« Le CNRS doit être au rendez-vous de la communication scientifique »

Institutionnel

Brigitte Perucca, directrice de la communication du CNRS, nous explique comment le CNRS a démultiplié ses efforts de communication scientifique depuis le début de la pandémie. Avec un objectif : préserver la crédibilité de la parole scientifique.

Quels sont les enjeux de la communication scientifique pour un organisme comme le CNRS dans cette période si particulière ?

BP : La science, les scientifiques sont aux avants postes de cette crise planétaire. La parole scientifique est sur-sollicitée, attendue, scrutée. Il est donc indispensable que le CNRS soit au rendez-vous de la communication scientifique. Nous avons une responsabilité particulière à tenir : donner un maximum d’informations possibles, relayer au mieux et au plus vite les résultats des chercheurs.

Un autre enjeu pour la communication émanant d’une institution de recherche publique comme la nôtre est de préserver la crédibilité, la garantie de la parole scientifique. Cette responsabilité est d’autant plus grande que les autorités publiques font appel aux scientifiques pour prendre des décisions et les justifier auprès de la population. On peut voir cela d’un bon œil. Mais nous devons rester vigilants et éviter les risques de confusion entre la parole scientifique et la parole politique, souvent discréditée par nos concitoyens.
 

Mesurez-vous une attente importante du grand public ?

BP : Nous cherchons tous en ce moment des informations fiables sur l’épidémie. Or le CNRS, à l’instar d’autres institutions scientifiques, est identifié comme une source crédible. Nos différentes publications sont donc très consultées en ce moment. Ainsi, le site d’information scientifique que nous avons lancé il y a cinq ans, CNRSlejournal.fr, sur lequel nous publions de nombreux contenus sur le COVID-19, n’a jamais été aussi fréquenté qu’en mars dernier, avec 100 000 visites en plus du précédent record. Les médiateurs que nous sommes sont essentiels aux scientifiques.

Au début du confinement, nous avons aussi lancé sur les réseaux sociaux une série quotidienne de podcasts dédiée à l’épidémie, qui rencontre l’intérêt du public. Mais cette curiosité accrue touche aussi les recherches hors COVID comme en attestent les nombreuses consultations des Carnets de science dont nous avons mis toute la collection en accès libre ou le succès de la série « Au cœur des cartes » coproduite par le CNRS et la BNF.

Encore une fois, ce pic d’intérêt n’est pas l’apanage du CNRS. Je pense que les médias généralistes et scientifiques « sérieux » voient tous leur fréquentation augmenter.
 

Justement, que peut apporter le CNRS aux médias sur l’épidémie?

BP : Il a une responsabilité toute particulière envers les médias, qui relève de sa mission de service public : celle de mettre en relation les journalistes avec les scientifiques qui ont des choses à dire, aussi bien sur la biologie du virus, la progression de l’épidémie ou les pistes thérapeutiques évidemment, mais aussi sur la continuité des services éducatifs, les relations entre la police et la population, les conséquences économiques de la crise, la crise écologique, le tracking, etc. Car il y a un besoin d’éclairage qui concerne toutes les disciplines.

Cette crise, comme toutes les crises, appelle un besoin de comprendre et je crois que l’on mesure mieux en ce moment l’importance de la sociologie, de l’anthropologie ou des sciences de l’écologie et de l’environnement pour ne citer que quelques exemples, qui nous permettent de mieux comprendre ce que nous vivons aujourd’hui.

Sur tous ces sujets, nous proposons aux médias, et ce depuis l’émergence de l’épidémie en Chine, une liste d’experts et d’expertes mise à jour en continu, une pratique que nous avons commencé à développer ces toutes dernières années et qui permet de donner aux journalistes un panel de scientifiques experts sur un sujet. La liste d’experts COVID comprend aujourd’hui une cinquantaine de noms. Nous répondons en outre à un très grand nombre de demandes de journalistes, une soixantaine environ par semaine.
 

Les médias se font aussi l’écho des controverses scientifiques sur le virus

BP : Il serait illusoire de penser que les scientifiques sont au-dessus des phénomènes qui affectent toute la société. Ils ne sont pas toujours d’accord entre eux, cela fait partie intégrante de la vie scientifique. La liberté d’expression doit rester intacte en temps de crise. Mais comme viennent de le rappeler le comité d’éthique et la mission à l'intégrité scientifique du CNRS, celle-ci ne doit pas permettre de s’affranchir des règles de la publication et de la communication scientifique qui prévalent habituellement. Autrement dit, la liberté d’expression ne doit pas être confondue avec la liberté académique. En matière de communication, nous devons ainsi rester prudents, malgré la volonté de rapidité partagée par tous et rythmée par les flux d’informations. La publication prochaine des résultats de Discovery, un essai clinique mené sur 3 200 patients européens par le consortium Reacting, sera par exemple l’occasion de communiquer des éléments fiables sur les pistes thérapeutiques explorées dans les laboratoires.
 

Vous communiquez aussi sur des initiatives individuelles de chercheurs. Certains profitent aussi du confinement pour explorer de nouveaux modes de de médiation scientifique…

En effet, plusieurs initiatives ont émergé de manière spontanée de la communauté scientifique. Les scientifiques sont habitués à se mobiliser, à travailler en réseaux avec les industriels, les ONG, les partenaires académiques. Ce faisant, ils prouvent leur grande capacité à s’extraire du cadre habituel de leurs recherches pour le bien commun. Ce sont des valeurs et des compétences très précieuses en ce moment. Notre devoir est de leurs donner l’écho nécessaire à la bonne réalisation de leurs projets. Certains scientifiques ont monté en un temps record des sites internet et des contenus multimédias dont l’objectif est de proposer une information scientifique fiable, répondant aux interrogations légitimes du grand public. C’est le cas par exemple de de Diffusons la science, pas le virus et de CoVprehension. D’autres, ont lancé des « conférences confinées » depuis leur domicile, sur le modèle des échanges ou des concerts que les artistes peuvent avoir avec leur public sur les réseaux sociaux. La recherche ne passe pas au travers de ce mouvement de fond. Le CNRS a conscience que de cette crise, sont en train de naître des modes nouveaux de médiation. C’est pourquoi nous allons relancer une nouvelle édition de notre appel CNRS Com’Lab. Celui-ci vise à faire remonter les initiatives de scientifiques, d’équipes, de laboratoires, qui veulent s’adresser au plus grand nombre au travers d’un projet de médiation. Le dispositif Com’Lab doit nous permettre de soutenir plusieurs de ces initiatives qu’on voit fleurir actuellement.
 

Existe-t-il une communication scientifique particulière à destination de la communauté de la recherche elle-même ?

BP : L’information scientifique en ce moment, c’est aussi d’expliquer comment fonctionne la recherche en période de confinement : quelles sont les recherches qui se poursuivent ? Comment gère-t-on les grands instruments ? Avec les outils existants, nous avons essayé de démultiplier la communication habituelle à destination de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche elle-même. Une petite équipe travaille à temps plein pour nourrir la lettre Spécial COVID-19 qui est envoyée deux fois par semaine à 120 000 personnes qui travaillent dans les directions, les délégations et dans les Unités Mixtes de Recherche du CNRS et de ses partenaires. Je les invite tous à consulter l’intranet du CNRS ou des informations, des conseils et des consignes, régulièrement mis à jour, peuvent être très utiles pour améliorer la façon de travailler de chacun et de chacune d’entre nous en ces temps de confinement.