Dossier : L’océan, un monde à découvrir
Découvrez les dernières recherches menées au CNRS pour un océan durable.
Couvrant 70 % de la planète, la machine océan est aujourd'hui en péril. Pour l'étudier et venir à sa rescousse, la recherche mondiale se mobilise. Avec plus d’un millier de scientifiques et une cinquantaine de laboratoires impliqués, le CNRS est en première ligne. Tour d'horizon des actions en cours et des grands défis à relever, du littoral aux grands fonds marins.
Si jusqu’à présent pouvait régner la vision d’un océan indestructible, sa transformation actuelle visible et rapide en fait désormais un sujet de préoccupation majeur. La fonte des glaces continentales et des calottes polaires, la survenue d’événements extrêmes, l’émergence d’un continent de plastique ou encore la croissance exponentielle des usages humains en mer sont autant de marqueurs qui illustrent ce traumatisme et inquiètent. « L'océan a besoin de science, de toutes les sciences. Il est par essence un objet interdisciplinaire et un enjeu majeur pour la durabilité de notre planète. Le CNRS encourage toutes les recherches sur l'océan, pour assurer ainsi sa pérennité », affirme Antoine Petit, président-directeur général du CNRS.
Le CNRS à la pointe des recherches sur l’océan
Face à ce constat établi, le CNRS, fort d’une interdisciplinarité exceptionnelle en sciences océaniques, intensifie sa mobilisation avec aujourd’hui plus de 1000 chercheuses et chercheurs dans une cinquantaine de laboratoires. « C'est tout simplement l'un des tout premiers organismes de recherche sur les mers et l'océan au monde. Une vraie richesse. Peu de pays ont autant de chercheurs travaillant sur le sujet », souligne Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS. Car le CNRS a les moyens d’étudier l’océan dans toutes ses dimensions, de la molécule à la mécanique globale, des grands fonds à l’atmosphère, du littoral à la haute mer, jusqu’aux liens ténus avec les professionnels, les usagers, l’économie et les politiques.
Parmi les grands enjeux : sa contribution aux phénomènes climatiques, l’acquisition de nouvelles connaissances sur son fonctionnement, la protection des écosystèmes et de la biodiversité, l’exploitation durable des milieux marins ainsi qu’une gouvernance adaptée.
Découvrez les dernières recherches menées au CNRS pour un océan durable.
Depuis 2018, l’organisme dispose d’une « Task force océan » regroupant ses dix instituts. Celle-ci diffuse les informations sur les programmes et les financements de recherche et a pour vocation de renforcer l’interface entre scientifiques et décideurs ainsi que contribuer à créer des programmes de recherche au carrefour des disciplines.
« La Task force océan intervient sur différentes questions scientifiques et stratégiques où une vision partagée du CNRS et une coordination entre les disciplines sont nécessaires. Il peut s'agir de construire l'observation et la modélisation intégrées de demain, de parler d'une seule voix dans les arènes nationales ou internationales d'interface science-politique, ou contribuer à la programmation scientifique », explique Joachim Claudet, conseiller océan du CNRS.
Le copilotage avec l’Ifremer du Programme prioritaire de recherche (PPR)1 Océan et Climat depuis 2021, ou encore la participation de l’organisme aux grandes instances internationales telles que la COP27, sont des exemples de décisions prises par cette Task force. « La spécificité du CNRS - et sa force - vient de son interdisciplinarité, que nous voulons coordonner au mieux au sein de la Task force », rapporte Stéphanie Vermeersch, directrice adjointe scientifique à l’Institut des sciences humaines et sociales (INSHS) du CNRS et représentante de l’institut à la Task force océan. Aujourd’hui une centaine de chercheuses et chercheurs en SHS travaillent sur l’océan. « Ce sont des géographes ou des économistes sur l'interface terre-mer, des juristes ou des politistes sur les statuts des grands fonds marins, des archéologues qui fouillent des épaves dans les profondeurs, des anthropologues ou des linguistes attachés aux populations et langues des territoires insulaires menacés par la montée des eaux... Nous sommes particulièrement présents dans le Groupement de recherche Omer sur les mers et l'océan », ajoute-t-elle.
Omer : la multidisciplinarité comme paradigme
Lancé en 2021 sous l’impulsion de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (Miti) du CNRS pour une durée de cinq ans, la particularité du GDR Omer – initié par le CNRS mais qui fédère des scientifiques de tous bords – est son envergure. « Nous avons fait de la multidisciplinarité un paradigme et abordé l'océan aussi bien par la philosophie, le climat, la sociologie, le droit maritime, la biodiversité ou encore le traitement du signal de capteurs nouveaux et bien plus encore », confie Fabrizio d'Ortenzio, directeur du GDR Omer. Il regroupe aujourd’hui 1 300 profils, allant du scientifique à l’industriel, du journaliste au personnel d’ONG. À ce jour, douze groupes de travail sont nés, et d’autres peuvent encore éclore. Ces groupes, de nature complètement multidisciplinaire, sont axés sur des thématiques d’intérêt majeur pour la communauté française des sciences de la mer. « Chaque groupe de travail intègre des scientifiques venant de toutes les disciplines, les plus fondamentales (chimie, mathématiques...), à celles qui s'intéressent aux interactions de l'homme avec son environnement (philosophie, géographie, sociologie...), en passant par les sciences environnementales (géologie, océanographie...) et de la vie (écologie) », rapporte Fabrizio d’Ortenzio.
Trois axes transversaux, toujours en cours de montage, devront implémenter les recherches. Ils portent sur la participation citoyenne, l’art et la science, et le soutien aux pouvoirs publics. « Quelles sont les différences entre les recherches actuelles en mer et les priorités de la société? Comment demander aux citoyens de nous rejoindre dans cet effort ? » interroge le directeur.
La France, deuxième zone exclusive marine au monde
Si le CNRS répond présent pour relever les défis de l’océan, il s’implique également en accord avec la stratégie de l’État mise en place au travers du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR), du ministère des Outre-mer, ou du récent Secrétariat général de la mer (organisme interministériel placé sous l'autorité du Premier ministre, chargé de coordonner les actions de l’État en mer). Car la France a des forces de recherche puissantes sur l’océan. Avec ses 11 millions de km2 (dont 97 % situés en outre-mer, territoires pour lesquels le CNRS a finalisé une feuille de route), le pays est présent dans la plupart des mers du globe. La France est le deuxième domaine en termes de zone économique exclusive marine, juste derrière les États-Unis.
Sous la houlette du MESR et du Secrétariat général pour l’investissement, le PPR Océan et Climat s’étend sur une période de six ans avec un budget de 40 millions d’euros. Trois zones présentant des enjeux spécifiques ont été ciblées : les territoires d’outre-mer, l’océan profond et les océans polaires. Une attention particulière est aussi portée aux espaces littoraux et côtiers. Le PPR est structuré autour de grandes priorités telles que la prévision de la réponse de l’océan au changement climatique et les scénarios d’adaptation, l’exploitation durable de l’océan et la préservation de sa biodiversité et de ses services écosystémiques, ou encore la réduction de la pollution océanique. « Trois objectifs qui abordent de front les dangers auxquels fait face l'océan pour apporter des réponses concrètes », précise Catherine Jeandel, chercheuse CNRS en géochimie marine et co-pilote du PPR Océan et climat, dont le premier appel à projets a dévoilé ses six premiers lauréats.
Les atouts de la recherche française
Pour maintenir la France au plus haut niveau de la compétition mondiale, le gouvernement a lancé en 2021 la création de Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), dont six (sur les trente-sept que le CNRS pilote ou copilote) sont en lien avec l’étude de l’océan. Par exemple le PEPR Atlasea, avec le CEA, qui porte sur le génome de 4 500 espèces de la zone économique exclusive française, ou encore Solu-BioD, avec Inrae, qui se penche sur le développement de solutions basées sur la nature en réponse à la crise environnementale, et dont l’un des projets concerne la restauration et la gestion de la biodiversité et des services écosystémiques côtiers. « Ces programmes vont nous permettre de développer des recherches ciblées thématiquement et géographiquement avec les meilleurs partenaires sur l'océan, mais également de développer des outils et infrastructures au niveau national », commente Joachim Claudet, qui copilote le PEPR Bridges avec l’Ifremer et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) sur la gestion durable des ressources marines dans le sud-ouest de l’océan Indien, en vue de réduire les risques de confit dans la région.
Le pays dispose également d’un outil, jalousé par beaucoup à l’international : la Flotte océanographique française (FOF), qui compte parmi les trois plus grandes flottes européennes aux côtés de l’Allemagne et de l’Angleterre, et peut naviguer dans tous les océans (la seule avec l’Allemagne). Opérée par l’Ifremer, elle inclut navires de haute mer, navires côtiers, navires de stations (opérés par le CNRS) et engins sous-marins ou de prélèvement. Chaque année, la flotte embarque plus de 1 000 scientifiques, ingénieurs et techniciens et réalise 40 missions sur les navires hauturiers, 140 missions sur les navires côtiers et 300 sur les navires de stations.
« La flotte océanographique française est l'un des meilleurs outils scientifiques que l'on peut avoir en France. Il faut à tout prix la préserver et la consolider. Des alternatives existent - souvent provenant d'initiatives privées - qui seront critiques dans le futur pour élargir le spectre d'intervention des équipes françaises. Mais, cela toujours en complément, et pas en alternative, de la flotte. car si nos recherches océanographiques ont un impact fort de par le monde c'est aussi grâce à elle », se réjouit Fabrizio d’Ortenzio.
Porter les connaissances vers le monde politique
Mais la survie de l’océan réside aussi dans nos capacités à relier la science et le milieu politique. C’est pourquoi le CNRS devient un partenaire de plus en plus impliqué au sein des grandes instances de décision mondiales ; il est déjà l’un des plus gros contributeurs des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). « La crise du Covid-19 a rappelé le besoin essentiel de porter les connaissances vers le monde politique. Il est nécessaire de redonner à la science le rôle qu'elle doit avoir dans la cité », analyse Antoine Petit. Et quoi de mieux que de profiter du paysage favorable dont bénéficie l’océan ?
La Décennie pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030), initiée par les Nations unies, s’attaque notamment à l’objectif de développement durable 14 (ODD14) de l’Agenda 2030 sur la conservation de la vie aquatique. Un effort mondial qui implique scientifiques, décideurs politiques, ONG et autres parties prenantes. « La Task force océan réalise actuellement un document stratégique provenant des dix instituts du CNRS sur la thématique de la durabilité, qui pourrait inspirer des pistes de réponses à la Décennie des Nations unies dont l'objectif est notamment de proposer des solutions aux enjeux auxquels fait face l'océan », confie Joachim Claudet.
La Décennie a été l’élément déclencheur de nombreuses démarches, notamment la mission Santé des océans, des mers et des eaux côtières et continentales (Starfish), une des cinq missions du nouveau programme Horizon Europe (2021-2027). Son objectif ? Régénérer les écosystèmes marins et d'eau douce européens d'ici à 2030. « Certains défis identifiés dans le PPR Océan sont des défis que l'on retrouve au sein de la mission Starfish 2030 ou de la décennie des Nations unies pour les sciences océaniques, et c'est normal : les défis scientifiques sont partagés par toute la communauté », précise Catherine Jeandel.
Mettre l’océan à la table des négociations
Le CNRS a également répondu présent lors de la COP27, en Égypte, au travers d’un pavillon dédié à l’océan, imaginé avec des partenaires scientifiques internationaux, ou, en mars dernier, lors de l’Accord sur le traité international pour la protection de la haute mer (BBNJ), également initié par l’ONU. « Nous avons été fortement impliqués dans les négociations et beaucoup de positions poussées par la France ont été retenues, notamment en termes de définition des aires marines protégées », indique Joachim Claudet.
C’est également au sein d’un futur Panel international pour la durabilité de l’océan (Ipos), qui vise à intégrer les connaissances scientifiques pour modéliser le comportement de l’évolution de l’océan et esquisser les actions à mener pour un océan durable, que le CNRS s’engage pour la science-décision aux côtés de nombreux partenaires scientifiques internationaux tels que la Woods Hole Oceanographic Institution aux États-Unis ou encore Geomar en Allemagne. « Il est urgent aujourd'hui d'organiser la communauté scientifique mondiale autour de la défense d'un océan durable. Le CNRS a pris ses responsabilités en travaillant à établir, ensemble, les principes de fonctionnement et le rôle de la coalition scientifique au sein de l'Ipos. Maintenant, nous allons participer activement à la coalition afin qu'elle soit à même de porter les recommandations à la conférence des Nations unies sur l'océan en juin 2025 à Nice », confie Alain Schuhl. L’Union européenne a quant à elle déjà intégré l’Ipos dans sa stratégie Océan. « L'Ipos est le point de départ d'une grande aventure pour l'océan et le rôle de la connaissance dans son devenir, et en particulier dans la stratégie des Nations unies pour le développement durable et pour la Décennie des Nations unies pour les sciences océanographiques au service du développement durable », souligne Françoise Gaill, conseillère scientifique au CNRS et vice-présidente de la Plateforme Océan & Climat, à l’initiative de cette proposition.
Qui de mieux pour porter ce projet et les autres que le CNRS, aujourd’hui devenu acteur majeur des océans... « Nous connaissons l'importance du rôle de l'océan pour les enjeux climatiques et souhaitons qu'il soit à la table des négociations. Aujourd'hui, les scientifiques ont atteint un niveau de connaissance précis et peuvent proposer des pistes d'actions concrètes vers des solutions qui existent en termes d'atténuation et d'adaptation basées sur l'océan », conclut Antoine Petit.
Après deux premières fondations sous égide sur la thématique de l’océan déjà actives - la Fondation 1 Ocean et Ocean Sunstainability Fuundation, ce sont deux nouvelles fondations – la Fondation Science4Reefs et la Fondation Albédo - qui sont en construction au sein de la Fondation du CNRS.
Pour en savoir plus : https://fondation-cnrs.org/