Prix de l’innovation des rencontres Innov’ SHS : l’interdisciplinarité comme moteur de l’innovation à impact

Innovation

A l’occasion des Rencontres Innov’SHS, trois porteurs de projets en sciences humaines et sociales (SHS) ont reçu le prix de l’innovation pour la portée scientifique et sociale de leurs recherches.

Une journée placée sous le signe de l’interdisciplinarité

« Les Rencontres Innov'SHS du CNRS se veulent un espace de réflexion collective, publique et partagée pour consolider la contribution des SHS à la valorisation et au transfert » a introduit Marie Gaille, directrice de CNRS Sciences humaines & sociales le 9 octobre 2024 dernier, à la Maison de l’Amérique Latine de Paris. « Les prix Innov’SHS sont de très belles histoires d’innovation et de travail interdisciplinaire. » Cette journée de réflexion sur l’innovation en SHS fut l’occasion de la remise des prix de l’innovation en Sciences humaines et sociales. Cinquante projets ont été évalués par le jury, sur les critères de leur impact social, de leur originalité et de leur interdisciplinarité. Trois projets, au fort potentiel d’impact dans leur domaine respectif, ont été primés. Les prix ont été remis par Michel Mortier, directeur général de la Fondation CNRS : « Apprentissage, gestion de crise ou aide au diagnostic médical… ces projets tentent de relever des défis de société via une recherche ancrée dans l’interdisciplinarité. C’est exactement ce genre de projet que la fondation doit soutenir. »

De gauche à droite : Michel Mortier, Salma Mesmoudi, Eric Lambert, Alda Mari, Marie Gaille 
© Fondation CNRS

Eric Lambert : un apprentissage ludique et adapté pour les enfants dyslexiques et dyspraxiques avec DysApp

Eric Lambert a reçu le prix Innov’SHS pour son projet DysApp, un « jeu sérieux » sur tablette tactile qui aide les élèves à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Le professeur en psychologie et son équipe du Centre de Recherches sur la Cognition et l’Apprentissage (CeRCA) travaillent sur la création de ce jeu pédagogique depuis 2017. Développé en partenariat avec Tralalère, une entreprise de création de ressources numériques éducatives, le jeu a été testé en cadre scolaire. 

Voué à améliorer l’apprentissage de la motricité fine et les compétences rythmiques, le jeu permet aussi de repérer d’éventuelles dyspraxies : des troubles de développement neuronaux qui portent sur la coordination motrice, affectant notamment l’apprentissage de l’écriture. L’étude des progrès scolaires des élèves à la suite de l’usage du jeu, en lecture notamment, a permis aux chercheurs de mettre au jour les relations de causalité entre dyspraxie et dyslexie chez les jeunes : la dyslexie, qui concerne les fonctions linguistiques de l’acquisition du langage écrit, est ainsi favorisée par la dyspraxie. Eric Lambert souligne le potentiel que représente l’apprentissage par le jeu : « Il ne faut pas opposer l’apprentissage et le jeu vidéo. Avec des enfants très en difficulté, le jeu est facteur de motivationDysApp a pour objectif d’aider les parents et enseignants à repérer les enfants dyspraxiques. » 

Le jeu sérieux d’Éric Lambert est maintenant disponible en version bêta sous le nom des Six saisons de Brume sur IOS et Androïd. 

DYSAPP – Université de Poitiers

Alda Mari : Développer les bons usages des réseaux sociaux en contexte de crise de l’ordre public ou de crise environnementale

Alda Mari a dirigé un projet visant à développer un outil de veille et d’aide à la prise de décision en contexte d’urgence sur les réseaux sociaux, intitulé INTACT (Détection des Intentions, Prédiction de l’Action). En prenant acte de la révolution déclenchée par les réseaux sociaux dans la diffusion de l’information, Alda Mari inscrit son travail dans la nécessité d'exploiter ces nouvelles ressources pour produire un outil adapté en cas de crises.

 « INTACT permet de lire des centaines de messages en quelques secondes, et de repérer les situations les plus urgentes.  L’action des secours pourra être plus rapide et plus ciblée dans les zones sinistrées. En postant sur les réseaux, la population pourra, quant à elle, alerter et décrire la situation sur place.»

En s’appuyant sur son expertise théorique, l’objectif de la chercheuse est ainsi de développer un outil non seulement capable de repérer l'urgence et de reconnaître les alertes véridiques, mais aussi en aidant les autorités compétentes dans la prise de décision. 

La multidisciplinarité est au cœur d’INTACT, qui regroupe des compétences en linguistique et en linguistique computationnelle. Les chercheurs de l’Institut Jean Nicod (IJN, CNRS /. ENS-PSL), dirigé par Alda Mari, en collaboration avec les chercheurs de l’Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (CNRS, Toulouse INP, UT3, UT Capitole, UT2), dirigé par Farah Benamara, ont ainsi étudié en profondeur les signaux d’intentions qui se manifestent en cas de crise afin de développer des modèles d’analyse sémantiques et des modèles computationnels capables de prédire les actions à entreprendre. 

INTACT - Détection des Intentions, Prédiction de l'Action - INSTITUT JEAN NICOD

Salma Mesmoudi : Assister à la prise de décision clinique grâce au développement d’une imagerie médicale de pointe 

Salma Mesmoudi a développé ODLab, un système logiciel de partage et de mutualisation de la capacité de calcul et des compétences en neuro-imagerie et pathologies cérébrales ouvert aux chercheurs comme aux cliniciens.

La docteure en intelligence artificielle de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a développé une technique de traitement multimodal des images IRM, facilitant l’intégration de données expérimentales en génétique à de grandes bases de métadonnées bibliographiques issues de la recherche. De ce croisement de données sur le cerveau, Salma Mesmoudi a déduit un nouveau modèle fonctionnel de traitement de l’information par le cerveau. Sa recherche a ainsi conduit au développement de LinkRdata, une plateforme collaborative qui intègre les données issues des connaissances anatomiques, fonctionnelles et génétiques du cerveau, produites par la communauté scientifique. Cette plateforme permet non seulement aux chercheurs de consolider et d'accélérer leurs travaux mais aussi aux cliniciens de disposer d’une base d’imagerie complète et solide, et notamment de son atlas fonctionnel ultra-précis du cerveau… de l’ordre du millimètre ! Ce projet interdisciplinaire a rassemblé des chercheurs en data sciences, systèmes complexes, neurosciences, médecine et sciences humaines et sociales.

Avec ODLab, la docteure se lance dans une nouvelle phase de développement de sa recherche, ambitionnant de faire de son système logiciel une base de référence améliorée pour les « clinical decision support systems ». L’objectif de ce nouveau dispositif est de lutter contre les phénomènes de gaspillage de données engendrés par la multiplication des logiciels. Baptisé AI DataLab, la plateforme est conçue comme ressource évolutive et propose une infrastructure informatique mutualisée. Capable de remobiliser une immense variété de données scientifiques, la plateforme doit permettre de « démocratiser l’accès aux savoirs scientifiques en neuroimageries » explique Salma Mesmoudi. Avec AI DataLab, cette vision interdisciplinaire et orientée vers l’innovation continue de repousser les frontières de la recherche en neuro-imagerie, au service de la science et de la médecine.

 

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