Le CNRS signe l’accord de Heidelberg pour une recherche durable
En octobre 2024, à la suite d’un workshop à Heidelberg, en Allemagne, le CNRS a signé, aux côtés de plusieurs autres agences de financement et organismes de recherche européens, un accord historique en matière de coopération internationale pour une recherche durable.
Avec son paysage de carte postale le long du Neckar, la ville médiévale de Heidelberg, au sud du pays, fait partie des principaux sites touristiques outre-Rhin. Connue pour son université, la plus ancienne du pays (1386), l’ancienne capitale du palatinat du Rhin pourrait désormais être réputée pour l’accord historique en matière de transition environnementale de la recherche qui y fut signé cette année et publié au mois d’octobre.
Coopérer à l’échelon européen
En effet, à l’initiative de l’Organisation européenne de biologie moléculaire (EMBO), principal organisme européen de recherche en biologie qui siège à Heidelberg, une quinzaine d’agences de financement et d’organismes de recherche européens se sont réunis en mai dernier pour définir les bases d’une coopération internationale en matière de transition environnementale. L’EMBO s’est engagée à implanter la transition environnementale dans ses propres activités et la valorisation de pratiques de recherche durables. Preuve en est le premier « Lab sustainability award ». Toutefois, un tel changement systémique requiert une coopération de l’ensemble des acteurs de la recherche. « C’est pourquoi l’EMBO a fait le choix de promouvoir la collaboration internationale en faveur de la durabilité », soutient Philipp Weber, son responsable de la durabilité, « et encourage les agences de financement à soutenir activement la durabilité dans la recherche ».
Il en va de même sur la rive suisse du lac Léman. L’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a beau puiser l’essentiel de son énergie du grand lac alpin depuis 1978, avoir supprimé toute utilisation du mazout dans ses locaux en 2022 et s’être dotée d’un atelier de maintenance des équipements scientifiques pour prolonger considérablement leur durée de vie, sa vice-présidente pour la transformation responsable, Gisou van der Goot, n’en démord pas : « Ce n’est que par les agences de financement de la recherche que nous allons toucher au cœur de la recherche ». À ses yeux, si l’accord de Heidelberg est « crucial », c’est en raison de l’effet d’entraînement qu’il peut générer au niveau européen. « Si une institution de recherche fait la transition environnementale toute seule dans son coin, elle risque de perdre en compétitivité au niveau international. Il lui faut nécessairement coopérer à d’autres échelons », assure-t-elle. Stéphane Guillot, délégué à la transition environnementale et aux risques du CNRS et représentant du premier organisme de recherche français au workshop, la rejoint sur ce point : « Il faut fournir une grille d’éligibilité environnementale qui soit commune à l’ensemble des partenaires de la recherche européenne afin que personne ne soit pénalisé dans le montage de ses projets ».
Financer la transition environnementale
Directrice du programme de durabilité environnementale de l’agence de financement britannique UK Research and Innovation (UKRI), Susan Simon reconnaît sans ambages que « les agences de financement de la recherche ont un rôle à jouer dans l’inflexion des pratiques en laboratoire. L’accord de Heidelberg est une déclaration de leur part pour y parvenir sans compliquer davantage l'approche du financement ». Avant même l’accord de Heidelberg, UKRI avait signé le Concordat pour la durabilité environnementale des pratiques de recherche et d'innovation qui engageait les acteurs de la recherche en Grande-Bretagne dans une démarche de transition environnementale. L’agence assure par ailleurs avoir d’ores et déjà réduit de moitié ses émissions de gaz à effet de serre depuis 2017 dans un contexte national propice à la décarbonation1 .
De l’autre côté de la Manche, dans sa déclaration sur le prochain programme-cadre européen, le CNRS, rappelle son délégué à la transition environnementale, avait proposé que dans les critères d’évaluation des projets, une partie de la note finale intègre les efforts quantifiés par le porteur du projet en termes de réduction des impacts environnementaux. Si cet « éco-bonus », souhaité par le CNRS n’existe pas encore en tant que tel dans les appels à projets, l’Agence nationale de la recherche française (ANR), principale agence de financement de la recherche sur projets en France, œuvre en ce sens. Dominique Dunon-Bluteau, son directeur des opérations scientifiques, également présent à l’EMBO, observe une évolution notable depuis 2020. À cette date, l’ANR a demandé aux porteurs et porteuses d’un projet de préciser à quels Objectifs de développement durable (ODD), définis par les Nations unies, répondait le projet scientifique qu’ils soumettaient à l’agence. Désormais, « en 2023, dans l’appel à projets générique, au moins un des ODD était renseigné pour 79 % des projets déposés et 77 % des 1467 projets sélectionnés contre 72 % et 68 % en 2020 ». Signataire, aux côtés du CNRS et de quatorze autres organismes français, d’une déclaration d’engagements mise en place dans le cadre du plan climat du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche début 2024, l’ANR compte, avec l’accord de Heidelberg, « aboutir à la mise en œuvre d’un nouveau cahier des charges pour les porteurs et porteuses de projets, avec pour objectif d’aboutir au meilleur équilibre entre une recherche efficace et une recherche durable à coût maîtrisé », estime son représentant.
- 1Le Royaume-Uni mise sur une neutralité carbone en 2050 et, dès 2035, sur la réduction de 81 % par rapport à 1990 de ses émissions de gaz à effet de serre, comme son nouveau Premier ministre, Keir Starmer, l’a rappelé début novembre à la COP 29.
Vers une recherche efficace et durable
Toutefois, Gisou van der Goot met en garde contre ce nouvel ajout aux appels à projet : « On ne veut pas que la durabilité pèse comme un fardeau, qu’elle soit vue comme une couche de bureaucratie supplémentaire mais qu’elle implique un réel changement des façons de faire de la recherche ». Philipp Weber alerte pour sa part quant au risque que l’intégration d’un tel critère dans les appels à projet se cantonne à « un exercice superficiel de “cochage de cases” ». Lui-même plaide pour « une collaboration étroite entre les financeurs et les scientifiques afin de s'assurer que ces derniers disposent des ressources et des outils nécessaires pour répondre à ces nouvelles normes » et que dans les faits, ces appels à projet « invitent au partage du matériel, à réduire la consommation de ressources et à stimuler le développement de pratiques de recherche innovantes et à faible impact ». À l’UKRI, Susan Simon est parfaitement consciente de ces enjeux : « Les scientifiques que nous finançons sont des experts dans leur domaine mais pas nécessairement en matière d'environnement. Nous travaillons en étroite collaboration avec les signataires de l’accord de Heidelberg et d’autres partenaires sur un outil qui aidera les scientifiques à concevoir leurs expériences et à gérer leurs laboratoires ou leurs activités de manière plus durable sur le plan environnemental. Il permettra aussi aux agences de financement d'évaluer le caractère durable d'une proposition de recherche sans être des experts dans ce domaine ».
Au terme du workshop, tous les regards se tournent désormais vers le Conseil européen de la recherche (ERC), présent en qualité d’observateur à Heidelberg mais non signataire, même si ses représentantes assurent que les réflexions ont cours en interne. « Le jour où l’ERC s’alignera sur les agences de recherche nationales marquera une avancée majeure dans la recherche durable », clame Gisou van der Goot. Une manière de répondre à la recommandation de Stéphane Guillot : « Si l’Europe veut continuer à jouer un rôle de premier plan au niveau mondial sur les innovations, par exemple dans le domaine des énergies renouvelables, des batteries, de la préservation des ressources en eau, des bâtiments innovants ou encore de la gestion des risques climatiques, alors il faut joindre nos efforts de recherche car les investissements sont colossaux ».
Les treize organismes signataires
- ANR
- Austrian Science Fund
- CNRS
- Dutch Research Council
- EMBO
- European Molecular Biology Laboratory
- Foundation for Polish Science
- German Research Foundation
- Green Algorithms Initiative, Green Labs Netherlands
- Institute for Bioengineering of Catalonia
- Medical Research Council
- Taighde Éireann I Research Ireland
- UKRI
- Wellcome Trust