« Pour traiter les problématiques de la ville durable, la collaboration entre sciences et territoires est essentielle »

Institutionnel

Piloté par le CNRS et l’Université Gustave Eiffel, le programme national de recherche Ville durable bénéficie d’un financement de 40 millions d’euros sur huit ans. Son ambition : structurer une communauté capable d’apporter des solutions concrètes aux défis de la transition urbaine. Retour sur les ambitions du programme avec Gilles Gesquière, son directeur pour le CNRS.

Qu’est-ce que les notions de « villes durables et bâtiments innovants », qui constituent les fondements du programme, englobent et quels sont les grands enjeux associés ?

Gilles Gesquière1  : Ces notions englobent une approche visant à transformer nos espaces urbains et nos constructions pour répondre aux défis environnementaux, sociaux et économiques actuels. Cette vision s'est développée progressivement depuis l'émergence du concept de durabilité en 1988, mais reste aujourd'hui un défi majeur à relever. Le programme Ville durable, également appelé Villes durables et batiments innovants (VDBI)2  s'inscrit dans une stratégie nationale d'accélération (SNA) du plan de financement France 2030 qui vise à positionner la France à l'avant-garde de la transition écologique. 

Les grands enjeux associés à cette démarche sont multiples et interconnectés. D’abord, la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité en milieu urbain sont des priorités absolues. Cela implique de repenser l'aménagement urbain pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et de créer des espaces favorables à la faune et à la flore. Ensuite, il y a la question de la résilience urbaine. Les villes doivent être capables de faire face aux risques et aux crises, qu'ils soient d'origine naturelle ou anthropique. Cela nécessite de développer des stratégies de prévention et de gestion des risques adaptées. Le troisième pilier est celui de la sobriété et de la frugalité. Face à la raréfaction des ressources, il est crucial de concevoir des villes et des bâtiments qui consomment moins et génèrent moins de déchets. Cela implique de repenser les modes de vie, de production et de consommation en milieu urbain. Un autre enjeu majeur est celui de l’inclusion et de l’équité. La ville durable doit être conçue, aménagée et gérée en impliquant l'ensemble de ses habitants et parties prenantes. Enfin, il ne faut pas oublier la question de la santé et du bien-être. Les morphologies architecturales et urbaines, l'alimentation, les modes de vie et la qualité environnementale sont des déterminants majeurs de la santé et du bien-être en ville.

Le programme VDBI combine innovations technologiques, sociales et organisationnelles pour répondre aux enjeux de sobriété, résilience, inclusivité et productivité. Malgré les avancées des labels environnementaux, des verrous persistent. VDBI entend les lever en adaptant recherche et innovation aux besoins des territoires, essentiels pour l’avenir de nos villes.

Qui sont les principaux acteurs concernés et comment créez-vous le lien entre eux ? 

G. G. : Parmi les principaux acteurs concernés, on trouve bien sur la communauté scientifique. Les acteurs territoriaux, tels que les collectivités locales et les experts de terrain, jouent également un rôle essentiel. En outre, les acteurs socio-économiques, incluant des entreprises et des ONG, sont impliqués, tout comme la société civile, qui comprend les citoyens et les associations.

Le programme VDBI tisse des liens entre acteurs via des projets collaboratifs impliquant laboratoires, collectivités et acteurs socio-économiques. Il s’appuie sur des centres opérationnels pour faciliter l’accès aux données, à des possibles simulations et l’évaluation des politiques publiques, ainsi que sur des conférences nationales pour partager les avancées et renforcer les échanges. Dès le lancement des projets, les parties prenantes sont associées pour identifier les freins et garantir la pertinence des solutions proposées par la recherche.

Cette approche inclusive et collaborative vise à structurer une communauté nationale capable de répondre efficacement aux défis de la ville durable et des bâtiments innovants dans une synergie pluridisciplinaire et pluri-acteurs.

Le programme VDBI reconnaît l'importance cruciale des partenariats et des synergies pour atteindre ses objectifs. Des liens étroits ont été établis avec des programmes complémentaires de la SNA VDBI grâce au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et au Secrétariat général pour l'investissement. Il y a notamment des partenaires clés comme la Banque des Territoires, l'Agence de la transition écologique (ADEME) et l'Association nationale de la recherche et de la technologie3  (ANRT). L’Agence nationale de la recherche est aussi en soutien fort sur le côté opérationnel du programme. Une synergie notable a également été créée avec la mission européenne « 100 villes climatiquement neutres d'ici 2030 ». Enfin, VDBI collabore étroitement avec le groupe miroir « Ville » animé par le MESR. Cette interaction assure une cohérence entre les initiatives de recherche nationales, voire européennes.

Quels sont les enjeux du programme VDBI ? 
G. G. : Le programme VDBI répond à plusieurs défis clés.

Le premier est l’approche pluridisciplinaire, indispensable pour traiter les problématiques complexes de la ville durable. Une seule discipline ne suffit plus : la collaboration entre sciences et acteurs des territoires est essentielle. Le deuxième enjeu concerne l’impact concret des recherches. VDBI ne se limite pas à produire des connaissances, mais cherche à les traduire en solutions opérationnelles pour les villes. La diffusion des résultats est aussi cruciale. Le programme veut rendre accessible la littérature grise produite afin que collectivités et entreprises puissent en tirer parti. VDBI travaille également à pérenniser une communauté scientifique autour de la ville durable, en lien avec les réseaux existants, et à favoriser la réplicabilité des méthodologies développées dans différents contextes urbains. Enfin, le programme identifie les projets à fort effet levier pour accélérer les innovations sociales, technologiques et méthodologiques capables de transformer lnos villes.

Avec quels programmes nationaux de recherche pensez-vous pouvoir échanger prioritairement ? 

G. G. : VDBI se trouve à l’interface de plusieurs programmes prioritaires avec lesquels des échanges et collaborations ont déjà été engagés. Certains sont immédiats comme avec les programmes Digitalisation et Décarbonation des Mobilités (MOBIDEC), RecyclageDécarbonation de l’industrie (SPLEEN), Sous-SolRisques (IRiMa) et Solutions fondées sur la nature (SOLU-BIOD). Des échanges sont aussi en cours avec d’autres programmes nationaux comme les programmes Collaboration numérique (eNSEMBLE) et Industries culturelles et créatives (ICCARE) sur les systèmes de collaboration interactive et la réalité virtuelle, méthodologies importantes pour comprendre nos territoires et leur évolutions dans un contexte de prise de décision. Des collaborations sur les transitions écologiques des activités de recherche sont également envisagées avec le programme TRANSFORM. Cette liste n’est pas exhaustive et il serait possible de trouver des liens avec un grand ensemble de programmes nationaux de recherche afin d’aborder de façon globale la complexité de nos territoires. Il est également important de continuer à capitaliser grâce à la synergie mise en place avec l’agence de programmes Climat, biodiversité, sociétés durables que coordonne le CNRS.

Certaines méthodes et actions que vous avez mises en place pourraient-elles être proposées à d’autres programmes, par exemple votre frise collaborative ?

G. G. : Le programme VDBI est conçu comme un espace d’expérimentations pour une recherche pour et par le territoire.

La frise collaborative est un outil particulièrement intéressant qui pourrait être adapté et proposé à d'autres programmes. Elle permet de collecter et visualiser les contributions des participants de manière dynamique, que ce soit en ligne ou en présentiel. Elle est un point d’échange entre les acteurs de la communauté (chercheurs et chercheuses, collectivités, entreprises, collectifs de citoyens) et facilite la collaboration et offre une vue d'ensemble claire des avancées et des interconnexions entre les différents aspects du programme. Au-delà du bilan, elle permet aussi de nourrir et de co-construire la prospective VDBI.

L'approche pluridisciplinaire adoptée par notre programme, qui encourage la collaboration entre différentes disciplines scientifiques et la co-réflexion avec divers acteurs, notamment les experts des collectivités territoriales, pourrait inspirer d'autres programmes, même s’il est aujourd’hui entendu que l’évolution des territoires ne peut se faire qu’en mêlant recherche et expertise terrain. 

La mise en place de centres opérationnels pour accompagner la recherche est une autre initiative qui pourrait être adaptée à d'autres programmes nationaux de recherche. Ces centres facilitent la coordination, le partage des connaissances et l'optimisation des ressources.

Le programme VDBI poursuit son innovation en matière d'animation et de structuration de la communauté scientifique avec deux nouvelles initiatives prévues pour 2025. Une action originale d'éditorialisation des contenus sera lancée en 2025. Cette initiative vise à valoriser et à rendre plus accessibles les résultats de recherche produits dans le cadre du programme. Egalement, un outil de monitoring cartographiera les expertises et collaborations du programme, suivra l'évolution des thématiques de recherche, identifiera les synergies potentielles et aidera à évaluer de l'impact du VDBI sur la structuration de la communauté scientifique.

Vous avez organisé les journées annuelles du programme VDBI les 20, 21 et 22 novembre 2024, quels en étaient les objectifs ?

G. G. : Les Journées scientifiques annuelles du programme VDBI, organisées à l'Université de Bordeaux, représentaient un moment important de rencontre et de réflexion collective pour la communauté scientifique travaillant sur les villes durables et les bâtiments innovants.

Les participants ont pu assister à des présentations croisées des projets lauréats  du premier appel à projets de VDBI (voir encadré). Des tables rondes thématiques ont permis d'explorer des questions cruciales telles que l'expérimentation territoriale et les modalités de construction d'une communauté de recherche. Des moments clés ont ponctué ces journées : la présentation du HUB, le forum urbain de Bordeaux (lié au centre opérationnel Méthodes d’évaluation des Scénarios d’Action Publique - MESAP) ; les échanges autour de la frise collaborative VDBI, une présentation inspirante de Vincent Fouchier, directeur Prospective et Conseil de Développement à la métropole d’Aix-Marseille ; les ateliers des centres opérationnels. La dernière journée, plus resserrée, était dédiée aux réunions de travail spécifiques des différents collèges et projets.

  • 1Gilles Gesquière est professeur en informatique à l Université Lumière Lyon 2 et effectue sa recherche sur les représentations et dynamiques de la ville au sein du laboratoire Laboratoire d informatique en image et systèmes d information (CNRS/INSA Lyon/Université Claude Bernard). De 2016 à 2023, il a dirigé le LabEx Intelligences des Mondes Urbains. Depuis 2022, il est co-directeur du Programme et Équipement Prioritaires de Recherche Ville durable pour le CNRS.
  • 2Le programme est copilité par Gilles Gesquière au CNRS et Dominique Mignot et Anne Ruas à l’Université Gustave Eiffel.
  • 3L’ANRT œuvre pour renforcer les liens entre la recherche publique et les entreprises. Créée en 1953, elle accompagne le développement de la recherche partenariale et soutient les innovations technologiques en facilitant les collaborations entre laboratoires académiques et acteurs économiques.

Les huit lauréats de l’appel à projets du programme Ville durable

Le jury international constitué par l’ANR a permis de sélectionner huit projets lauréats, financés à hauteur de 18 millions d'euros :

inteGREEN (Services urbains intégrés à partir de stratégies de végétalisation pour améliorer la résilience des villes) pour développer des méthodes d’évaluation des services urbains intégrés fournis par les solutions de végétalisation, notamment dans des contextes d’environnements urbains complexes ainsi qu'aux conditions climatiques et environnementales changeantes. 

NEO est un dispositif d’observation au service de la transformation sociotechnique et environnementale des villes, hybridant des connaissances et pratiques expérimentales issues du monde académique avec des démarches d’innovation et d’apprentissage développées par les acteurs de terrain. 

RESILIENCE (Robuste Evaluation de Solutions pour limiter les Impacts LIés aux ÉvolutioNs du Climat sur les Écocités) propose d’évaluer l'efficacité de politiques d'aménagement urbain visant à améliorer les conditions de vie, ainsi que les co-bénéfices possibles et l'acceptation de ces actions par le grand public. Le projet sur les dispositifs pour réduire les îlots de chaleur urbains et sur la façon dont les plans de végétalisation et de désimperméabilisation des sols favorisent la biodiversité et la continuité écologique ainsi que les puits de carbone naturel. 

TRACES (TRansformer pour Adapter l’existant, à travers une approche multisCalairE et Systémique) s’intéresse aux questions d’adaptation, selon trois dimensions : l’impact des choix conceptuels et techniques sur l’habitabilité et l’appropriation des espaces ; le rôle de la maintenance des artefacts et la prise en compte des risques naturels et anthropiques sur la durée de leur vie ; l’évolution des formations et des métiers et l’articulation entre différents types d’expertises et de compétences nécessaires pour répondre aux défis en jeu de transition. 

URBHEALTH (Territoires URBanisés: influence des HEtérogénéités spatiALes et des sources de pollution aTmospHérique sur la santé) vise à caractériser les influences sur la santé des hétérogénéités spatiales des multi-polluants en zone urbaine, en intégrant une dimension socio-démographique et une notion de justice sociale de la pollution atmosphérique. 

VF++ (Des Villes Fraiches Pour et Par Leurs Usagers) vise à intégrer des solutions douces, vertes et grises pour favoriser la bonne santé des habitants. Le projet rassemble des chercheurs de plusieurs disciplines pour s’attaquer aux questions de santé et de bien-être lors d’épisodes caniculaires. 

VILLEGARDEN - Comment les espaces verts résidentiels contribuent-ils à la transition vers des villes bio-diverses et perméables ? Le projet s’intéresse au rôle joué par les espaces verts résidentiels, privatifs, en termes de services écosystémiques rendus à la ville (support de la biodiversité, évapotranspiration pour réduire les effets d’îlot de chaleur…). 

WHAOU constitue un observatoire de la santé et du bien-être au sein des trajectoires urbaines. Il vise à créer un observatoire pluri-thématiques et multidimensionnel du bien-être et de la santé en ville, en analysant les flux de matières dans les réseaux d'assainissement, les données censitaires ainsi que les données d’entretien pour mieux anticiper les risques notamment sanitaires.