Observatoire SKA : un défi technologique inédit

Institutionnel

La France a annoncé sa volonté de rejoindre l’organisation intergouvernementale Square Kilometer Array Observatory (SKAO) chargée de construire le plus grand radiotélescope au sol du monde. Depuis près de dix ans, les établissements de recherche et les industriels français (pilotés par le CNRS depuis 2018) s’organisent afin de répondre aux défis technologiques et de développement durable posés par ce projet inédit.

Lorsqu’il sera opérationnel en 2027, le Square Kilometer Array (SKA) sera le plus grand radiotélescope au monde. Il consiste en deux infrastructures sur une gamme d’ondes radio inégalée. En Afrique du Sud, un instrument moyenne fréquence sera composé de 197 paraboles. Un second en basse fréquence sera constitué de 131 000 antennes en Australie. Les superlatifs ne manquent pas pour présenter cet instrument : plus sensible, plus rapide, ayant une meilleure résolution que les instruments existants pour un coût de plus d’un milliard d’euros. Tout cela destiné principalement à des questions fondamentales d’astronomie. Il devrait, par exemple, nous éclairer sur l’apparition des premières étoiles, l’étude des pulsars et servira à la réalisation de tests des théories de la gravitation et de la relativité générale.

Le SKA sera complémentaire à d’autres observatoires déjà existants comme, par exemple, l’Observatoire austral européen (ESO) dans le domaine optique ou à des missions spatiales. « Chaque instrument apporte une partie de l’information, explique Guy Perrin, directeur adjoint scientifique astronomie et astrophysique à l'Institut national des sciences de l'univers (INSU) du CNRS. Ensemble, ils permettront de faire avancer notre compréhension de ce qu’a été l’Univers et la façon dont il a évolué ».

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Chantier du nouveau siège de l'organisation SKA, à l'observatoire de Jodrell Bank près de Manchester, au Royaume-Uni ©SKA Coopération

Une organisation française en plusieurs étapes

Derrière les prémices de SKA, une myriade d’acteurs de la communauté astrophysique internationale a dû s’organiser. Si l’idée du projet apparaît au milieu des années 1990, elle ne se concrétise qu’en 2011 via la création de l’organisation SKA, société de droit britannique. Le CNRS/INSU suivait le projet depuis le milieu des années 2000, mais est alors contraint de le quitter pour des raisons budgétaires. Les communautés scientifiques et industrielles françaises s’organisent de manière informelle au sein du consortium SKA-France pour bâtir une offre française. Leurs échanges aboutissent à la création de la Maison SKA-France regroupant sept établissements de recherche et sept entreprises dont Thales Alenia Space, Atos ou encore Air Liquide en 20181 . En plus de fédérer les forces françaises, elle permet au CNRS, son chef de file, de devenir membre spécial de l’organisation SKA la même année. La Maison SKA-France intègre ainsi les discussions autour des enjeux scientifiques et techniques qui définiront l’utilisation et la construction des futurs instruments.

La maison SKA-France a à cœur de convaincre le gouvernement français de s’engager dans le projet. Une adhésion de la France à SKA renforce l’accès des chercheurs aux instruments, « mais aussi les chances de positionnement de l'industrie nationale pour répondre aux différents lots de développement technologique associés à sa construction », explique Guy Perrin. En effet, la conception de SKA demande de réaliser des systèmes qui ne sont pas encore disponibles. Des innovations dont les retombées économiques iront potentiellement bien au-delà du projet scientifique.

Le réseau français se construit en conséquence et manifeste son intérêt pour SKA sous la forme d’un livre blanc rédigé par 178 auteurs de différentes entreprises et d’une quarantaine de laboratoires. Le document cible ainsi les forces scientifiques françaises et ses atouts industriels répondant, entre autres, à des enjeux de flot de données et de développement durable. SKA intègre officiellement la feuille de route nationale des infrastructures de recherche du MESRI en 2018 en tant que projet, soulignant l’importance de ce projet phare de l’astrophysique pour la prochaine décennie.

Du concept à l’opérationnel

Début 2021, l’Observatoire SKA (SKAO) est créé. Il s’agit d’une organisation intergouvernementale regroupant sept pays2  – dont le Royaume-Uni, la Chine ou encore l’Afrique du Sud – chargée de construire et assurer le fonctionnement du futur instrument. Prenant définitivement le relais de l’organisation créée en 2011, ce changement symbolise la transition du concept vers sa phase de construction. Au terme d’une instruction du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) et après une validation au niveau interministériel, la France a officiellement exprimé en février 2021 son souhait de rejoindre les autres pays membres lors du premier conseil de SKAO. « La délégation française entame une phase de négociation avec SKAO avec l’ambition d’une adhésion de la France dès 2022 », rapporte Nicolas Dromel, chef du Département des grandes infrastructures de recherche du MESRI. D’ici là, la demande de la France devra être validée à l’unanimité par les membres actuels de SKAO. Elle obtiendrait ainsi deux sièges au Conseil directeur de l’Observatoire.

La phase de distribution des différents lots de construction a cependant déjà commencé. « Côté français, nous avons exprimé notre volonté d’être leader du lot "centres de traitement des données" », témoigne Guy Perrin. « Les conditions de retour industriel font partie des éléments de négociation entre SKAO et les pays qui souhaitent rejoindre l’organisation», ajoute Nicolas Dromel.

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Une fois opérationnel, le télescope pourrait produire plus d'une exaoctet de données par jour (un soit 1 milliard de Go) ©SKA Coopération

 « SKA sera l’équivalent du trafic internet mondial »

La communauté scientifique française impliquée dans l’exploitation de SKA devrait dépasser 400 chercheurs et chercheuses une fois l’instrument opérationnel. Mais au préalable, la construction des instruments pose plusieurs défis technologiques (infrastructure de calculs, approvisionnement en énergie, logistique, cryogénie, etc.) et environnementaux. En effet, SKA s’est engagé à contribuer à plusieurs objectifs de développement durable des Nations unies. « Pour des raisons de "tranquillité lumineuse", les instruments sont installés dans des endroits vierges qu’il est important de traiter de manière responsable », ajoute Guy Perrin. Parmi les enjeux les plus spectaculaires : le flot de données produit par SKA qui dépassera chaque année le trafic internet mondial d’aujourd’hui. Des supercalculateurs seront ainsi directement intégrés au sein de ces instruments « Big Data ».

Vers des centres de données « décarbonés et plus puissants »
Les acteurs français, coordonnés par le CNRS, se sont notamment concentrés sur la conception de calculateurs performants à l’impact environnemental réduit. Côté industriel, Atos développe depuis plus de dix ans une vision complète de la chaîne de valeur : de l’énergie qui alimente les supercalculateurs à la façon dont ils traitent les données. L’objectif : développer un centre de calcul au bilan carbone nul. Pour cela, l’entreprise collabore avec les scientifiques, les développeurs de composants et les développeurs d’applications. En associant les bons composants de calcul aux besoins des différents modèles de recherches, « on peut réduire par deux, voire par dix, la consommation électrique d’un data center », explique Jean-Marc Denis, chef de la stratégie Big Data chez Atos.

Réduire la consommation énergétique des centres de données consiste aussi à minimiser la quantité d’informations qui circulent. L’entreprise mise sur des mécanismes de traitement à l’aide de l’intelligence artificielle (IA). L’usage des supercalculateurs et de l’IA permettra de sélectionner et transmettre uniquement les données cohérentes en fonction du programme scientifique en cours sur l’instrument.

Ces enjeux sont directement reliés à des préoccupations mondiales plus larges sur l’empreinte environnementale du numérique. « SKA représente une vitrine technologique unique qui va nous permettre d’appliquer notre expertise en matière d'optimisation et de décarbonation des supercalculateurs pour relever ce défi d’une envergure exceptionnelle. D’autre part, les innovations qui émergeront de ce projet pourront être mises à profit pour construire des centres de données décarbonés et plus puissants pour des clients plus classiques », ajoute Jean-Marc Denis. La recherche fondamentale qui bénéficiera de SKA offre ainsi l’opportunité de faire avancer, non pas seulement les connaissances, mais aussi la société.

  • 1Côté recherche : CNRS, Observatoire de Paris, Observatoire de la Côte d’Azur, Université de Bordeaux, Université d’Orléans, Inria, CEA. Côté industrie : Air Liquide, Atos, CALLISTO, FEDD, KALRAY, Thales et Constructions navales et industrielles de la Méditerranée (CNIM).
  • 2Royaume-Uni, Chine, Afrique du Sud, Australie, Portugal, Italie et les Pays-Bas.