Le CNRS au cœur de la transformation écologique de l’État

Institutionnel

Depuis un an, le CNRS contribue à la formation à la transition écologique des agents de l’État en organisant des conférences-débats à destination des cadres supérieurs de la fonction publique d’État. Un format qui tisse une trame entre recherche et politiques publiques.

« Les 250 conférences-débats organisées par le CNRS sur les enjeux du climat, de la biodiversité et des ressources sur tout le territoire ont rassemblé plus de 13 000 participants depuis le début de l’année 2024 », se réjouit Claire Gouny, coordinatrice nationale des étapes Conférences-débats et visites de terrain du programme de formation à la transition écologique des cadres supérieurs de l’État. Lancée en octobre 2022 par le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, sous l’impulsion de la Première ministre, cette formation entend sensibiliser aux trois crises écologiques majeures l’ensemble des 2,5 millions d’agents publics, en commençant par les 220 directeurs et directrices d’administration centrale puis les 25 000 hauts fonctionnaires et cadres supérieurs de la fonction publique d’État. Un programme qui fait de la France une pionnière à l’échelle mondiale, car, comme le souligne Claire Gouny, elle « est le premier pays à former l’ensemble de ses agents publics pour inscrire la transition écologique au cœur des politiques publiques ».  

Principal contributeur du GIEC, seul organisme de recherche national totalement pluridisciplinaire et partenaire de toutes les universités, les écoles et les autres organismes français, le CNRS a été identifié comme interlocuteur privilégié par l’État. À ce titre, il coordonne les étapes conférences-débats et visites de terrain, deux des cinq composantes de la formation pilotée par la Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État.

Au-delà de la simple obligation de formation, un premier bilan révèle une nouvelle passerelle entre la science et la décision publique en cours de création.

Faire comprendre pour agir

« Plus de 300 chercheurs et chercheuses, du CNRS et d’autres partenaires académiques (universités, organismes nationaux de recherche…) sont déjà intervenus dans toutes les régions de France hexagonale et d’outre-mer », témoigne la coordinatrice nationale, à la tête d’une équipe de dix chargés de mission qui œuvrent au déploiement de la formation. Les scientifiques impliqués sont convaincus de l’utilité de leur engagement, qui s'inscrit parfaitement dans les missions de l’enseignement supérieur et de la recherche, à l’instar de Marie-Charlotte Anstett, chargée de recherches en écologie au CNRS au sein du laboratoire Biogéosciences[1], une habituée de la vulgarisation scientifique. L'idée de toucher directement les décideurs publics l'a convaincue, « dans l’objectif d’avoir un impact plus important sur leurs décisions en faveur de la transition écologique », précise-t-elle. « L’expertise auprès des services de l’État et l’appui aux politiques publiques font aussi partie de mes missions », insiste Éric Gaume, directeur du département Géotechnique environnement risques naturels et sciences de la Terre à l'Université Gustave Eiffel, également ingénieur des ponts, des eaux et des forêts. Johanne Trotin, doctorante à l’École Polytechnique au sein du Centre de recherche en économie et statistique[2], partage aussi cet élan : « C'est une opportunité unique de contribuer à un débat public important en partageant mes connaissances ».

Du côté des agents publics, la mobilisation est également importante. « Nous avons réussi à toucher les hauts fonctionnaires, y compris en dehors du périmètre habituel de l'administration territoriale de l'État, avec la participation des secteurs de la justice, de l’éducation nationale ou des finances », se félicite Florence Bernard, secrétaire générale adjointe pour les affaires régionales à la Préfecture de Bourgogne-Franche-Comté.

Une conférence-débat sur la biodiversité © MiPN _ CNRS
Gabrielle Bouleau et Lucie Bittner animent une conférence-débat sur le climat © MiPN _ CNRS

La mission des chercheurs est claire : rendre accessibles les phénomènes complexes liés aux trois crises écologiques (climat, ressources, biodiversité), en partageant des informations validées par la science et adaptées à leur public. « Le niveau de compétences générales, technique et scientifique s’érode globalement. L’initiative est d’autant la bienvenue qu’elle sert l’action publique », observe Éric Gaume. Adapter son discours aux différents publics semble ici essentiel. « Pour les hauts fonctionnaires des services déconcentrés de la région Bourgogne-Franche-Comté, j'ai adopté un ton scientifique et plus diplomate, car ce sont des personnes de pouvoir, parfois difficiles à convaincre », admet Marie-Charlotte Anstett. « Face aux fonctionnaires de la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, mon intervention était plus ciblée, elle a concerné les limites des pesticides et leur impact économique ». Éric Gaume, quant à lui, n'a pas hésité à provoquer un débat sur les mégabassines en Pays de la Loire, une approche qui a trouvé un écho favorable auprès de certains agents : « Je me suis même permis d’être un peu provocateur sur le sujet, en particulier avec les agents rattachés au ministère de l'Environnement, très concernés par ces sujets ».

Comme 84 % des personnes interrogées lors de l’enquête de satisfaction[3], le lieutenant-colonel Magali Engel, de la Gendarmerie nationale, salue l'accessibilité des échanges : « Les chercheurs ont réussi à capter l’auditoire et à rendre les échanges fluides ». « Les intervenants étaient bien choisis pour avoir bien calibré le degré de vulgarisation » note pour sa part Manuel Vazquez, contrôleur budgétaire régional en Pays de la Loire. « J'ai particulièrement apprécié le passage du général au particulier, avec des exemples appliqués à la France et même à l'échelle locale, faisant écho à des problématiques professionnelles », ajoute-t-il.

Faciliter la décision publique, au plus près des enjeux locaux 

Dans l’ensemble, les agents publics ont apprécié l’approche scientifique dans la transmission des données, qui leur a permis de confirmer des diagnostics et faits scientifiques et de découvrir de nouvelles perspectives. 70 % d’entre eux estiment que les conférences leur ont apporté une meilleure compréhension des enjeux. Pour Magali Engel, la formation a été l'occasion de remettre en question certaines idées reçues, sur le thème de la gestion de l'eau, par exemple. « L'eau est un flux. Elle peut couler, l'important étant que notre propre utilisation ne prive personne de son utilisation en aval », se rappelle-t-elle. Manuel Vazquez se souvient de réponses « parfois décapantes » aux questions posées par les participants, lesquelles questionnent certaines politiques publiques.

Côté scientifiques, ces derniers espèrent que leurs interventions permettront aux fonctionnaires de prendre des décisions éclairées en faveur de la transition écologique, à l’image de Marie-Charlotte Anstett, qui « espère qu’ils prendront conscience de l'importance de la mise en œuvre de la transition écologique entraînant ainsi un mouvement de toute la société ». 

Une conférence-débat à Marseille © MiPN _ CNRS
Une conférence-débat à Marseille © MiPN _ CNRS

Malgré l’engouement certain pour cette formation, il reste néanmoins du chemin à parcourir de la conférence au terrain : un peu plus de la moitié des participants avoue ne pas réussir à concrétiser aussitôt dans leur métier les enseignements scientifiques, comme Magali Engel, qui reconnaît qu’« après, effectivement, ce qu'on fait de la formation, c'est autre chose ». C’est pourquoi il faut s’efforcer de bâtir des passerelles entre la science et l’État, comme l’affirme Florence Bernard : « Nous devons continuer à associer le monde de la recherche aux décideurs publics ».. Pour ce faire, Rémi Proust, secrétaire général de la COP Planification Écologique à la préfecture de la région Bourgogne-Franche-Comté, plaide pour être au plus près des décisions locales : « La majorité des participants connaît déjà les stratégies mises en œuvre en faveur de la transition écologique par l’État, déclare ce dernier. Ces formations permettent de s’apercevoir qu'elles reposent sur des connaissances scientifiques et que ces connaissances progressent, ce qui pourrait nécessiter des évolutions ». 

Cette convergence est d’autant plus importante que nombre de dynamiques existaient déjà à l’échelle de certains territoires ; en ce sens, cette formation soutenue par l’État vient consolider des relations, parfois établies de longue date, entre acteurs publics et scientifiques. C’est le cas en Bourgogne-Franche-Comté, soutient Florence Bernard : « L'objectif de la formation était d’abord de sensibiliser aux enjeux plutôt que de conclure sur des leviers d'action concrets. Ces derniers sont actuellement discutés dans le cadre des réunions de planification de la transition écologique à l’échelle régionale, pilotée par le préfet de Bourgogne-Franche-Comté en étroite relation avec le conseil régional ».

Créer une culture commune autour des enjeux climatiques

Les conférences ont indéniablement favorisé l'émergence d'une culture commune autour des enjeux climatiques au sein de l'administration publique : 44 % des fonctionnaires souhaitent faire appel à des scientifiques à l’avenir pour les accompagner dans leur mission. « La formation m’a permis d’identifier des compétences scientifiques présentes en région sur lesquelles on pourrait capitaliser pour la COP », déclare Rémi Proust. En parallèle, Manuel Vazquez propose de sensibiliser les chercheurs à la culture administrative. « La rencontre entre le monde de la recherche et celui de la gendarmerie permet de démystifier les idées reçues d'un côté et de l'autre », observe pour sa part Magali Engel. « Ce serait dommage de se priver de cette possibilité de découvrir, de grandir », affirme-t-elle.

Sandra Lavorel, médaille d'or du CNRS en 2023, anime une conférence-débat sur la biodiversité. © MiPN - CNRS
Sandra Lavorel, médaille d'or du CNRS en 2023, anime une conférence-débat sur la biodiversité. © MiPN - CNRS

 

[1] CNRS / Université de Bourgogne.

[2] CNRS / École Polytechnique / Groupe des écoles nationales d'économie et statistique.

[3] Enquête de satisfaction menée par le CNRS auprès de 1 200 agents de l’État ayant suivi les conférences-débats entre janvier et juin 2024.

68% des agents publics se déclarent « tout à fait satisfaits » ou « satisfaits » de leur participation aux conférences-débats
84 % sont « tout à fait d’accord » ou « d’accord » pour dire que la conférence était accessible et compréhensible
71 % estiment avoir retenu les messages-clés de la conférence
69 % considèrent que la conférence leur a apporté une meilleure compréhension des enjeux du climat
44 % pensent faire appel à des scientifiques à l’avenir pour les accompagner dans leurs missions et/ou dans leurs prises de décisions