles de cassis. Une menace à laquelle les agriculteurs font pour l’instant face avec des insecticides… Une démarche que Marie-Charlotte Anstett voit déjà évoluer : « Au début du projet, les agriculteurs ne me prenaient pas au sérieux avec mes petites fleurs. Puis, ils ont observé que l’approche par les solutions issues de la nature fonctionnait et ils me demandent à présent comment répondre à d’autres difficultés sans utiliser d’insecticides ».

Crédits : R. Perraud et M. Mignot

À lire

Explorer l’environnement. Des solutions pour innover

Éric Fouilland & Françoise Gourmelon (dir.), CNRS Éditions, 336 p., 26 €

[1] CNRS / Université de Strasbourg.

[2] Au sein du laboratoire Biologie des organismes et écosystèmes aquatiques (CNRS / MNHN / IRD / Sorbonne Université).

[3] CNRS / Inrae / IRD / Sorbonne Université / Université Paris-Est Créteil-Val-de-Marne.

[4] Dans le domaine de l'écologie et plus précisément des interactions biologiques et interactions durables, on parle d’« espèce ingénieure » pour décrire les espèces qui par leur seule présence et activité modifient significativement à fortement leur environnement.

[5] CNRS / Université de Bourgogne.