Quand le CNRS mobilise ses laboratoires : bilan d’une journée exceptionnelle

Institutionnel

Le 12 décembre, pour la deuxième fois de son histoire, le CNRS a rassemblé l’ensemble de ses directeurs et directrices d’unités. Une journée riche en rencontres, en annonces et en symboles.

Début décembre, la Maison de la Mutualité a accueilli les acteurs clés de la recherche : plusieurs centaines de directeurs et directrices de laboratoire du CNRS ont ainsi fait le déplacement pour une convention exceptionnelle. Une journée qui se voulait un « moment d’informations et d’échanges », selon Antoine Petit, le président-directeur général de l’organisme, avec des agents dont « la fonction n’est pas une sinécure ». « C’est impressionnant de voir rassemblé l’ensemble des directeurs et directrices : on mesure mieux l’échelle du CNRS et la diversité des disciplines. », témoigne Marc Auriacombe, directeur du laboratoire Sommeil, addiction et neuropsychiatrie1  à Bordeaux.

Si une journée majeure avait déjà rassemblé les forces du CNRS lors des 80 ans du CNRS, cette fin d’année 2024 semblait un moment propice pour partager la feuille de route stratégique du CNRS, ses chantiers prioritaires et ses ambitions internationales pour les prochaines années. Fin décembre, le CNRS va en effet signer son prochain Contrat d’objectifs, de moyens et de performance avec l’État.

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Celui-ci a structuré les interventions de la journée. Ont été abordés des enjeux cruciaux pour l’organisme et ses personnels : attractivité des carrières autant des scientifiques que des techniciens, amélioration des conditions de travail et simplification des procédures – avec quelques annonces techniques qui ont provoqué les applaudissements de la salle –, plan handicap, politique de coopération scientifique à l’international avec notamment l’ouverture d’un nouveau Bureau de représentation au Kenya, transition environnementale… « Ces annonces sont intéressantes pour nous, directeurs et directrices : elles nous permettent de faire le relai auprès de nos équipes et d’anticiper les changements à venir. », atteste Catherine Leblanc, qui prendra en janvier la tête du Laboratoire de biologie intégrative des modèles marins2  à Roscoff. Ce que Martin Lamotte, futur directeur du Laboratoire d'anthropologie politique3  parisien, confirme : « Voir la machine institutionnelle du CNRS de l’intérieur est toujours instructif et c’est agréable que l’on s’adresse directement à nous. ».

Six défis transversaux

Si les questions de ressources humaines sont une priorité dans le COMP, la recherche reste le cœur du métier de l’organisme. « ​​Il faut plus de science et plus de recherche fondamentale. Notre rôle est immense et doit rester notre boussole, y compris et même surtout dans les temps difficiles que nous traversons. », a préconisé Antoine Petit, invitant à montrer que « derrière les grands sujets de société, il y a de la science ».

Au-delà de 43 priorités thématiques, le COMP met ainsi en exergue six grands défis transverses « auxquels l’organisme a l’ambition d’apporter des contributions substantielles à moyen terme, en mobilisant l’ensemble des disciplines », précise Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS : le cerveau, les matériaux du futur, la vie dans l’Univers, l’instrumentation sans limites, l’IA générative pour les sciences et les sociétés en transitions. Comme les six précédents défis sociaux du COP 2019-2023 qui ont créé « une réelle dynamique », ces défis permettront de structurer les communautés scientifiques, en y consacrant en particulier une partie significative des recrutements de nouveaux chercheurs et chercheuses permanents. « Ils ne représentent bien sûr qu’une partie des activités du CNRS », ajoute Alain Schuhl.

Antoine Petit a rappelé sa conviction : « Si nous ne restons pas un grand pays scientifique, nous ne serons plus un grand pays du tout ». © CNRS

Seconde annonce : la création du label « CNRS Keylabs ». Pour faire face à la compétition internationale, le CNRS doit éviter de « diluer son action » et plutôt « construire des masses critiques » et « faire porter un effort particulier sur un nombre plus restreint d’unités, celles qui peuvent légitimement prétendre à être qualifiée “de rang mondial” », a expliqué Antoine Petit. Les laboratoires sélectionnés seront « les plus à même de répondre rapidement aux exigences de la compétition internationale et aux enjeux de la nation, d’être les fleurons de la recherche française, attractifs pour les meilleurs scientifiques, notamment en concentrant les plateformes scientifiques et technologiques les plus performantes ». Un quart des plus de 860 unités dont le CNRS est une tutelle seront labellisés dans un premier temps, et bénéficieront d’un accompagnement renforcé.

L’Europe, une priorité du CNRS

Des présentations scientifiques ont aussi agrémenté la journée, pour refléter « nos passions et notre raison d’être », comme l’a indiqué Antoine Petit dans son discours introductif. Ainsi, Chihaya Adachi, professeur à l’Université de Kyushu au Japon et directeur du Centre de recherche sur la photonique et l’électronique organique (OPERA). l’un des fellow-ambassadeur du CNRS, a présenté ses travaux sur matériaux semi-conducteurs organiques, en soulignant le rôle des collaborations internationales avec la France. Le chercheur, co-pilote de l’International Research Project LUX ERIT, est notamment à l’origine du développement de la troisième génération de diodes électroluminescentes (OLED).

Lors d’une séance sur les enjeux européens, un lauréat et une lauréate de bourses du Conseil européen de la recherche (ERC) ont aussi partagé leurs témoignages. Une présentation qui a « désacralisé » ces distinctions et « montré qu’elles peuvent représenter un vrai travail collectif entraînant tout le laboratoire », selon Stéphane Pellerin, directeur du Groupe de recherches sur l'énergétique des milieux ionisés4  à Orléans.

L’occasion pour Alain Schuhl de rappeler que le CNRS « a toujours été le premier bénéficiaire, et de loin » des programmes-cadres européens, qui fêtent cette année leurs 40 ans. L’organisme représente ainsi la moitié des lauréats français, avec un taux de succès supérieur à la moyenne européenne. Mais « vu le niveau qu’il faut pour obtenir un poste au CNRS, l’intégralité des nouveaux entrants devraient déposer un dossier ERC dans les trois ans », milite le directeur général délégué à la science, en s’appuyant sur la stratégie du CNRS en la matière.

« L’excellence de nos universités ne serait pas ce qu’elle est sans nos organismes nationaux de recherche. », comme le CNRS, a indiqué Guillaume Gellé, président de France Universités, lors d’un échange avec Michel Denneken, président de Udice. © CNRS

Avec ses partenaires, l’organisme prépare aussi le prochain programme-cadre, après Horizon Europe. « Il est de la responsabilité du CNRS de contribuer à l’Europe de la recherche. », confirme Alain Schuhl. Isabelle Ryl – par ailleurs directrice du PaRis Artificial Intelligence Research InstitutE – a répondu à l’invitation du CNRS pour venir présenter les conclusions du groupe d’experts mandatés par la Commission européenne sur l’évaluation à mi-parcours et l’avenir d’Horizon Europe, dont elle faisait partie. Si ce groupe fait 12 recommandations pour l’optimiser dans un contexte géopolitique et financier « tendu », le programme-cadre « est efficace et produit de bons résultats ». « La recherche et l’innovation, qui démarre avec la recherche fondamentale, ont été remises en avant. », affirme la chercheuse, souhaitant néanmoins que l’Europe se donne les moyens de faire face aux « vagues de crises et d’avancées technologiques qui ne respectent pas la temporalité d’un programme-cadre ».

Développer la culture scientifique

Autre temps fort de la journée : les tables rondes centrées sur le dialogue entre les sciences et la société, que ce soit le grand public ou les décideurs politiques. Deux « hyperactifs », Jean-Michel Courty et Audrey Dussutour(le lien est externe), récipiendaires de la médaille de la médiation du CNRS, ont partagé leurs expériences. « J’ai la même passion pour la science et son partage. », assure la meneuse du projet de science citoyenne « Derrière le blob, la recherche », rappelant que « aujourd’hui, la médiation scientifique est valorisée dans les rapports d’activité, merci le CNRS ! ». Jean-Michel Courty, également commissaire de la rénovation du Palais de la découverte, a d’ailleurs annoncé la création d’un « document de conseil » pour aider les chercheurs et chercheuses à mieux présenter ces activités dans leur dossier.

Une autre table-ronde a rassemblé trois membres du Parlement pour échanger sur ce que peut apporter la science aux politiques publiques. « Nous avons besoin de vos apports pour comprendre les tournants technologiques et développer notre esprit critique. », a ainsi indiqué Céline Calvez, députée des Hauts-de-Seine.

Isabelle Ryl, directrice de l'institut PRAIRIE, a présenté les recommendations du groupe d’experts mandatés par la Commission européenne sur l’évaluation à mi-parcours et l’avenir d’Horizon Europe. © CNRS

Et tout le monde partage un constat : la culture scientifique peine à se développer. Les scientifiques sont par exemple sous-représentés dans les médias, même sur des sujets où la recherche est centrale. Pourtant, « nous vivons une période où jamais la société n’a eu autant besoin de science », affirme Antoine Petit, rappelant que la devise du CNRS – La recherche fondamentale au service de la société – « n’a jamais été autant d’actualité ». En prenant la parole, les scientifiques pourraient contribuer à combattre la désinformation, accompagner le développement de la pensée critique, mais aussi sensibiliser l’opinion publique aux grands enjeux du monde contemporain et amener les citoyennes et les citoyens à s'impliquer plus activement dans l’élaboration de solutions. 

Pour aider celles et ceux qui le souhaitent à prendre le plus sereinement possible le chemin des médias – dont la fréquentation n’est « ni chose facile ni une obligation » selon le PDG –, le CNRS conçoit une « boîte à outils » à destination des scientifiques qui clarifie notamment leurs droits et devoirs. Conforme à l’avis du Comité d’éthique du CNRS sur le sujet, ce guide de l’expression publique du CNRS sera disponible prochainement.

De la science fondamentale aux applications

L’innovation était aussi à l’honneur, des partenariats publics-privés aux laboratoires communs en passant par les start-up – ces dernières, souvent deeptech, ayant au CNRS une durée de vie « exceptionnelle », selon Antoine Petit. « Le CNRS travaille avec le monde industriel depuis longtemps, sur des questions élaborées de manière commune », a-t-il souligné, démontrant « la vraie plus-value pour les entreprises » que représente le CNRS, y compris concernant les innovations sociales.

Représentant les 300 laboratoires communs que le CNRS partage avec des industriels, dont la moitié avec des grands groupes, le témoignage de Florent Ménégaux, directeur général de Michelin, l’a bien montré. « Ces relations sont une étape stratégique pour que la recherche fondamentale se mette véritablement au service de la société. », a conclu Antoine Petit.

Pour la première fois, le CNRS a remis de manière conjointe ses médailles de l'innovation (ici les trois lauréats) et sa médaille d'or. © CNRS

Quatre ambassadeurs et ambassadrices ont aussi partagé leurs réflexions pour mieux concilier recherche et innovation. « Il y a un continuum : la maturation d’un projet de recherche fondamentale via la valorisation fait émerger de nouvelles questions de recherche. », a ainsi expliqué Claire Hellio, professeure à l'université de Bretagne occidentale et membre du Laboratoire des sciences de l'environnement marin.

Démontrant la continuité que seul le CNRS peut offrir entre recherche fondamentale et innovation au service de la société, la journée s’est conclue par deux moments d’échange autour des distinctions décernées par l’organisme. Les médailles de l’innovation ont ainsi été remises aux trois récipiendaires de l’année : le chimiste Cyril Aymonier5 , le physicien Lydéric Bocquet6  et la spécialiste de physique quantique Eleni Diamanti7 . En cette année qui marque les 70 ans de la plus haute récompense scientifique française, c’est la biologiste Edith Heard(le lien est externe), directrice générale du Laboratoire européen de biologie moléculaire et professeure au Collège de France, qui a été mise à l’honneur.

Notes

  1. CNRS/Université de Bordeaux.
  2. CNRS/Sorbonne Université.
  3. Laboratoire d'anthropologie politique - approches interdisciplinaires et critiques des mondes contemporains (CNRS/EHESS).
  4. CNRS/Université d’Orléans.
  5. Cyril Aymonier est directeur de recherche CNRS et directeur de l
  6. Lydéric Bocquet est directeur de recherche CNRS au Laboratoire de physique de l’École normale supérieure (CNRS/ENS-PSL/Sorbonne Université/Université Paris Cité).
  7. Eleni Diamanti est directrice de recherche CNRS au LIP6 (CNRS/Sorbonne Université).