« Nous avons tout à gagner à collaborer avec la Chine »

Institutionnel

Tout nouveau directeur du bureau de Pékin, Fermin Cuevas dévoile ses projets pour renforcer les collaborations entre le CNRS et ses partenaires chinois, à l’heure où la Chine, acteur scientifique mondial de premier rang, se tourne vers l’Europe. 

Depuis le 15 octobre 2024, vous êtes à la tête du bureau de Pékin du CNRS. Comment comptez-vous renforcer la présence de l’organisme dans cette région du monde ?

Fermin Cuevas1  : Ma nomination a eu lieu lors d’une année particulièrement symbolique. 2024 marquait en effet le soixantième anniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine. Ces relations diplomatiques ont inclus de longue date un volet scientifique avec la signature en 1978 du premier accord-cadre entre le CNRS et l’Académie chinoise des sciences (CAS). Ladite académie représente la première institution de recherche non seulement en Chine mais également au monde, avec ses 67 000 publications par an, 70 000 employés dont 82 % de scientifiques, et 106 instituts de recherche et trois universités. 

Depuis la signature de cet accord-cadre, les collaborations entre le CNRS et la Chine n’ont cessé de se développer, avec en particulier l’ouverture d’un bureau permanent de représentation de l’organisme à Pékin en 1995. Localisé à l’ambassade de France, le bureau, aujourd’hui composé de trois personnes, poursuit l’objectif de mettre en avant la richesse des projets de coopération menés en Chine et en France par les scientifiques du CNRS et, par extension, celles de tous nos partenaires, qu’ils soient académiques, institutionnels ou universitaires.

Après soixante ans de relations diplomatiques, les collaborations scientifiques sont entrées dans une nouvelle phase, marquée par une nette volonté de rapprochement de la Chine vers l’Europe. Dans ce contexte, je souhaite contribuer davantage au rayonnement du CNRS en Chine en promouvant les collaborations scientifiques les plus ouvertes possibles entre le CNRS et les organismes de recherche chinois, tout en préservant les intérêts stratégiques nationaux. À ce titre, j’aimerais équilibrer davantage les échanges entre la Chine et la France en allant vers plus de réciprocité. La Chine, premier producteur mondial de publications scientifiques, tant en quantité que désormais en qualité, est en effet devenue un acteur majeur de la recherche internationale et un partenaire incontournable au vu de son développement scientifique et technologique remarquable ces vingt dernières années. Je m’étonne dès lors de constater qu’encore aujourd’hui, peu de doctorantes et doctorants français se rendent en Chine, alors qu’à l’inverse beaucoup d’étudiantes et d’étudiants chinois viennent en France. Sur ce sujet, mon objectif est de promouvoir en Chine la mobilité des chercheurs et chercheuses du CNRS et ses partenaires, ainsi que la formation d’étudiantes et d’étudiants français.

 

Depuis la reprise des collaborations scientifiques au sortir de la crise du Covid-19, on observe une intense recrudescence des coopérations avec la Chine. Dans ce contexte, où en sont les relations entre le CNRS et ses partenaires chinois ?

F.C. : À la sortie du Covid-19, la Chine a pris l’initiative de relancer sa politique internationale, en particulier à travers la diplomatie scientifique. Tandis que la rivalité commerciale pesait sur ses coopérations avec les États-Unis, elle s’est rapprochée de l’Europe, avec qui elle entretient des relations scientifiques de longue date, et notamment avec la France. À la main tendue de la Chine, la France a répondu positivement, car elle considère avoir beaucoup à gagner de sa relation avec la Chine. 

On observe de ce point de vue un parallèle entre les visites diplomatiques et scientifiques. D’un côté, les présidents Emmanuel Macron et Xi Jinping se sont l’un l’autre rendu une visite d’État, le premier en Chine en avril 2023 et le second en France en mai 2024. De l’autre, une délégation de la CAS – accompagnée par l'Académie des sciences sociales de Chine, organisation académique de premier plan, et la National Natural Science Foundation of China (NSFC), principale agence de financement de la recherche chinoise – est venue à Paris en octobre 2023 renouveler l’accord-cadre avec le CNRS, suivie, en juin 2024, d’une visite d’Antoine Petit, président-directeur général de l’institution française, et d’une délégation du CNRS à Pékin et Canton.

  • 1Directeur de recherche au CNRS au sein de l’Institut de Chimie et des Matériaux Paris-Est (CNRS / Université Paris-Est Créteil-Val-de-Marne.).
Lors de sa visite en Chine en juin 2024, Antoine Petit a pu visiter les installations du détecteur de neutrinos JUNO
Lors de sa visite en Chine en juin 2024, Antoine Petit a pu visiter les installations du détecteur de neutrinos JUNO.© Bureau du CNRS en Chine

Cette dernière visite a permis de mettre en lumière la richesse des collaborations sur place. Aux deux laboratoires communs, trois réseaux internationaux et onze projets de recherche internationaux sont venus s’ajouter quatre nouveaux réseaux, en partenariat avec la CAS, sur les mathématiques fondamentales et appliquées, la physique des particules et la biodiversité, ainsi qu’un appel à projets conjoints avec la NSFC. Dans ce contexte, le symposium franco-chinois « Biodiversity, Global change and EcoHealth » coorganisé par la CAS et le CNRS avec la contribution de l’Académie des sciences française, se tiendra les 14 et 15 novembre 2024 au siège du CNRS à Paris. Ces échanges scientifiques témoignent ainsi de la reconnaissance mutuelle que s’accordent la CAS et le CNRS, respectivement premier et deuxième producteur de publications scientifiques au monde.

Toutefois, si le CNRS demeure le premier partenaire français de la Chine en représentant 70 % des copublications franco-chinoises, la France elle-même ne représente que le septième partenaire du pays en matière de collaborations internationales et son troisième en Europe derrière le Royaume-Uni (2e au rang mondial) et l’Allemagne (6e). Vue de France, la Chine se place au sixième rang des partenaires internationaux de l’Hexagone et son premier en Asie. Même si la Chine ne publie qu’un quart de ses articles en collaboration avec des établissements étrangers, il existe une marge d’amélioration remarquable pour les acteurs de la recherche en France. Et, de ce point de vue, fort de son ancrage historique dans le pays et riche de sa pluridisciplinarité, le CNRS est l’institution qui a le plus de chances d’améliorer la relation scientifique franco-chinoise.

 

De quelle manière les rivalités géopolitiques internationales pèsent-elles sur les collaborations scientifiques avec la Chine ?

F. C. : Je répète souvent à mes collègues que, si la situation géopolitique peut s’avérer conflictuelle et incertaine dans les années à venir, la recherche scientifique, pour sa part, recèle quantité de collaborations possibles entre la Chine et la France. J’en veux pour preuve mes vingt-cinq ans d’expérience personnelle à coopérer dans la recherche fondamentale avec mes collègues chinois de la CAS et de l’Institut des métaux non-ferreux, à Pékin, et de l’université de Fudan, à Shanghai, autour des matériaux pour le stockage de l’hydrogène.

C’est le moment d’établir une collaboration de recherche entre égaux, une relation de confiance ouverte partout où l’on a l’opportunité de le faire – comme l’Europe a su le faire sur la biodiversité, le changement climatique, l’alimentation ou encore l’agriculture – et fermée quand nécessaire sur les sujets trop sensibles, notamment les recherches à haute valeur technologique. Le laboratoire de recherche international E2P2L à Shanghai, dédié à la chimie durable, et le détecteur de neutrinos JUNO à Jiangmen, dans le sud du pays, en sont des réussites manifestes.

En somme, et s’il est indispensable de veiller à préserver nos intérêts stratégiques nationaux, nous avons tout à gagner à intensifier nos collaborations scientifiques avec la Chine.

Situé à Jiangmen dans le sud de la Chine, JUNO, gigantesque détecteur en forme de sphère de 40 mètres de diamètre, contenant 20 000 tonnes de liquides scintillants, permettra d’étudier des particules élémentaires encore mystérieuses, les neutrinos - les particules les plus abondantes dans l’univers.
Situé à Jiangmen dans le sud de la Chine, JUNO, gigantesque détecteur en forme de sphère de 40 mètres de diamètre, contenant 20 000 tonnes de liquides scintillants, permettra d’étudier des particules élémentaires encore mystérieuses, les neutrinos.© CNRS