RedoxWine : un laboratoire commun pour comprendre le vieillissement du vin

Innovation

Le CNRS, l’Université de Bordeaux et Bordeaux INP s’associent à Biolaffort, filiale R&D du groupe LAFFORT, pour créer le laboratoire commun RedoxWine. Inauguré le 7 mars, il vise à étudier et prédire le vieillissement du vin.

L’empreinte redox, qui donne son nom au laboratoire, décrit les processus d’oxydation et de réduction d’un produit – ici, le vin. Ces processus chimiques et biologiques sont responsables de la dégradation de ce liquide alimentaire complexe, et les analyser peut permettre de répondre à la question : qu’est-ce qui fait qu’un vin dure dans le temps, alors qu’un autre perd rapidement en qualité ? 

Le vieillissement du vin : une problématique économique et scientifique 


Obtenir un produit de qualité maîtrisée et à l’évolution prévisible est un enjeu majeur pour les producteurs, renforcé par les effets du changement climatique.  « Les vins d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’il y a cinquante ans, ou même vingt ans », introduit Virginie Moine, directrice scientifique de Biolaffort et co-directrice du laboratoire commun. Les contraintes (stress hydrique et pressions fongiques accrues, augmentation des températures) impactent les vignes, et in fine le vin. En règle générale, un vin d’un millésime chaud vieillit plus vite, alors que les consommateurs s’attendent à une certaine stabilité.

« Le monde viticole doit s’adapter à des conditions plus difficiles, et la société LAFFORT, spécialisée dans la production et la distribution de produits œnologiques, pourrait proposer des stratégies en réponse à ces difficultés », poursuit Virginie Moine. 

L’élaboration de ces nouvelles solutions demande une compréhension fine des processus à l’œuvre : c’est ici qu’intervient l’Institut de Chimie et biologie des membranes et nano-objets (CBMN – CNRS/Bordeaux INP/Université de Bordeaux). « Depuis vingt ans, ma thématique de recherche globale porte sur le développement de méthodes de chimie analytique appliquées à la biologie. Les phénomènes d’oxydation sont visibles à toutes les échelles du vivant, et je m’intéresse aux mécanismes communs derrière ces réactions », explique Stéphane Arbault, directeur de recherche au CNRS et co-directeur du laboratoire commun. Amateur de vin, il a par ailleurs été intrigué par les propriétés exceptionnelles des grands vins. 

Etienne Duguet, vice-président en charge de l’innovation à l’université de Bordeaux, Viriginie Moine, directrice scientifique de Biolaffort, Mehdi Gmar, directeur général délégué à l’innovation du CNRS, Dominique Dunon-Bluteau, directeur des opérations scientifiques de l'ANR. © CNRS

Une collaboration public-privé qui s’inscrit dans la durée


« Biolaffort collabore avec l’Université de Bordeaux depuis toujours car travailler avec le monde académique fait partie de notre ADN », précise Virginie Moine. « En œnologie, on est spécialiste de tout et rien à la fois : il faut mobiliser des connaissances en microbiologie, en chimie… Il est important pour nous de s’associer avec des personnes qui ont une très forte compétence technique dans un domaine. »

En 2012, une première collaboration entre le CBMN et Biolaffort prend la forme d’un post-doc sur l’étude structurale des précipités de matières colorantes (tannins) des vins rouges. En 2016, une thèse (soutenue également par la Région Nouvelle-Aquitaine) porte sur la production et la caractérisation de la protéine HSP12 chez la levure S. cerevisiae. Enfin, le plan de relance de 2021 finance un post-doc sur le sujet qui deviendra celui de RedoxWine. « À l’occasion de différentes discussions avec Inno’vin, le cluster de la filière vitivinicole en Région Nouvelle-Aquitaine, l’idée de travailler avec Biolaffort autour d’un laboratoire commun s’est imposée, car nous avons des centres d’intérêts partagés », ajoute Stéphane Arbault. 

Le financement de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), qui s’élève à 363 000 €, a aussi été un catalyseur. « Il s’agit d’une aide importante pour ce projet de recherche avec une forte dimension fondamentale », salue Virginie Moine. 

Une intégration entre monde académique et recherche & développement que souligne également Stéphane Arbault. « Les partenariats entre chercheurs et entreprises ne peuvent fonctionner que si chacun s’implique, et la collaboration avec Biolaffort est très étroite. Notre laboratoire est un très bel exemple de confiance entre partenaires. »  

Côté CNRS, une chercheuse et un ingénieur d’études ont été recrutés pour rejoindre le laboratoire commun, en collaboration avec un responsable R&D et un chef de projet R&D chez Biolaffort. L’expertise des équipes du CBMN et de Biolaffort peut être sollicitée ponctuellement, en parallèle de la formation de stagiaires et alternants. 

Le laboratoire commun pourra développer ses recherches sur 54 mois, « une durée importante et nécessaire pour se lancer dans des projets d’ampleur », selon Stéphane Arbault. 

Comprendre pour s’adapter, du pied de vigne au vin 


Le laboratoire commun RedoxWine sera l’occasion de mettre en application et continuer le développement d’une méthode de détection récemment brevetée avec le soutien de CNRS Innovation(le lien est externe). Elle permet d’analyser l’état redox des vins afin d’aboutir à des profils (par cépage, terroir, millésime…). L’équipe recueille actuellement des échantillons pour enrichir sa base de données : 5400 échantillons de vin ont déjà été collectés, et les partenaires visent la création d’une base de données de plusieurs milliers de vins. 

Ils s’appuient pour cela sur leur réseau de producteurs au sein de la Région Nouvelle-Aquitaine, et ont profité de l’inauguration, le 7 mars, pour faire un appel à échantillons. Trouver des corrélations entre de très nombreux paramètres d’une grande base de données demandera par ailleurs des compétences en bio-informatique et statistiques : le laboratoire recherche actuellement des expertises extérieures pour l’aider dans cette tâche !

Les recherches se concentrent sur le vin mais comme on l’a vu plus haut, les phénomènes d’oxydation et de réduction se retrouvent à toutes les échelles du vivant : le liquide, mais aussi la vigne, le sol… À terme, Biolaffort souhaiterait appliquer les solutions nées de la compréhension des processus électrochimiques à toutes les étapes de la production du vin. 

« Le Graal, cela serait de créer un outil, qui n’existe pas à l’heure actuelle, prédisant la capacité de vieillissement d’un vin », conclut Virginie Moine.