L’espace au quotidien

Institutionnel

Des observatoires spatiaux au GPS, à la télémédecine ou à l’agriculture optimisée, les connaissances et données issues du spatial modifient notre quotidien.

Alors que les années à venir prévoient une véritable moisson de lancements spatiaux scientifiques, le secteur est régulièrement mis face à la question de l’utilité de ces projets coûteux, en particulier en cette période de crises sanitaire et économique. Pourtant, « le citoyen moyen utilise le spatial en moyenne 40 fois par jour », assure Christelle Astorg-Lepine, alors cheffe de projet du dispositif Connect by CNES de l’agence spatiale française. Le joystick, le casque à micro, la couverture de survie, les batteries au lithium, la couche-culotte hyper absorbante, les oreillers à mémoire de forme : tous ces outils du quotidien sont issus, plus ou moins directement, de l’étude de l’espace ou des efforts pour y aller et y survivre.

Ce secteur « à haut potentiel » est ainsi « propice à l’innovation », comme le confirme Antoine Petit, P.-D.G. du CNRS, dans le dossier thématique sur les recherches spatiales de l’Institut national des sciences de l’Univers (INSU). Le secteur spatial et l’utilisation de services liés à l’espace aurait rapporté jusqu’à 300 milliards de dollars en 20191 . La France investit dans sa politique spatiale environ 0.1 % de son PIB, plus large budget européen, et, dans sa partie « souveraineté technologique », le plan France relance assure un soutien « au secteur spatial et financement de la recherche duale2  en matière spatiale » à hauteur de 515 millions d’euros.

  • 1http://www.oecd.org/sti/inno/space-forum/measuring-economic-impact-space-sector.pdf
  • 2C’est-à-dire conduite dans un domaine civil mais intéressant la défense.

30 euros/habitant/an

Le budget de la recherche spatiale française (CNES et contribution à l'ESA) en 2020

Une grande partie de ces innovations tourne autour des données issues des satellites, notamment de géolocalisation. La météo se nourrit de ces données, comme le GPS ou les recommandations de restaurants ou magasins et les commandes de taxis basées sur ce dernier. Et bien sûr, les satellites permettent d’accéder à Internet. La Charte internationale « Espace et catastrophes majeures » est un autre exemple : généralement activée pour les catastrophes naturelles, elle a été notamment déclenchée le 5 août 2020 par le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), pour appuyer les efforts humanitaires avec des données satellitaires suite à l’explosion qui a ravagé le port de la capitale libanaise. Dans la même idée, les balises qui équipent avions, navires ou randonneurs, et se déclenchent pour alerter les secours, utilisent les satellites de géolocalisation, et les véhicules autonomes également. De nombreux services peuvent en découler, du règlement automatisé du péage à l’analyse des causes d’un accident, en passant par le suivi des transports maritimes ou ferroviaires en temps réel. « La société est aujourd’hui devenue complètement dépendante des satellites », note Martin Giard, chargé de mission Affaires spatiales à l’INSU.

L’avancée des connaissances

Côté recherche, ces données aident à évaluer les conséquences du changement climatique. L’observation de la Terre, « globale, à haute résolution et régulière », est un outil d’une ampleur « inédite ». Les satellites permettent ainsi d’étudier le rôle des courants océaniques sur le climat, l'évolution des ressources terrestres, aussi bien animales que végétales, la fonte des glaces du cercle polaire, etc. Ils ont permis de mettre en évidence la hausse des températures du globe et du niveau de la mer. Issu d’une collaboration franco-allemande et prévu pour 2024, le satellite Merlin3  visera à mesurer précisément la concentration en méthane atmosphérique, et ainsi à mieux comprendre les sources d’émission de ce puissant gaz à effet de serre. Cette année, la mission Microcarb4  mesurera la répartition du CO2 à l’échelle planétaire. La France participe aussi au système européen de positionnement par satellite Galileo et à Copernicus, le programme d’observation de la Terre de l’Union européenne.

L'astronaute Thomas Pesquet dans l'ISS
Expérience Fluidics avec l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse. « Ce que l’on fait dans l’espace, c’est pour les gens sur Terre », répète l’astronaute français Thomas Pesquet. © ESA/NASA

Bien sûr, grâce aux télescopes spatiaux qui s’affranchissent de l’atmosphère terrestre, la communauté scientifique étudie aussi l’origine et l’évolution de l’Univers, les planètes extrasolaires, les trous noirs, etc. La gestion de toutes ces données nécessite de l’équipement. Le CNRS apporte des contributions majeures à des infrastructures numériques dédiées : Data-Terra pour les données d’observation de la Terre, le Centre de données de Strasbourg (CDS) pour l’astronomie.

Et l’espace, via la station spatiale internationale (ISS), est littéralement un laboratoire. Les ressources (eau, air) étant limitées et la place manquant pour stocker des déchets, l’ISS est le lieu idéal pour mettre au point des techniques pour économiser et recycler. Les 17 traits du logo de la mission Alpha de l’astronaute Thomas Pesquet en 2021 font d’ailleurs référence aux 17 Objectifs de développement durable de l’Onu. La station permet également des expériences en micropesanteur, à la fois scientifiques pour tester de nouveaux matériaux, faire pousser des plantes en milieu hostile ou encore étudier certaines maladies, ou éducatives par exemple avec le blob. Et la télémédecine, utile sur Terre pour atteindre des points isolés ou en période de confinement, s’est développée aussi pour suivre les astronautes dans l’ISS et grâce aux télécommunications spatiales.

Le spatial au service de la santé

L’espace, qui « n’est pas un marché » vu le nombre limité de spationautes, présente de lourdes contraintes – apesanteur, isolement, durée des missions – qui offrent un « environnement de test extrême », confirme Olivier Blin, directeur du Centre d’excellence pour les maladies neurodégénératives et le vieillissement, Dhune5 . Celui-ci rassemble des laboratoires travaillant notamment sur des sujets liant spatial et santé : exosquelette léger pour renforcer les muscles des astronautes (en prévision du retour de l’ISS ou d’un éventuel atterrissage sur Mars) mais aussi pour soutenir les militaires ou les travailleurs qui portent des charges lourdes, évaluation de la capacité à prendre des risques et à les appréhender sans dépasser ses limites, etc.

À l’Institut des neurosciences de la Timone6 , à Marseille, Raoul Belzeaux s’intéresse à la santé mentale. Les dépressions et accès psychotiques peuvent avoir des conséquences particulièrement graves dans l’espace, mais aussi sur Terre. Avec son équipe, le chercheur a identifié des marqueurs prédictifs du risque et de l’évolution des pathologies mentales au long cours. Ces indices permettent de différencier les pathologies qui se ressemblent et de prédire l’apparition d’épisodes aigus.

Une personne allongée dans une centrifugeuse qui tourne sous la surveillance de deux médecins
Les expériences sur la centrifugeuse de l'ESA installée au MEDES (Institut de médecine et de physiologie spatiales), à Toulouse, ont pour but de mettre au point des contre-mesures aux effets de l'exposition à la microgravité lors des missions spatiales longues mais aussi d’aider les sujets alités pendant une longue durée. © Sébastien GODEFROY/CNRS Photothèque

Des scientifiques de l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien7  à Strasbourg étudient notamment les adaptations physiologiques humaines pendant les vols spatiaux, un cas de sédentarité extrême due à l’absence de gravité, et testent des stratégies (exercices, nutrition) pour maintenir la santé et les performances des astronautes, ou des personnes trop sédentaires sur Terre.

« Mars et les voyages de longue durée paraissent lointains et font rêver, mais s’y intéresser permet d’aborder des questions concrètes pour le bien-être de tous », ajoute Olivier Blin. Le centre Dhune s’intéresse ainsi également aux données de l’espace utilisées pour la santé sur Terre. Par exemple, en mettant en lien la météo (humidité, température) avec les épidémies et zoonoses8 , comme dans les zones à risque de dengue ou de chikungunya, afin de pouvoir prévenir les populations. Le suivi haute définition des déplacements permet aussi d’évaluer le risque de propagation d’une épidémie depuis une zone touchée.

Des start-up dans tous les domaines d’applications

Car, avec l’avènement de l’IA et de la data science, une « nouvelle économie » se met en place, selon Christelle Astorg-Lepine. Elle permettrait de « trouver des débouchés sociétaux et environnementaux » aux données spatiales, ce « nouvel or » dont se sont emparés les start-up. Au CNRS, une vingtaine de start-up se développent, dont un quart soutenues par CNRS Innovation, la filiale de valorisation de l’organisme. Par exemple, Kayrros fournit des informations sur le secteur de l’énergie en utilisant notamment l’imagerie par satellite. Spécialisée dans l’analyse de ces images, Preligens – anciennement Earthcube – veut devenir l’acteur de référence de l’IA pour le Renseignement et la Défense : elle vient d’ailleurs de réaliser une levée de fonds de 20 millions d’euros.

Dans le cadre du programme Connect by CNES9 , les nombreux outils du spatial sont ainsi mis à disposition des chercheurs, mais aussi des entrepreneurs. « Nous sommes au début de l’histoire de la donnée spatiale », indique Christelle Astorg-Lepine qui recense, en trois ans d’activité, 35 start-up qui ont bénéficié du programme et levé 260 millions d’euros. « Ces start-up tirent tout un écosystème qui s’empare des données spatiales pour des applications de tous les jours. » Souvent, c’est la combinaison de données complémentaires des satellites et au sol qui permettent de nouveaux services pour l’agriculture, l’énergie, l’immobilier, le sport ou la santé. Le CNES et la SNCF travailleraient ainsi à un système de surveillance des voies qui allie la précision des images Pléiades à des contrôles par drones et mesures au sol.

  • 3Mission conjointe entre les agences spatiales française (CNES) et allemande (DLR).
  • 4Partenaires : CNES, CNRS, CEA, Météo France, Universités, UKSA, CGI.
  • 5CNRS/Inserm/AP-HM/Aix-Marseille Université.
  • 6CNRS/Aix-Marseille Université.
  • 7CNRS/Université de Strasbourg.
  • 8Les zoonoses sont des maladies ou infections transmises naturellement par des animaux à l'Homme, ou inversement, comme la tuberculose, la maladie de Lyme, la grippe aviaire, Ebola ou encore le Covid-19.
  • 9Avec trois domaines prioritaires : la santé, la mobilité et l’environnement (gestion des risques, adaptation climatique, agriculture de précision).

Les matériaux, de l’espace au quotidien

Les contraintes du spatial en font le lieu idéal pour développer de nouveaux matériaux solides, résistants aux hautes températures et légers. L’absence de gravité permet aussi d’étudier les lois de la matière dans des conditions exceptionnelles, mettant en avant, par comparaison, le rôle de la gravité.

« Les retombées du spatial sur la technique quotidienne sont souvent très indirectes ou à long terme », tempère Martin Giard, aussi directeur de recherche CNRS à l'Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse10 . Loin des voyages lointains ou des tentatives d’exploitation (minière, par exemple) qui peuplent les rêves du grand public, l’espace n’est pour lui « pas que de la science de pointe, bien au contraire ». Milieu « hostile », depuis les fusées vibrantes jusqu’au vide spatial, il nécessite de « se rabattre » sur des technologies éprouvées aux chocs et aux changements de température, et qui ne demandent pas d’intervention humaine : des circuits « résistants mais peu performants » envoyés en pratique dans l’espace des dizaines d’années après la confirmation des choix technologiques d’une mission de recherche.

Mais là aussi, les start-up investissent, avec sans doute des retombées à venir. Née du transfert d’une technologie développée au Groupe d'étude de la matière condensée11 , la start-up Exotrail s’intéresse à la propulsion électrique des nano et des microsatellites. Un laboratoire commun Oracle a été établi entre la société et l’Institut de combustion, aérothermique, réactivité et environnement du CNRS. Issue d’un laboratoire commun entre le CNRS et l’École polytechnique, la compagnie ThrustMe a, quant à elle, conçu le premier moteur électrique à l’iode pour des petits satellites. Il a été mis sur orbite pour la première fois en novembre 2020.

Outre ces nombreuses innovations concrètes pour notre quotidien, une des retombées majeures reste pourtant « culturelle et philosophique », selon Martin Giard : les découvertes permises par l’étude de l’espace accompagnent en effet le questionnement de l’Homme sur sa place dans l’Univers.

  • 10CNRS/CNES/Université de Toulouse Paul Sabatier.
  • 11CNRS/Université Versailles Saint Quentin.