TrackinOil : améliorer la traçabilité des huiles marines

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Le laboratoire commun TrackinOil réunit l’entreprise Polaris et la plateforme LIPIDOCEAN autour de la traçabilité des lipides, utilisés notamment dans les industries agroalimentaire, pharmaceutique et cosmétique. Deux partenaires guidés par l’ambition de valoriser leurs résultats scientifiques via la création d’un organisme de certification.

La société Polaris est une PME française spécialisée dans la fabrication et la commercialisation auprès des industriels et laboratoires pharmaceutiques de solutions riches en Omega-3. Elle propose notamment des produits riches en EPA et DHA, des lipides qui jouent un rôle essentiel sur les systèmes cardiovasculaire et immunitaire, les capacités cognitives, la vision et le développement du fœtus et de l’enfant. Pourtant, 90 % de la population mondiale est en déficit. 

 « Historiquement, nos huiles venaient de coproduits de pêche, en particulier de poissons gras, dans lesquels l’EPA et le DHA se trouvent en grande quantité », indique Louis-Marie Martin, COO de Polaris. « Puis, nous nous sommes dirigés vers une autre source : les microalgues. Il s’agit de produits deux fois plus riches en EPA et DHA et qui sont d’origine 100% végétale. »

De son côté, la plateforme LIPIDOCEAN – composante du Laboratoire des sciences de l'environnement marin (LEMAR)1  – affiche plus de trente ans d’expérience en analyse des lipides marins. « Nous nous démarquons par notre capacité à analyser finement tous les types de lipides marins sur différentes matrices biologiques, du phytoplancton aux poissons, en passant par les bivalves ou les ormeaux », présente Philippe Soudant, directeur de recherche CNRS au LEMAR. « Et leur composition est plus complexe que celle des lipides terrestres. »

Vérifier la composition lipidique d’une huile


Étant donné la connexité de leurs domaines d’activité autour des lipides marins, il n’était pas surprenant de voir Polaris et LIPIDOCEAN se rapprocher, et ce, dès 2017. « À l’époque, nous avions reçu une huile présentée comme 100 % microalgue, toutefois, nous avions des interrogations sur sa composition et sa réelle origine », retrace Louis-Marie Martin. « Nous avons alors fait appel aux équipes de Philippe Soudant, dont l’analyse a finalement confirmé nos soupçons : il s’agissait en réalité d’un mélange d’huiles de microalgues et de poissons. »

Cette première collaboration fructueuse a incité les deux structures à la prolonger sous la forme du projet LIPOTRACE, dans le cadre du plan France Relance. L’idée était de reproduire et de développer plus largement le travail mené précédemment – identifier les origines biologiques et géographiques des différents composés lipidiques d’un produit. Avec l’ambition de répondre à un enjeu majeur, celui de la traçabilité des huiles commerciales d’origine marine. « Il est primordial de pouvoir vérifier ce qu’avance un fournisseur », affirme Louis-Marie Martin. « Le produit est-il véritablement issu de poissons sauvages ? Ou sans OGM ? Bien sûr, il existe des labels de certification, mais ceux-ci reposent majoritairement sur les documents fournis et des audits ponctuels. Nous souhaitons aller plus loin, à l’aide d’outils permettant de contrôler régulièrement ces informations. » Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) s’intéresse de près aux travaux menés par les deux partenaires, en particulier dans le cadre de leur laboratoire commun.

Microalgues analysées © B. Gouriou / CNRS

Constituer une « lipidothèque » de référence


C’est en effet la forme choisie par Polaris et le LEMAR pour enrichir leur collaboration, approfondir la connaissance scientifique autour de la traçabilité des lipides marins, mais également valoriser celle-ci. Le laboratoire commun TrackinOil a ainsi été lancé le 8 octobre 2024 afin de concrétiser cette volonté.

Son premier objectif est de mettre au point une « lipidothèque », c’est-à-dire une base de données de référence comprenant la plus grande quantité possible de lipides, avec un ensemble de caractéristiques (profil moléculaire, signature isotopique…) formant leur empreinte spécifique. Cette ressource servira alors à identifier plus rapidement les composants présents au sein d’un produit à analyser, en comparant les informations observées à celles déjà rencontrées et répertoriées.

Pour cela, les chercheurs s’appuieront tout d’abord sur les travaux déjà menés au sein du LEMAR, ainsi que sur ceux qui se poursuivent dans le cadre de TrackinOil. « Au laboratoire, nous disposons déjà d’une mine considérable d’informations – issues de l’analyse de poissons du monde entier, de microalgues, ou encore de planctons – que nous n’avions pas pleinement mise à profit jusqu’ici », note Philippe Soudant. « Et cette liste sera progressivement complétée grâce à l’analyse de nouvelles huiles mises à disposition par Polaris. Nous prévoyons ainsi de développer des méthodes adaptées à d’autres composés lipidiques, tels que le squalène, abondant dans le foie de requin, ou les caroténoïdes, pouvant être d’origine synthétique ou biologique. » Des innovations qui peuvent ouvrir la voie à de nouveaux marchés, à l’image de celui de la cosmétique.

Mettre en œuvre un organisme de certification


Cependant, cette lipidothèque n’est pas destinée à demeurer un outil de laboratoire. En effet, la finalité principale de TrackinOil est de créer une structure de certification capable de contrôler précisément les origines biologiques et géographiques d’un produit et de délivrer un label de traçabilité. Une mission qui reposera sur les résultats du projet LIPOTRACE, qui ont entraîné le dépôt d’un brevet, et sur la lipidothèque continuellement enrichie. « Nous comptons aussi aller plus loin qu’une simple prestation d’analyse, en proposant aux industriels des conseils et des services d’accompagnement répondant véritablement à leurs besoins », ajoute Philippe Soudant.

Les équipes de Polaris et du LEMAR entendent lancer cet organisme de certification dès que possible. Celui-ci ne proposera d’abord que les méthodes d’analyse suffisamment matures (en particulier sur l’EPA et le DHA), avant d’étendre son champ d’études via les nouveaux outils développés.

« Pour nous, chercheurs, la création d’une telle structure représente un vrai défi, qui nous sort de notre zone de confort », admet Philippe Soudant. « Nous n’avons pas l’habitude de nous vendre, donc ce projet suscite une part d’appréhension, mais également beaucoup d’enthousiasme. » Une nouvelle aventure dans laquelle ils peuvent compter sur l’expertise commerciale de Polaris, ainsi que sur le soutien de CNRS Innovation pour la création de leur entreprise.

  • 1CNRS / Université Bretagne Occidentale / IRD / Ifremer